« L’évêque est un homme de communion, un homme d’unité », rappelle le pape François aux évêques récemment nommés réunis en congrès à Rome. Il met en garde contre le danger du carriérisme et indique trois attitudes repères : « accueillir avec magnanimité », « marcher avec le troupeau », « rester avec son troupeau ».
Il invite notamment à « l’affection pour les prêtres », à « la présence dans le diocèse » et à « l’humilité », « l’austérité » et à « l’essentialité »
Le pape François a en effet reçu à midi, ce jeudi 19 septembre, les quelque 120 évêques récemment nommés participant au Congrès promu par la Congrégation pour les évêques et par la Congrégation pour les Églises orientales, à l’athénée Regina Apostolorum. Parmi eux 26 évêques de rite oriental catholique, deux évêques syriens et des évêques maronites, dont Mgr Nasser Gemayel, évêque de l’éparchie de Notre-Dame du Liban de Paris des Maronites. Le pape a invité à prier pour la paix en Syrie.
Discours du pape François
Le psaume nous dit : « Voyez ! Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble ! » (Ps 132,1).
Je pense que vous avez fait l’expérience de la vérité de ces paroles au cours de ces journées passées à Rome, en vivant une expérience de fraternité : fraternité qui est favorisée par l’amitié, par le fait de se connaître, d’être ensemble, mais qui est donnée surtout par les liens sacramentaux de la communion dans le collège épiscopal et avec l’évêque de Rome. Que cette réalité d’un « seul corps » que vous formez vous oriente dans votre travail quotidien et vous pousse à vous demander : Comment vivre l’esprit de collégialité et de collaboration dans l’épiscopat ? Comment être des bâtisseurs de communion et d’unité dans l’Église que le Seigneur m’a confiée ? L’évêque est un homme de communion, un homme d’unité, « principe visible et fondement d’unité » (Vat. II, Lumen gentium, 23).
Chers frères dans l’épiscopat, je vous salue un par un, évêques latins et orientaux : vous montrez la grande richesse et variété de l’Église ! Je remercie le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, pour les salutations qu’il m’a adressées, en votre nom aussi, et pour avoir organisé ces journées pendant lesquelles vous êtes pèlerins auprès du tombeau de Pierre pour renforcer la communion et pour prier et réfléchir sur votre ministère. Je salue avec lui le cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales, et le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, ainsi que Mgr Lorenzo Baldisseri, infatigable artisan de ces événements.
« Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu ; non pour un gain sordide, mais avec l’élan du cœur ; non pas en faisant les seigneurs à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau. » (1 Pi 5,2). Que ces paroles de saint Pierre soient gravées dans vos cœurs ! Nous sommes appelés et constitués pasteurs, non pas pasteurs par nous-mêmes, mais par le Seigneur, et non pas pour nous servir nous-mêmes, mais pour le troupeau qui nous a été confié, pour le servir jusqu’à donner notre vie comme le Christ, le Bon Pasteur (cf. Jn 10,11).
Que signifie paître, avoir « un soin habituel et quotidien de [vos] brebis » (Vat. II, Lumen gentium, 27) ? Trois brèves pensées. Paître signifie accueillir avec magnanimité, marcher avec le troupeau, rester avec le troupeau. Accueillir, marcher, rester.
1. Accueillir avec magnanimité. Que votre cœur soit assez grand pour savoir accueillir tous les hommes et toutes les femmes que vous rencontrerez au cours de vos journées et que vous irez chercher lorsque vous vous mettrez en chemin dans vos paroisses et dans chaque communauté. Dès maintenant, demandez-vous : ceux qui frapperont à la porte de ma maison, comment la trouveront-ils ? S’ils la trouvent ouverte, à travers votre bonté, votre disponibilité, ils expérimenteront la paternité de Dieu et ils comprendront que l’Église est une bonne mère qui accueille et qui aime toujours.
