"Ce que vous dites sur Jésus n'est pas digne de votre niveau scientifique"

Réponse au prof. Odifreddi, mathématicien italien

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« Ce que vous dites sur la figure de Jésus n’est pas digne de votre niveau scientifique »: le pape émérite Benoît XVI répond point par point, et non moins cordialement, au livre d’un mathématicien italien athée, le prof. Piergiorgio Odifreddi qui met en cause son livre sur Jésus de Nazareth et sa gestion de la crise des prêtres pédophiles.

Il conclut : « Cher Professeur, ma critique de votre livre est dure en partie. Mais la franchise fait partie du dialogue ; c’est seulement ainsi que la connaissance peut grandir. Vous avez été très franc et vous accepterez donc que je le sois moi aussi. Quoi qu’il en soit, je considère comme très positif le fait que, à travers votre confrontation à mon « Introduction au christianisme », vous ayez recherché un dialogue aussi ouvert avec la foi de l’Église catholique et que, malgré tous les désaccords, dans l’ensemble, les convergences ne manquent nullement ».

La fonction de la théologie

Défendant l’importance de la théologie il rappelle sa fonction : « Une fonction importante de la théologie est de garder la religion reliée à la raison, et la raison à la religion. Ces deux fonctions sont d’une importance « essentielle pour l’humanité.

Il répond aux accusations quant à sa gestion des cas de pédophilie : « Quant à ce que vous dites à propos des abus sur les mineurs de la part de prêtres, comme vous le savez, je ne peux en prendre acte qu’avec une profonde consternation. Je n’ai jamais cherché à cacher ces choses-là. »

Il ajoute : « Le fait que le pouvoir du mal pénètre à ce point dans le monde intérieur de la foi est pour nous une souffrance que, d’une part, nous devons supporter, tandis que de l’autre, nous devons en même temps faire tout notre possible pour que des cas de ce genre ne se reproduisent pas. »

Le bien dont l’humanité est dredevable au christianisme

Il réfute la thèse selon laquelle le péché abonderait dans le clergé, mais pas en dehors, statistiques à l’appui : « Ce n’est pas non plus un motif de réconfort de savoir que, d’après les recherches des sociologues, le pourcentage des prêtres coupables de ces crimes n’est pas supérieur à celui des autres catégories professionnelles assimilables. En tous cas, on ne devrait pas afficher cette déviation comme s’il s’agissait d’une déviation propre au catholicisme. »

Il rappelle tous les bien dont l’humanité est redevable au christianisme et aux saints, de saint Benoît à Mère Teresa: « S’il n’est pas juste de se taire sur le mal dans l’Église, on ne doit pas pour autant passer sous silence le grand sillage lumineux de bonté et de pureté que la foi chrétienne a tracé au long des siècles. »

Quant à la figure de Jésus, le pape émérite n’hésite pas à dire son étonnement devant une réelle ignorance en contraste avec la personnalité de son interlocuteur : « Ce que vous dites sur la figure de Jésus n’est pas digne de votre niveau scientifique. Si vous posez la question comme si on ne savait rien, au fond, sur Jésus et comme si rien de lui, en tant que personnage historique, n’était vérifiable, alors je ne peux que vous inviter avec fermeté à vous rendre un peu plus compétent d’un point de vue historique. »

Surtout, l’auteur de « Deus Caritas est » fait observer au mathématicien que l’amour est absent de son texte…

Nous publions ci-dessous notre traduction intégrale des passages cités par le quotidien italien. Les intertitres sont de notre rédaction.

Anita Bourdin

Extraits publiés par La Repubblica

Ratzinger : « Cher Monsieur Odifreddi, je vais vous raconter qui était Jésus »

La foi, la science, le mal. Un dialogue à distance entre Benoît XVI et le mathématicien

Cher Professeur Odifreddi, (…) je tiens à vous remercier d’avoir cherché, jusque dans les moindres détails, à vous confronter à mon livre, et ainsi à ma foi ; c’est justement, en grande partie, ce que j’avais voulu dire dans mon discours à la Curie romaine à l’occasion de Noël 2009. Je dois aussi vous remercier pour la loyauté avec laquelle vous avez traité mon texte, en cherchant sincèrement à lui rendre justice.

Cependant mon jugement sur votre livre, dans l’ensemble, est en soi plutôt contrasté. J’en ai lu certaines parties avec plaisir et profit. Dans d’autres parties, en revanche, j’ai été surpris par une certaine agressivité et par le caractère peu réfléchi de votre argumentation.

