Le mariage est une « bonne nouvelle » à annoncer à une société fragilisée, mais pour l’annoncer, les évêques de France ont voulu repérer le terrain et les expériences fructueuses, pour mieux répondre aux attentes de couples qui viennent – ou pas – demander le sacrement du mariage, mais en tous cas, un témoignage de l’Eglise sur le couple et la famille. Il s’agit de « relever le défi » de la préparation au mariage aujourd’hui, explique Mgr Benoit-Gonnin qui propose huit balises sur le chemin.
Des expériences de terrain
Mgr Jacques Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais, Noyon et Senlis, a présenté, vendredi 8 novembre, à Lourdes, devant l’assemblée des évêques de France, le fruit de la réflexion d’un groupe de travail – « Préparer au mariage dans le contexte de la nouvelle évangélisation » – lancé en mars 2011.
L’évêque a distingué les « deux types d’attente » par rapport au mariage : celle de l’Eglise qui souhaite « annoncer clairement ce à quoi le sacrement engage » et le « désir des fiancés », avec cette conviction que « trois soirs ne suffisent plus à préparer cinquante ans de vie conjugale », comme le dira le P. Cédric Burgun.
Mgr Benoit-Gonnin a souligné la nécessité de « tenir compte de la situation des couples » et du « cheminement vers le sacrement », comme une « aventure à vivre en communion avec Jésus-Christ en son Eglise ».
Le groupe de travail a écouté les expériences de terrain : une Journée diocésaine des mariés dans le diocèse d’Avignon; la préparation renouvelée mise en œuvre dans le diocèse d’Angoulême ; celle de La Rochelle (jumelant paroisse et Communauté du Chemin Neuf)… Il a annoncé deux témoignages : le renouveau de la préparation au mariage dans le diocèse d’Annecy et « l’école de vie conjugale » dans une paroisse parisienne.
Pour s’orienter, la pastorale de la préparation au mariage s’appuie, en France, sur trois documents : les « Repères en pastorale sacramentelle et liturgique » de 1994, les « Orientations – pastorale du mariage » (2002) et le « Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France » (2006), « toujours actuels et pertinents ».
Une démarche de type « catéchuménal »
Voici, en résumé, les huit balises:
1 – Une conviction se dégage de l’écoute des témoignages : « les couples doivent être accueillis et rejoints tels qu’ils sont », et les pasteurs ne doivent pas être trop « impatients de présenter toute la beauté du sacrement » (sans y renoncer !).
2 – La préparation devrait favoriser « une vraie rencontre du Christ », sans laquelle il est difficile de susciter la « participation » et le « cheminement » des couples. Il devrait s’agir d’une « annonce kérygmatique » à mettre en oeuvre, en lien avec le sacrement du mariage.
3 – Autre constatation : ce cheminement « devrait faire droit à la théologie du corps pour rejoindre les fiancés dans ce qu’ils vivent », l’éclairer, « faire ressortir les enjeux, la beauté, les défis que cela représente ».
4 – Le « temps » constitue un « facteur majeur à bien gérer » : une année précède le mariage, mais il arrive qu’elle ne soit guère mise à profit, en fonction des possibilités des ministres.
5 – Le groupe de réflexion préconise aussi d’adopter une « démarche de type catéchuménal », qui favorise une démarche « libre, consciente et responsable », dans le cheminement vers le sacrement.
6 – En ce sens, il met en garde contre une préparation au mariage qui serait « réduite » à la préparation au sacrement : elle gagnerait à être une préparation à la « vie conjugale après le sacrement », notamment en prenant en compte la situation concrète des couples et leurs fragilités.
7 – Il a constaté l’importance de proposer un cheminement « actif » des fiancés entre chaque rencontre : un travail à effectuer chez eux, à partir de questions à réfléchir, pour que la préparation ne conduise pas au seul rapport « enseignés/enseignants ».
8 – Il est également important d’être attentif au « témoignage des accompagnateurs » pour aborder les questions « en vérité, de façon concrète et crédible ».
Ces « huit points d’attention » par rapport aux rencontres pourraient baliser en quelque sorte la « conversion pastorale » dont parle le pape François, a fait observer Mgr Benoit-Gonnin qui a proposé le témoignage de deux expériences pour introduire les échanges des évêques.
Mobilisation d’un diocèse
Le P. Emmanuel Blanc, vicaire épiscopal à Annecy (France), a témoigné de l’impulsion donnée par le « Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France » (TNOC).
En 2008, la préparation au mariage a connu un tournant dans le diocèse d’Annecy avec la prise de conscience que la préparation au mariage constitue un « moment privilégié » qui donne lieu à des « initiatives trop méconnues », et qu’en même temps il faudrait « mettre davantage à profit le temps entre demande et préparation », avec la mise en place d’un « chemin de type catéchuménal ».
En 2011, un parcours a été mis en place pour le diocèse, après contacts avec les 38 paroisses :
1 – L’accueil, qui permet de « se poser » : la qualité de la première rencontre étant décisive pour la suite du chemin ;
2 – Une session CPM, qui joue le rôle de « starter », avec partage sur la vie de couple, relecture du chemin parcouru ensemble, et implication des accompagnateurs en tant que croyants ;
3 – L’accompagnement se poursuit ensuite en paroisse, avec la rencontre d’un couple ou en groupe.