2. Marcher avec le troupeau. Accueillir avec magnanimité, marcher. Accueillir tout le monde pour marcher avec tous. L’évêque est en marche avec et dans son troupeau. Cela veut dire se mettre en route avec ses fidèles et avec tous ceux qui s’adresseront à vous, partageant leurs joies et leurs espérances, leurs difficultés et leurs souffrances, comme des frères et des amis, mais plus encore comme des pères, qui sont capables d’écouter, de comprendre, d’aider, d’orienter. Cheminer ensemble exige de l’amour et notre service est un service d’amour,amoris officium disait saint Augustin. (In Io. Ev. Tract. 123,5 : PL 35, 1967).
a. Et dans cette marche, je voudrais rappeler l’affection pour vos prêtres. Vos prêtres sont votre premier prochain ; le prêtre est le premier prochain de l’évêque – aimez votre prochain, mais le premier prochain est celui-ci -, indispensable collaborateur auprès de qui chercher conseil et aide, de qui prendre soin comme un père, un frère et un ami. Parmi les premiers devoirs que vous ayez, il y a le souci spirituel du collège des prêtres, mais n’oubliez pas les besoins humains de chacun d’entre eux, surtout dans les moments plus délicats et importants de leur ministère et de leur vie. Le temps passé avec les prêtres n’est jamais perdu ! Recevez-les quand ils le demandent ; ne laissez pas un appel téléphonique sans réponse. Quand je prêchais des retraites à des prêtres, je les ai souvent entendu dire – je ne sais pas si c’est vrai, mais je l’ai si souvent entendu dans ma vie – « Bah ! J’ai appelé l’évêque et son secrétaire me dit qu’il n’a pas le temps de me recevoir ». Et ceci pendant des mois et des mois. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais si un prêtre appelle son évêque, le jour même, ou au moins le lendemain, un coup de fil : « J’ai entendu, que veux-tu ? Maintenant je ne peux pas te recevoir, mais nous allons essayer de trouver une date ». S’il vous plaît, qu’il sente que son père lui répond. Sinon, le prêtre peut penser : « Mais, celui-ci, ça lui est égal ; ce n’est pas un père, c’est un chef de service ! ». Réfléchissez bien à cela. Ce serait une belle décision : lors d’un appel d’un prêtre, si je ne peux pas le jour même, répondre au moins le lendemain. Et puis voir quand c’est possible de le rencontrer. Être dans une proximité continuelle, en contact continu avec eux.
b. Et puis la présence dans le diocèse. Dans l’homélie de la messe chrismale de cette année, je disais que les pasteurs doivent avoir « l’odeur de leurs brebis ». Soyez des pasteurs avec l’odeur de vos brebis, soyez présents au milieu de votre peuple comme Jésus, le Bon Pasteur. Votre présence n’est pas secondaire, elle est indispensable. La présence ! C’est le peuple lui-même qui la demande, qui veut voir son évêque marcher avec lui, être proche de lui. Il en a besoin pour vivre et pour respirer ! Ne vous enfermez pas ! Descendez au milieu de vos fidèles, et aussi dans les périphéries de vos diocèses et dans toutes les « périphéries existentielles » où existent la souffrance, la solitude, la dégradation humaine. Présence pastorale veut dire marcher avec le peuple de Dieu : marcher devant, en indiquant le chemin, en indiquant la voie ; marcher au milieu, pour le fortifier dans l’unité ; marcher derrière, soit pour que personne ne reste en arrière, mais surtout pour suivre le flair qu’a le peuple de Dieu pour trouver de nouvelles routes. Un évêque qui vit au milieu de ses fidèles a les oreilles ouvertes pour écouter « ce que l’Esprit
dit aux Églises » (Ap 2,7) et la « voix des brebis », y compris à travers ces organismes diocésains qui ont la tâche de conseiller l’évêque, en promouvant un dialogue loyal et constructif. On ne peut pas imaginer un évêque qui n’ait pas ces organismes diocésains : conseil presbytéral, conseillers, conseil pastoral, conseil des affaires économiques. Cela veut dire être justement avec son peuple. Cette présence pastorale vous permettra de connaître à fond la culture, les usages, les coutumes de votre territoire, la richesse de sainteté qui y est présente. S’immerger dans son troupeau !
