« Si un théologien ne me fait pas aimer Jésus, s’il n’y a pas cette amitié entre Jésus et moi, tout est inutile », souligne Mgr Adoukonou, pour qui Benoît XVI le fait « avec beaucoup de clarté ».
Mgr Barthélemy Adoukonou, secrétaire du Conseil pontifical de la culture, explique aux lecteurs de Zenit les objectifs d’un Symposium international pour théologiens africains de diverses universités catholiques européennes et académies, et du « Schülerkreis Joseph Ratzinger-Benoît XVI » qui a eu lieu du 16 au 21 septembre 2013, à Cotonou, au Bénin. (cf. Zenit du 26 septembre pour la première partie de l’entretien)
La rencontre entendait notamment permettre une appropriation pastorale et pédagogique de la trilogie « Jésus de Nazareth » de Joseph Ratzinger-Benoît XVI.
Zenit – Benoît XVI a-t-il été informé de cette initiative importante sur sa trilogie ?
Mgr Barthélemy Adoukonou – Oui, je suis allé le voir, il le sait, il est très heureux. Il en avait été informé par le président du « Schülerkreis », le Père Stephan Horn, et il a voulu me rencontrer. Je lui ai présenté le projet. Au Bénin et dans toute l’Afrique, il est très connu, ayant offert à l’épiscopat du continent l’exhortation apostolique Africae munus, et puis son fameux discours au palais présidentiel du Bénin, qui a tant fait réfléchir sur la politique. Le Bénin est aussi la patrie de son ami, le cardinal Gantin. Il est très aimé. Il a parlé de l’Église d’Afrique comme d’un poumon de l’humanité. Nous nous sentons très honorés de cette prophétie qu’il a faite sur l’Afrique comme l’espérance pour l’Église. Nous serons très heureux d’accueillir son message, d’une très grande clarté et beauté, surtout pour former nos formateurs. Aujourd’hui, nous manquons de formateurs qui habitent en Dieu. Ratzinger habite en Dieu : il ne parle pas théoriquement, il vit ce qu’il dit. Ratzinger est unique. Et on ne peut pas lire cette encyclique sans voir le lien avec les encycliques du pontificat.
La première est sur le contenu de la foi, Dieu est amour, Deus caritas est, dans laquelle il a présenté l’amour d’une façon si fascinante, en aussi peu de pages ; puis la seconde, Spe salvi, sur l’espérance, à laquelle est reliée la troisième, Caritas in veritate, où il fait de la gratuité le centre de l’économie : quand nous sommes dans une crise à cause de la spéculation financière, il a, lui, l’audace de proposer la gratuité comme concept central. Et enfin il a préparé, mais ne l’a pas publiée, Lumen fidei, reprise par le pape François. Il a donc passé son temps à enseigner : il a été professeur, pasteur, préfet de la Congrégation pour la doctrine, tout en enseignant, et une fois pape il a écrit ces encycliques… Cette trilogie a présenté Jésus comme le nouveau Moïse, toujours dans la contemplation du Père, entrant dans son regard pour regarder le monde : le regard de Jésus est celui du Père et la foi devient participation à ce regard du Père pour voir le monde de la même manière.
Quel héritage théologique et de pensée Joseph Ratzinger – Benoît XVI laisse-t-il à l’Église et au monde ?
Cinq minutes après l’annonce de sa renonciation au pontificat, je suis entré dans une joie incroyable, parce que j’ai pensé que, alors que tout le monde cherche le pouvoir, lui, il l’a laissé pour se cacher en Dieu dans la prière, pour faire grandir l’Église. Il est devenu ainsi une autorité. Une semaine plus tard, une amie, philosophe, m’a écrit que c’était ce qui s’appelle la « sainteté de l’intelligence ». Ce geste m’a semblé être sa dernière leçon magistrale mais aussi magistérielle. Comme le dit saint Thomas, l’élan de la foi se termine en Dieu. Pour moi, c’est une leçon théologique suprême, de très haut niveau. C’est un vrai savant, il a une intelligence qui est entièrement consacrée à Dieu, qui veut connaître Dieu et aider le monde à le connaître, à savoir qu’il est aimé de Dieu.
Existe-t-il en projet d’autres initiatives destinées à divulguer les œuvres et la pensée de Joseph Ratzinger ?
Je voudrais les partager avec toute l’Afrique ! Après cette rencontre à Cotonou, en langue française, il y en aura une autre en mars, à Morogoro, en Tanzani, en langue anglaise. Je pense que toutes les Églises devraient le faire. En cette Année de la foi, comment ne pas nous nourrir de quelque chose de substantiel ?
Une des œuvres du Schülerkreis est la toute nouvelle Académie missionnaire itinérante Joseph Ratzinger-Benoît XVI, qui a l’intention de proposer aux Églises « des périphéries » l’œuvre de Ratzinger. Je pense que cela vaut la peine de faire connaître le rapport entre foi et raison et la méthodologie qu’il propose, parce que c’est décisif pour toute l’Église. Nous avons l’occasion de divulguer la théologie de Ratzinger. Nous entretenons ce rêve. Les universités européennes sont tellement sécularisées ; aujourd’hui, la monoculture athée, sécularisée, s’impose à tous dans une violence silencieuse… Nous ne pouvons pas réduire la théologie aux sciences humaines : la méthode historico-critique ne suffit pas, il faut l’intégration avec la méthode canonique, qui permet de lire toute la Bible comme centrée sur l’événement de Dieu qui s’est fait homme en Jésus par amour pour nous les hommes. Ratzinger l’a fait avec beaucoup de clarté. Alors nous devons nous efforcer de porter ailleurs ce que nous avons ici de plus précieux. Cela me tient beaucoup à cœur. Une sœur m’a raconté que Karl Rahner l’avait adressée à Ratzinger pour sa thèse, en le définissant comme « le plus grand théologien allemand ». C’est vrai ! Si un théologien ne me fait pas aimer Jésus, s’il n’y a pas cette amitié entre Jésus et moi, tout est inutile.
Traduction d’Hélène Ginabat