« L’amitié entre les deux Pays est une condition nécessaire pour la paix en Europe », titre L’Osservatore Romano en italien des 21-22 janvier 2013, à l’occasion du 50e anniversaire du Traité de l’Elysée, et pour cet entretien avec les ambassadeurs d’Allemagne et de France près le Saint-Siège, respectivement MM. Reinhard Schweppe et Bruno Joubert.
Pour M. Schweppe, « la collaboration franco-allemande est une source d’énergie ». Voici notre traduction de cet entretien qui manifeste l’intérêt de Benoît XVI, du Saint-Siège, mais aussi du lecteur italien pour la marche de l’Europe et ce modèle de réconciliation.
Nous publions ces entretiens à l’occasion du congrès qui s’est tenu, le 7 février, à l’Université pontificale Grégorienne (cf. Zenit du 7 février et le message du cardinal Tarcisio Bertone que nous publions également aujourd’hui) pour marquer cet anniversaire.
Entretien avec les ambassadeurs de France et d’Allemagne
à l’occasion des 50 ans du Traité de l’Elysée
Les fruits de la réconciliation (I/II)
L’amitié entre les deux Pays est une condition nécessaire pour la paix en Europe
Le sommet d’un processus politique entrepris pour fermer un chapitre long et douloureux: celui d’un siècle d’affrontements marqué par trois guerres. C’est ce que fut le Traité de l’Elysée signé par la France et l’Allemagne le 22 janvier 1963. D’un point de vue symbolique, et pas seulement historique, l’accord de coopération scellé à Paris par le général Charles de Gaulle, pour la partie française, et par le chancelier Konrad Adenauer, pour la partie allemande, constitue en effet le temps fort du chemin de réconciliation entrepris par les deux Nations après s’être durement combattues. Mais il est aussi l’élément fondamental d’un processus d’intégration européen plus vaste auquel d’autres grandes personnalités politiques catholiques comme Alcide De Gasperi, Robert Schuman et Jean Monnet, était en train de donner forme au lendemain de la seconde guerre mondiale.
A l’occasion des cinquante ans du Traité, les ambassadeurs de France et de République fédérale allemande près le Saint-Siège, Bruno Joubert et Reinhard Schweppe, ont participé, le 17 janvier, à une table ronde, organisée dans les bureaux de « L’Osservatore Romano» et à laquelle ont pris part le secrétaire de rédaction, Gaetano Vallini, le rédacteur en chef, Piero Di Domenicantonio, les responsables des éditions hebdomadaires française et allemande, Jean-Michel Coulet et Astrid Haas, le coordinateur du service international, Giuseppe Fiorentino, et notre directeur. Au cours de la rencontre — inédite pour notre journal — les deux ambassadeurs ont accordé un entretien en exclusivité.
Le Traité de l’Elysée a été signé dans le contexte d’une Europe profondément blessée par les guerres. Dans quelle mesure l’amitié franco allemande, ratifiée à Paris il y a cinquante ans, a-t-elle conduit l’Europe, théâtre de guerre, à se transformer en médiatrice de paix ?
Joubert Après trois guerres meurtrières en Europe, la réconciliation franco-allemande est apparue comme une condition sine qua non pour instaurer la paix sur le continent. Le Traité répondait à trois objectifs, exposés dans la Déclaration commune qui l’accompagne: sceller la réconciliation franco-allemande; créer entre les deux pays une véritable amitié, et ainsi favoriser la « construction d’une Europe unie, qui est le but des deux peuples ». Cet objectif a été réaffirmé en 2003, à l’occasion du 40e anniversaire du Traité, qui a permis de consolider ces relations, de manière permanente et intense. Il a servi de catalyseur à toutes les initiatives franco-allemandes qui sont à l’origine des progrès obtenus durant cette construction européenne. L’élément essentiel de ces relations franco-allemandes est la volonté d’accepter des compromis, de chercher à tout moment, par le dialogue et la discussion, une solution de compromis qui permette d’avancer, au-delà d’inévitables difficultés et d’intérêts qui ne correspondent pas toujours.