c. Et ici je voudrais ajouter : que le style de service rendu au troupeau soit celui de l’humilité, je dirais aussi de l’austérité et de l’essentialité. S’il vous plaît, nous autres, pasteurs, ne soyons pas des hommes avec une « psychologie de princes » – s’il vous plaît – des hommes ambitieux, qui sont l’époux de cette Église en attendant une autre plus belle ou plus riche. Mais ceci est un scandale ! Si quelqu’un vient se confesser et te dit : « Je suis marié, je vis avec ma femme, mais je regarde continuellement cette autre femme qui est plus belle que la mienne : c’est un péché, mon Père ? ». L’Évangile dit : c’est un péché d’adultère. Y a-t-il un « adultère spirituel » ? Je ne sais pas, réfléchissez-y. Ne pas être dans l’attente d’une autre plus belle, plus importante, plus riche. Faites bien attention à ne pas tomber dans l’esprit de carriérisme ! C’est un fléau, ça ! Ce n’est pas seulement par la parole, mais aussi et surtout par le témoignage concret de notre vie que nous sommes des maîtres et des éducateurs pour notre peuple. L’annonce de la foi demande de conformer sa vie à ce que l’on enseigne. La mission et la vie sont inséparables (cf. Jean-Paul II, Pastores gregis, 31). C’est une question que nous devons nous poser tous les jours : est-ce que ce que je vis correspond à ce que j’enseigne ?
3. Accueillir, marcher. Et le troisième et dernier élément : rester avec son troupeau. Je fais référence à la stabilité, qui a deux aspects précis : « rester » dans son diocèse, et rester dans « ce » diocèse, comme je l’ai dit, sans chercher des changements ou des promotions. On ne peut vraiment connaître comme pasteurs son troupeau, marcher devant, au milieu de lui ou derrière lui, prendre soin de lui par l’enseignement, l’administration des sacrements et le témoignage de vie, si l’on ne reste pas dans le diocèse. En ce sens, le concile de Trente est très actuel : la résidence. Notre époque nous permet de voyager, de nous déplacer facilement d’un point à un autre, c’est une époque où les relations sont rapides, c’est l’époque d’internet. Mais l’antique loi de la résidence n’est pas passée de mode ! Elle est nécessaire pour un bon gouvernement pastoral (Directoire Apostolorum Successores, 161). Certes, il y a une sollicitude pour les autres Églises et pour l’Église universelle qui peuvent demander de s’absenter du diocèse, mais que ce soit pour un temps limité et pas une habitude. Voyez-vous, la résidence n’est pas seulement demandée en vue d’une bonne organisation, ce n’est pas un élément fonctionnel ; elle a des racines théologiques ! Vous êtes l’époux de votre communauté, profondément liés à elle ! Je vous demande, s’il vous plaît, de rester au milieu de votre peuple. Rester, rester… Évitez le scandale d’être des « évêques d’aéroport » ! Soyez des pasteurs accueillants, en chemin avec votre peuple, avec affection, avec miséricorde, avec douceur et une fermeté paternelle, avec humilité et discrétion, en étant capables de regarder aussi vos limites et d’avoir une bonne dose d’humour. C’est une grâce que nous devons demander, nous les évêques. Nous devons tous demander cette grâce : Seigneur, donne-moi le sens de l’humour. Trouver le moyen de rire de soi, d’abord, et un peu des choses. Et restez avec votre troupeau !
Chers confrères, en rentrant dans vos diocèses, portez à tous mes salutations, en particulier aux prêtres, aux consacrés et aux consacrées, aux séminaristes, à tous les fidèles, à ceux qui ont davantage besoin de la proximité du Seigneur.
La présence, comme l’a dit le cardinal Ouellet, de deux évêques syriens nous pousse encore une fois à demander ensemble à Dieu le don de la paix. La paix pour la Syrie, la paix pour le Moyen-Orient, la paix pour le monde ! S’il vous plaît, souvenez-vous de prier pour moi ; je le fais pour vous. À chacun de vous et à vos communautés, je donne de tout cœur ma bénédiction. Merci.
Traduction de ZENIT, Hélène Ginabat