4 – L’entretien pastoral avec un prêtre ou un diacre, qui permet de faire une synthèse du chemin parcouru, à partir d’un « Carnet de route » remis aux fiancés en début de parcours. C’est l’occasion de « faire le point sur la déclaration d’intention », et le dossier administratif ; à ce stade, ce qui est important, c’est que le prêtre ne soit pas seulement « l’homme de la célébration » finale.
Trois modules catéchétiques (complémentaires) sont proposés en groupe, selon le calendrier paroissial :
1 – Proposition d’ouvrir la Bible, de prendre un temps en couple autour de la Parole de Dieu ;
2 – Des chrétiens expriment leur foi, à partir du Symbole des Apôtres ou d’une bénédiction nuptiale, pour comprendre ce qu’elle dit de Dieu ;
3 – Une rencontre avec la communauté paroissiale, par exemple lors d’une « messe des fiancés ».
Carnet de route des fiancés
Trois supports concrets soutiennent la démarche:
1. Le Livret de l’accompagnateur, qui trace les étapes et les pistes pour animer chacune d’elles (en cours de réédition) ;
2. Le Carnet de route des fiancés : il est important qu’au cours de la préparation, ils notent ce qui les marque, et fassent le lien entre les différentes étapes ; c’est aussi un support pour l’entretien pastoral avec le prêtre ;
3. La formation des accompagnateurs, sur 5 soirées : communication, accueil, mariage sacrement, rencontre, bible, parole de Dieu.
Après un an d’expérience les 38 paroisses ont été recontactées : elles ont constaté un « nouveau dynamisme », plus « d’unité », grâce au parcours, bien accueilli par les couples, notamment parce qu’il unifie les propositions ; les équipes sont « plus motivées » par le projet, par la formation commune. Avec des cas de figure très différents.
Dans certaines paroisses, la rencontre avec la communauté se fait de façon
plus élargie, par exemple avec des personnes au seuil de l’Eglise, avec des parents demandant le baptême enfants,… pour un temps de rencontre, de partage.
Le P. Blanc conclut en résumant les principaux défis : l’appel des accompagnateurs, l’utilisation du temps, l’utilisation de la Bible, une approche plus communautaire. Il souligne l’importance du « Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France », du « Documents-Episcopat » de juin 1994 (« Repères en pastorale sacramentelle et liturgique »), l’évolution quant à l’accueil et au témoignage des croyants. Un parcours qui est à la fois « proposition exigeante » et accompagnement par la foi de l’Eglise.
Pas « condamnés à divorcer »
Le P. Cédric Burgun, du diocèse de Metz (France), enseignant le Droit canonique à Paris, et juge ecclésiastique à Versailles, confronté donc aux demandes de déclaration de nullité de mariage, a témoigné de l’expérience de « l’Ecole de vie conjugale », dans la paroisse Saint-Nicolas-des-champs, à Paris, et qui s’adresse à des couples qui ne sont pas mariés religieusement, et qui veulent réfléchir sur leur vie commune « pour discerner et avancer vers un éventuel engagement ».
Moins d’un tiers des participants ont un projet de mariage en arrivant. Ce sont des personnes qui attendent une parole sur ce qu’ils vivent, ce qu’il est possible de vivre, et veulent se resituer dans l’« espace de l’engagement ».
Parfois, aucun couple dans leur famille ou amis n’a « tenu ». D’où les interrogations: « Suis-je enfermé dans une spirale d’échec de ma relation ? » « Suis-je condamné à divorcer ? » « Puis-je retrouver confiance ? » Autant de questions « en amont de la simple préparation au mariage ».
Il ne s’agit plus de discerner une connaissance théorique sur le mariage mais de « discerner si l’on peut tenir avec cette personne avec laquelle je vis hic et nunc ».
Il s’agit d’un « accompagnement » pour vérifier la « capacité à contracter mariage », la « maturité » nécessaire pour s’engager librement, à une époque où de nombreuses demandes de déclaration de nullité sont présentées pour « manque de maturité » des époux au moment du consentement.
Et au terme de leur cheminement, les couples peuvent découvrir « qu’ils ne sont « pas faits pour se marier tout de suite » ; ou bien qu’ils ne sont pas faits pour se marier l’un avec l’autre ; ou bien, au contraire, leur « capacité à tenir », en étant « renouvelés », « guéris », pour vivre une nouvelle « espérance ».
Ce qu’aucune autre institution ne propose
Les jeunes couples sont souvent blessés dans leur capacité d’engagement fait observer le Père Burgun. Ils appartiennent à une génération qui adopte dans la vie les comportements de la vie professionnelle, avec des contrats, des relations interchangeables, la « débrouille ». C’est une « génération crise », dans un « monde en crise » depuis leur naissance, et où tout est remis en question. Elle est donc « plus volatile », « connectée », « superficielle », marquée davantage par « l’instabilité familiale », ou la « dépendance à la pornographie », marquée par une certaine « immaturité ». (De nombreux procès en nullité sont motivés par l’immaturité psycho-affective des époux.)
Même les jeunes catholiques les plus engagés, connaissant la théologie mariage, ne sont pas épargnés : ils ne sont pas forcément « capables d’en vivre au quotidien », du fait de cette immaturité. La connaissance intellectuelle du mariage est une chose, la « capacité de s’engager » une autre. Et il faut « éduquer par un cheminement qui prend du temps sous le regard de Dieu ».
Le P. Burgun dit sa confiance : l’Eglise propose « ce qu’aucune autre institution ne propose » et cela « sera encore plus vrai à l’avenir ».