Pas de théologie science-fiction

À plusieurs reprises, vous me faites remarquer que la théologie serait de la science-fiction. À ce propos, je m’étonne que vous considériez malgré cela mon livre digne d’une discussion aussi détaillée. Permettez-moi de vous proposer plusieurs points en réponse à cette question :

1. Il est correct d’affirmer que seules les mathématiques sont une « science » au sens strict du mot, tandis que j’ai appris de vous que là aussi il faudrait distinguer encore entre l’arithmétique et la géométrie. Dans toutes les matières scientifiques, la scientificité a chaque fois sa forme propre, selon la particularité de son objet. L’essentiel est qu’elle applique une méthode vérifiable, qu’elle exclut l’arbitraire et garantisse la rationalité dans ses différentes modalités.

2. Vous devriez au moins reconnaître que, dans le domaine historique et dans celui de la pensée philosophique, la théologie a produit des résultats durables.

3. Une fonction importante de la théologie est de garder la religion reliée à la raison, et la raison à la religion. Ces deux fonctions sont d’une importance essentielle pour l’humanité. Dans mon dialogue avec Habermas, j’ai montré qu’il existe des pathologies de la religion et, tout aussi dangereuses, des pathologies de la raison. Elles ont besoin l’une de l’autre, et les maintenir continuellement en lien est une tâche importante de la théologie.

4. La science-fiction existe, dans de nombreux domaines scientifiques. Ce que vous exposez sur les théories du commencement et de la fin du monde chez Heisenberg, Schrödinger, etc., je l’appellerais science-fonction dans le bon sens du terme : ce sont des visions et des anticipations, pour atteindre à une véritable connaissance mais précisément ce sont uniquement des imaginations par lesquelles nous cherchons à nous approcher de la réalité. Il existe, du reste, une science-fiction de grand style, justement aussi à l’intérieur de la théorie de l’évolution. Le gêne égoïste de Richard Dawkins est un exemple classique de science-fiction. Le grand Jacques Monod a écrit des phrases qu’il aura lui-même certainement insérées dans son œuvre uniquement comme de la science-fiction. Je le cite : « Si les vertébrés tétrapodes sont apparus… c’est à l’origine parce qu’un poisson primitif a choisi d’aller explorer la terre où il ne pouvait cependant se déplacer qu’en sautillant maladroitement créant ainsi, en conséquence de cette modification de comportement, la pression sélective grâce à laquelle se développeraient les membres solides des tétrapodes. Parmi les descendants de cet audacieux explorateur, de ce Magellan de l’évolution, quelques uns peuvent courir à une vitesse supérieure à 70 km/h… » (d’après l’édition italienne Il caso et la necessità, Milan 2001, pp. 117 et suivantes).

Pas une déviation propre au catholicisme

Sur tous les thèmes discutés jusqu’à maintenant, il s’agit d’un dialogue sérieux dont, comme je l’ai déjà dit à diverses reprises, je vous suis reconnaissant. Il n’en va pas de même dans le chapitre sur le prêtre et sur la morale catholique, et encore moins dans les chapitres sur Jésus. Quant à ce que vous dites à
propos des abus sur les mineurs de la part de prêtres, comme vous le savez, je ne peux en prendre acte qu’avec une profonde consternation. Je n’ai jamais cherché à cacher ces choses-là. Le fait que le pouvoir du mal pénètre à ce point dans le monde intérieur de la foi est pour nous une souffrance que, d’une part, nous devons supporter, tandis que de l’autre, nous devons en même temps faire tout notre possible pour que des cas de ce genre ne se reproduisent pas. Ce n’est pas non plus un motif de réconfort de savoir que, d’après les recherches des sociologues, le pourcentage des prêtres coupables de ces crimes n’est pas supérieur à celui des autres catégories professionnelles assimilables. En tous cas, on ne devrait pas afficher cette déviation comme s’il s’agissait d’une déviation propre au catholicisme.

