L’œuvre de Benoît XVI « fournit un exemple pour réaliser l’inculturation, ce qui est le but des Églises non européennes, afin de véhiculer le message et la personne de Jésus dans leur culture », estime Mgr Adoukonou.
Un Symposium international pour théologiens africains de diverses universités catholiques européennes et académies, et du « Schülerkreis Joseph Ratzinger-Benoît XVI » a eu lieu du 16 au 21 septembre 2013, à Cotonou, au Bénin.
Mgr Barthélemy Adoukonou, secrétaire du Conseil pontifical de la culture et organisateur de la rencontre, explique aux lecteurs de Zenit les tenants et aboutissants du symposium, qui avait pour objectif de permettre une appropriation pastorale et pédagogique de la trilogie « Jésus de Nazareth » de Joseph Ratzinger-Benoît XVI.
Zenit – Excellence, vous avez été parmi les derniers élèves du professeur Ratzinger. Quels souvenirs conservez-vous de ces années ?
Mgr Barthélemy Adoukonou – Lorsque j’étais séminariste à l’université Urbaniana, j’étais un lecteur assidu de Ratzinger et de Rahner et, dans l’éventualité d’une thèse de théologie, j’aurais aimé la présenter avec l’un d’eux. Six ans plus tard, quand je me suis rendu en Allemagne, Rahner était déjà professeur émérite et j’ai écrit à Ratzinger, qui m’a aussitôt accueilli. Je suis allé le voir, j’ai suivi ses cours et les salles étaient toujours pleines. C’était un maître très brillant, tellement brillant qu’en l’écoutant tout le monde se sentait intelligent. Quand on lisait sa thèse de doctorat en théologie, écrite à l’âge de 24 ans, on se demandait comment il était possible de connaître tant de choses et avec une telle précision. En même temps, il était très humble. Nous percevions qu’il se mettait en retrait pour présenter Quelqu’un d’autre, c’était vraiment un théologien au service de la Révélation de Dieu en Jésus de Nazareth. Lorsque les rencontres de doctorants étaient organisées, il invitait toujours un enseignant qui n’appartenait pas à son école. C’était un théologien très ouvert, humble, brillant, qui mettait la foi au centre, ce à quoi la théologie doit s’appliquer.
Pourquoi un symposium sur « Jésus de Nazareth » au Bénin ?
Pour donner aux gens la possibilité de rencontrer un grand maître de théologie, mais aussi un pasteur de son niveau, évêque, puis pape et maintenant pape émérite. Cela vaut la peine de présenter son dernier livre qui est le sommet de sa théologie.
À qui s’est adressé le Symposium et quels étaient ses objectifs ?
Notre intention était de rencontrer non seulement les universitaires, les séminaires majeurs, les facultés de théologie et les différents instituts, mais aussi des personnes de culture normale, toutes celles qui ont envie de faire une rencontre avec le Christ, qui vivent l’Année de la foi, dans le cadre des célébrations du cinquantième anniversaire du concile Vatican II. Cette rencontre était non seulement pour les savants mais aussi pour les pasteurs et pour tous ceux qui cherchent le Christ aujourd’hui. Il s’est agi en quelque sorte d’une méditation interculturelle sur le message et la figure de Jésus de Nazareth. Et je crois que Ratzinger – théologien européen qui a su opérer l’inculturation de la foi dans la culture moderne, tandis qu’en Europe on enregistre un divorce entre culture et foi – nous fournit un exemple pour réaliser l’inculturation, ce qui est le but des Églises non européennes, afin de véhiculer le message et la personne de Jésus dans leur culture. Ratzinger a accompli pendant cinquante ans un immense travail : c’est un bien commun pour nous tous, une théologie aussi féconde pour la vie spirituelle. Ratzinger sera de plus en plus aimé chez nous. Un théologien, un pape… Pour moi, c’est un saint !
D’après vous, quelle est la valeur de la trilogie sur Jésus dans l’ensemble de la production de Ratzinger ?
Il me semble que cette trilogie est importante et belle. Le regretté cardinal Martini avait rêvé d’écrire une synthèse sur Jésus de Nazareth, mais il était très heureux que ce livre ait été déjà écrit par Ratzinger ; il souhaitait à tous d’éprouver la même joie que lui.
Pour nous, la question herméneutique sera toujours très importante : nous utilisons la méthode historico-critique mais Ratzinger, pour la compléter, a aussi utilisé la méthode canonique, ouverte à la Tradition. Pour Vatican II, l’Écriture doit devenir toute l’âme de la théologie. Ratzinger applique avec clarté une méthodologie qui met toujours en relation le contenu de la foi et la vie, et ceci a un poids inestimable. Nous, en Afrique, nous avons un grand besoin de cette « ratio formationis », qui devrait être pensée à fond et inculturée, contextualisée. Avec Ratzinger, nous n’avons pas seulement les principes, les méthodes : il les a mis en pratique, il en a obtenu un fruit si consistant que nous voulons tous nous en nourrir. Je crois que cela vaut la peine de s’en inspirer pour créer notre « ratio formationis » pour nos séminaires, nos universités, mais aussi pour la pastorale concrète. Ce sera d’une très grande utilité.
Quels ont été les thèmes essentiels qui alimenteront la réflexion de ce symposium ?
Le symposium s’est déroulé en deux temps : pendant trois jours, la lecture de la trilogie, avec une quarantaine de participants ; puis trois autres journées avec un symposium de théologie sur divers arguments, pour lequel nous avons dépassé la centaine de participants, avec aussi des personnes venant d’ailleurs que du Bénin.
Parmi les thèmes abordés, la question herméneutique, la prière de Jésus et la christologie de Ratzinger, sa spiritualité christocentrique, son ecclésiologie, qui le rend si proche des Africains. L’Église africaine est entrée dans le domaine de la théologie à travers l’ecclésiologie parce que, au premier Synode pour l’Afrique, elle a fait le choix de s’édifier elle-même et d’aider l’Église tout entière à se construire comme famille de Dieu. Cette famille de Dieu suppose le corps fraternel du Christ, celui qui est né de la résurrection. Ce corps est le lieu où s’est manifestée, à mon avis, l’ecclésiologie typiquement « ratzingérienne » : substitution et communion. Jésus est le descendant d’Abraham, avec qui Dieu a noué l’alliance (Genèse 22). Dieu a donné un fils, un descendant, qui est le Christ : c’est l’unique alliance qui fait la synthèse de toutes les autres alliances et en Jésus, il y a vraiment cette substitution du fils de Dieu, son fils unique, au fils d’Abraham, Isaac. C’est lui qui acceptera d’élargir l’humanité et de la racheter. Je pense que l’ecclésiologie de Ratzinger est très importante parce que, avec le concept de famille, de corps du Christ, nous sommes très proches de lui.
A suivre…
Traduction d’Hélène Ginabat