Troisième prédication de l'Avent, par le P. Cantalamessa

L’Eglise a plus de raisons de se réjouir aujourd’hui

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Traduction d’Isabelle Cousturié

ROME, vendredi 21 décembre 2012 (Zenit.org) –  L’Eglise d’aujourd’hui a « plus de raisons objectives de se réjouir que n’en avaient Zacharie, Siméon, les bergers, et plus généralement, toute l’Eglise naissante », a affirmé le P. Cantalamessa. En effet, elle est « comme le semeur qui « revient rempli de joie, sous le poids de ses gerbes » ».

Le prédicateur de la Maison pontificale, le P. Raniero Cantalamessa, a prononcé ce vendredi 21 décembre sa troisième et dernière prédication de l’Avent, au Vatican en présence de Benoît XVI et de la curie romaine.

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap.

Troisième prédication

« JE VOUS ANNONCE UNE GRANDE JOIE »

Evangéliser par la joie

Après avoir réfléchi à la grâce de l’année de foi et à l’anniversaire du concile Vatican II, nous consacrons cette dernière méditation de l’Avent au troisième grand thème de cette « année de grâce du Seigneur » : l’évangélisation. Le pape a invité l’Eglise à profiter de cette année spéciale pour redécouvrir « la joie de la rencontre avec le Christ », la joie d’être chrétiens. Je me ferai l’écho de cet appel en parlant de la joie comme moyen pour évangéliser, et le ferai en restant le plus possible lié au temps liturgique en cours, de manière à ce que cela serve aussi de préparation au Saint Noël.

1. La joie eschatologique

Dans les « évangiles de l’enfance », Luc, « sous la conduite de l’Esprit Saint », a su non seulement nous présenter des faits et des personnages, mais il a en plus réussi à recréer l’atmosphère et l’état d’esprit qui régnaient au moment des faits. La joie est l’un des éléments les plus évidents de ce monde spirituel. La piété chrétienne ne s’est pas trompée, quand elle a appelé, dans le Rosaire, « mystères joyeux », mystères de la joie, les évènements de l’enfance de Jésus.

A Zacharie, l’ange promet qu’il connaîtra « joie et allégresse » pour la naissance de son fils et que beaucoup d’hommes « se réjouiront » de cette naissance (cf. Lc 1, 14). Il existe un terme grec qui, dès cet instant, réapparaîtra dans la bouche des divers personnages comme une espèce de note continue, ce terme est agalliasis qui indique « la joie eschatologique pour le commencement de l’ère messianique ». Aux paroles de salutation de Marie, l’enfant « tressaillit de joie » dans le sein d’Elisabeth (Lc 1, 44), annonçant, par ce geste, la joie de « l’ami de l’époux » pour la présence de l’époux (cf. Jn 3, 29 s). Cette note atteint son premier sommet dans le cri de Marie: « Mon esprit exulte (egallìasen) en Dieu ! » (Lc 1, 47); puis elle se répand dans la joie tranquille des amis et de la famille autour du berceau du Précurseur (cf. Lc 1, 58), pour enfin exploser, dans toute sa force, à la naissance du Christ, dans le cri des anges aux bergers: « Je suis venu vous annoncer une grande joie »! » (Lc 2, 10).

Il ne s’agit pas de bribes de joie par-ci par-là, mais bien d’un accès de joie, d’une joie calme et profonde qui parcourt les « évangiles de l’enfance », du début jusqu’à la fin, se manifestant de mille manières différentes: avec élan, comme Marie qui se lève pour se rendre chez Elisabeth, et les bergers pour aller voir l’Enfant Jésus, ou par des gestes humbles et typiques de la joie qui accompagne une visite, des vœux, des salutations, des félicitations, des dons. Mais il y a surtout cette joie qui se manifeste dans la stupeur et la reconnaissance émue, qui est celle que l’on perçoit chez les protagonistes : « Dieu a visité son peuple! […] Il s’est rappelé de sa sainte alliance ! » Ce que tous les orants avaient demandé – que Dieu se rappelle de ses promesses – a eu lieu ! Les personnages des « évangiles de l’enfance » agissent et parlent comme portés par l’atmosphère de rêve chantée par le Psaume 126, le Psaume du retour d’exil:

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
Nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
Nous poussions des cris de joie ;
Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
Nous étions dans la joie ! ».

Marie fait sienne la dernière expression de ce Psaume, quand elle s’exclame: « Le Puissant fit pour moi des merveilles ! » Nous avons ici un des plus purs exemples de « sobre ivresse » de l’Esprit. L’ivresse des personnages est une véritable « ivresse spirituelle », mais elle est « sobre ». Ils ne s’exaltent pas, ne se préoccupent d’avoir une place plus ou moins importante dans le tout nouveau royaume de Dieu. Et ils ne se soucient pas non plus de voir la fin; au contraire, Siméon dit que le Seigneur peut maintenant le laisser aller en paix, qu’il peut le laisser disparaître. Ce qui compte c’est que l’œuvre de Dieu se poursuive, peu importe que ce soit avec eux ou sans eux.

2. De la liturgie à la vie

Passons maintenant de la Bible et de la liturgie à la vie. Vers ce que vise toujours la Parole de Dieu. L’intention de l’évangéliste n’est pas seulement de raconter, mais de captiver  aussi son auditoire, de l’entraîner, comme les bergers, dans un joyeux cortège vers Bethléem. « Qui lit ces lignes – commente un exégète moderne – est appelé à partager cette joie; seule la communauté des croyants en Jésus-Christ et de ses fidèles peut être à la hauteur de ces textes ».