S’il n’est pas juste de se taire sur le mal dans l’Église, on ne doit pas pour autant passer sous silence le grand sillage lumineux de bonté et de pureté que la foi chrétienne a tracé au long des siècles. Il faut se souvenir de la grandeur et de la pureté des figures que la foi a produites, de Benoît de Nursie et sa sœur Scolastique à François et Claire d’Assise, à Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, aux grands saints de la charité comme Vincent de Paul et Camille de Lellis jusqu’à Mère Teresa de Calcutta et aux grandes et nobles figures de Turin au dix-neuvième siècle. Il est vrai aussi aujourd’hui que la foi pousse de nombreuses personnes à l’amour désintéressé, au service des autres, à la sincérité et à la justice. (…)

Le « Jésus historique », miroir des idées des auteurs

Ce que vous dites sur la figure de Jésus n’est pas digne de votre niveau scientifique. Si vous posez la question comme si on ne savait rien, au fond, sur Jésus et comme si rien de lui, en tant que personnage historique, n’était vérifiable, alors je ne peux que vous inviter avec fermeté à vous rendre un peu plus compétent d’un point de vue historique. Je vous recommande surtout, à cette fin, les quatre volumes que Martin Hengel (exégète de la Faculté théologique protestante de Tübingen) a publiés avec Maria Schwemer : c’est un excellent exemple de précision historique et de très ample information historique. Face à cela, ce que vous dites de Jésus est une manière de parler irréfléchie que vous ne devriez pas répéter. Qu’en exégèse beaucoup de choses aient été écrites avec un manque de sérieux, c’est malheureusement un fait incontestable. Le séminaire américain que vous citez à la page 105 et aux pages suivantes ne fait que confirmer à nouveau ce qu’Albert Schweitzer avait fait remarquer au sujet de la « Leben-Jesu-Forschung » (Recherche sur la vie de Jésus), à savoir que le soi-disant « Jésus historique » est au mieux le miroir des idées des auteurs. Mais de telles formes mal réussies de travail historique ne compromettent en rien l’importance de la recherche historique sérieuse qui nous a conduits à des connaissances vraies et sures au sujet de l’annonce et de la figure de Jésus.

(…) Par ailleurs, je dois rejeter avec force votre affirmation (p. 126) selon laquelle j’aurais présenté l’exégèse historico-critique comme un instrument de l’antéchrist. Au sujet du récit des tentations de Jésus, j’ai simplement repris la thèse de Soloviev, selon laquelle l’exégèse historico-critique peut être utilisée aussi par l’antéchrist – ce qui est un fait incontestable. Mais en même temps, j’ai toujours éclairci de manière évidente, – en particulier dans le préambule du premier volume de mon livre sur Jésus de Nazareth – que l’exégèse historico-critique est nécessaire pour une foi qui ne propose pas des mythes avec des images historiques, mais qui exige une véritable historicité et doit pour cela présenter aussi de manière scientifique la réalité historique de ses affirmations. C’est pourquoi il n’est pas non plus correct de dire que je me suis uniquement intéressé à la métahistoire ; bien au contraire, tous mes efforts ont pour objectif de montrer que le Jésus décrit dans les Évangiles est aussi le Jésus historique réel, qu’il s’agit d’une histoire qui est réellement arrivée. (…)

L’amour, dans votre livre, n’apparaît pas

Au 19èmechapitre de votre livre, nous revenons à des aspects positifs de votre dialogue avec ma pensée. (…) Bien que votre interprétation de Jean 1,1 soit très loin de ce que l’évangéliste voulait dire, il existe toutefois une convergence qui est importante. Mais si vous voulez substituer Dieu avec « la Nature », la question de savoir qui est ou ce qu’est cette nature reste en suspens. Nulle part vous ne la définissez et elle apparaît donc comme une divinité irrationnelle qui n’explique rien. Mais je voudrais surtout vous faire encore remarquer que dans votre religion des mathématiques, trois thèmes fondamentaux de l’existence humaine ne sont pas abordés : la liberté, l’amour et le mal. Je suis surpris que vous liquidiez d’un geste la liberté qui a pourtant été, et est encore, la valeur porteuse de l’époque moderne. L’amour, dans votre livre, n’apparaît pas et sur le mal non plus il n’y a aucune information. Quel que soit ce que dit ou ne dit pas la neurobiologie sur la liberté, dans le drame réel de notre histoire, elle est présente comme une réalité déterminante et doit être prise en considération. Mais votre religion mathématique ne connaît aucune information sur le mal. Une religion qui laisse de côté ces questions fondamentales demeure vide.

Cher Professeur, ma critique de votre livre est dure en partie. Mais la franchise fait partie du dialogue ; c’est seulement ainsi que la connaissance peut grandir. Vous avez été très franc et vous accepterez donc que je le sois moi aussi. Quoi qu’il en soit, je considère comme très positif le fait que, à travers votre confrontation à mon « Introduction au christianisme », vous ayez recherché un dialogue aussi ouvert avec la foi de l’Église catholique et que, malgré tous les désaccords, dans l’ensemble, les convergences ne manquent nullement.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations cordiales et vous adresse tous mes vœux pour votre travail.

Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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