Schweppe Pendant des siècles l’Europe a été déchirée par des conflits dont les affrontements entre l’Allemagne et la France ont souvent constitué le cœur. Tout cela fut une grande tragédie qui a fait coulé beaucoup de sang. L’entente franco-allemande a mis fin aux conflits et rendu l’Union européenne possible. Cette dernière fut un modèle efficace et sans précédents pour obtenir la paix, la stabilité et le bien-être. L’entente franco-allemande et l’Union européenne qui en découle sont fortement influencées par le patrimoine des idéaux chrétiens. Encore aujourd’hui en Europe, il existe des intérêts opposés. Mais à la différence d’autrefois, ceux-ci ne s’expriment plus par des guerres, mais plutôt de manière pacifique, se résolvant souvent par un compromis. Je souhaite mieux m’expliquer. J’ai une certaine expérience. Je suis dans la diplomatie depuis trente-sept ans. Dès le début, j’ai toujours eu à traiter avec des diplomates français. Sur la base de mon expérience, lorsqu’on ouvre des négociations avec nos homologues français, les positions de départ sont souvent très éloignées. Mais les deux parties abordent ces entretiens avec cette même volonté ferme d’arriver à un résultat. Et à la fin, on l’obtient, même si tout ce que l’on a finalement pu trouver c’est un compromis. Et tout cela, dans l’Union européenne, c’est incontournable si l’on veut faire du bon travail.
50 ans plus tard, quelles sont les perspectives de cette collaboration entre vos deux pays?
Joubert L’intensité et la diversité de la coopération franco-allemande n’ont pas d’égal, au plan politique, économique, commercial, industriel, scientifique, éducatif et culturel. C’est d’ailleurs un des points spécifiques de l’accord de 1963 que de prévoir également un rapprochement des sociétés civiles et pas seulement celui des institutions. Il s’est créé tout un réseau sans précédent d’institutions bilatérales, d’associations, de jumelages, qui anime et enrichit cette coopération. En 2010 un Agenda franco-allemand pour 2020 a été adopté, fixant 80 objectifs concrets et qui s’articulent en six grands chapitres, allant de l’économie à l’énergie, du climat à l’éducation, de la politique étrangère et de la défense au cadre institutionnel.
Schweppe Par expérience per personnelle, je dis que la collaboration franco-allemande est une source d’énergie. Je pourrais citer une autre image : celle d’un arbre qui produit toujours de nouveaux bourgeons. Une collaboration toujours ouverte à de nouveaux champs d’action. Mais je voudrais souligner un point en particulier : 80 à 90% des discussions franco-allemandes concernent des questions européennes ; 10% seulement sont purement bilatérales. Dans ces 90% nous sommes profondément conscients d’une chose : nous ne voulons pas d’un directoire au sein de l’Union européenne. Tous les partenaires sont égaux. Nous pouvons contribuer avec nos idées au processus décisionnel européen, mais, en dernière analyse, nous sommes 27 à nous asseoir à la même table, dotés des mêmes droits. Et cette idée est aussi une idée chrétienne : aucune domination, aucun directoire.
De quelle manière cette amitié franco-allemande peut-elle servir d’exemple à d’autres accords ailleurs dans le monde ?
Joubert Malgré les conflits et les rancœurs qui ont pu opposer nos deux pays, certains français et certains allemands, comme Konrad Adenauer et Robert Schuman, Jean Monnet et le général de Gaulle, ont continué à croire, à œuvrer pour la paix et l’amitié entre ces deux peuples, même si à l’époque tout cela par
aissait impossible. Il y avait donc déjà à l’époque une volonté et une vision, à la fois personnelle et politique, d’agir, et c’est dans cet esprit qu’ils ont agi. Certes, on doit aussi tenir compte a de leur foi, profondément catholique, qui a produit une méthode qui peut s’appliquer à d’autres cas. Il y a avant tout cette vision que je viens de rappeler, et puis cette volonté authentique à trouver un compromis, une volonté qui doit être vraie, et pas seulement le résultat d’un accord diplomatique. L’Union européenne c’est tout cela, la paix, la construction d’une économie forte et démocratique. Ceci est en effet, la définition d’un intérêt que l’on peut dire valable et qui s’impose au-delà des intérêts nationaux.
Schweppe L’amitié entre Français et Allemands en Europe a servi plusieurs fois de modèle. L’Allemagne, par exemple, entretient aujourd’hui des relations très intenses et amicales avec l’Italie. Et les rapports avec la Pologne – fortement encouragés par l’Eglise catholique – sont eux aussi très étroits. En dehors de l’Europe, pour les autres continents, c’est surtout l’Union européenne qui est pris pour modèle. L’ASEAN, dans le sud-est asiatique, et le MERCOSUR en Amérique du Sud, prennent tous les deux exemple sur l’Union européenne. Ce qui est intéressant c’est que nous, en Europe, nous avons quelques fois des doutes, nous sommes sceptiques, alors que tous les autres, de l’extérieur, nous voient comme un exemple à imiter. De ce point de vue-là l’Europe, l’Union européenne est certainement un produit d’exportation qui a du succès.
(à suivre)
Traduction de Zenit : Océane Le Gall