Cela explique pourquoi les évangiles de l’enfance ont si peu à dire à ceux qui ne cherchent en eux que l’histoire, mais ils ont, par contre, beaucoup à dire à ceux qui recherchent aussi le sens de l’histoire, comme le fait le Saint-Père dans son dernier ouvrage sur Jésus. Beaucoup de faits se sont réellement passés, mais ils ne sont pas « historiques » au sens le plus élevé du terme, parce qu’ils n’ont pas laissé de traces dans l’histoire, ils n’ont rien créé. Les faits relatifs à la naissance de Jésus sont des faits historiques, au sens le plus fort,  parce que non seulement ils ont eu lieu, mais ils ont influencé – et de manière déterminante – l’histoire du monde.

Revenons au thème de la joie. D’où vient la joie ? La source ultime de la joie c’est Dieu, la Trinité. Mais nous sommes dans le temps et Dieu est dans l’éternité ; comment la joie peut-elle s’écouler entre deux plans aussi distants? En effet, si nous interrogeons mieux la Bible, nous découvrons que la source immédiate de son jaillissement est dans le temps : c’est Dieu qui agit dans l’histoire. Dieu qui agit! Là où « tombe » une action divine, se produit comme une vibration et une vague de joie qui se propage ensuite de génération en génération.

A chaque fois que Dieu agit, un miracle remplit de stupeur le ciel et la terre : « Criez de joie, cieux, car le Seigneur a agi », s’exclame le prophète (Is 44, 23; 49, 13). La joie qui jaillit du cœur de Marie et de celui des autres témoins, aux débuts du salut, se fonde entièrement sur cette raison: Dieu a secouru Israël! Dieu a agi ! Il a fait des merveilles !

Comment cette joie pour l’action de Dieu peut-elle gagner l’Eglise d’aujourd’hui et la contaminer ? Elle le fait, tout d’abord, en faisant mémoire des œuvres merveilleuses de Dieu à son égard. L’Eglise est invitée à faire siennes les paroles de la Vierge: « Le Puissant fit pour moi des merveilles ». Le Magnificat est le chant que Marie fut la première à entonner, telle une coryphée qui précède le chœur, et qu’elle a laissé à l’Eglise pour que celle-ci la perpétue dans les siècles. En réalité, que de merveilles le Seigneur a fait pour l’Eglise, durant ces vingt siècles !

Nous
avons, en un certain sens, plus de raisons objectives à nous réjouir que n’en avaient Zacharie, Siméon, les bergers, et plus généralement, toute l’Eglise naissante. Cette dernière est partie « en portant la semence à jeter », comme dit le Psaume 126 cité plus haut; elle avait reçu des promesses: « Je suis avec vous » et des consignes: « Allez dans le monde entier! ». Nous avons vu l’accomplissement. La semence a poussé, l’arbre du Royaume est devenu immense. L’Eglise d’aujourd’hui est comme le semeur qui « revient rempli de joie, sous le poids de ses gerbes ».

Que de grâces, que de saints, quelle sagesse de doctrine et quelle richesse d’institutions, que de salut accompli en elle et à travers elle! Quelle parole du Christ n’a pas trouvé son parfait accomplissement en elle? L’a trouvé certainement la parole: « Dans le monde vous aurez à souffrir » (Jn 16, 33), mais l’a trouvé aussi la parole: « Les portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle! » (Mt 16, 18).

Que de raisons l’Eglise a-t-elle de faire sienne, devant les foules sans nombre de ses enfants, la stupeur de l’antique Sion et dire: «  Qui m’a enfanté ceux-ci ? J’étais privée d’enfants et stérile ; ceux-ci, qui les a élevés? » (Is 49, 21). Qui, en regardant en arrière avec les yeux de la foi, ne voit pas que les paroles prophétiques adressées à la nouvelle Jérusalem reconstruite après l’exil, se sont parfaitement réalisées dans l’Eglise: « Lève les yeux, regarde autour de toi : tous ils se rassemblement, ils viennent à toi. Tes fils reviennent de loin […]. Tes portes seront toujours ouvertes, […] pour qu’on apporte chez toi les richesses des nations » (Is 60, 4.11).

Que de fois l’Eglise a dû élargir, durant ces vingt siècles – même si cela s’est parfois produit avec lenteur et non sans résistance –, l’ « espace de sa tente », c’est-à-dire sa capacité d’accueil, pour y faire entrer les richesses humaines et culturelles des divers peuples! C’est à nous, enfants de l’Eglise, nous qui nous nous nourrissons de « l’abondance de son sein », que s’adresse l’invitation du prophète à nous réjouir pour l’Eglise, à « être avec elle dans l’allégresse », après avoir pris le deuil pour elle (cf. Is 66, 10).

La joie pour les choses que Dieu accomplit arrive donc jusqu’à nous, les croyants d’aujourd’hui, grâce à la mémoire, parce que nous voyions les merveilles que Dieu a faites pour nous dans le passé. Mais elle arrive à nous aussi par manière de présence, car nous constatons qu’aujourd’hui encore Dieu agit au milieu de nous, dans l’Eglise.

Si l’Eglise d’aujourd’hui veut retrouver, au milieu de toutes les préoccupations et de toutes les épreuves qui l’oppressent, les voies du courage et de la joie, elle doit bien ouvrir les yeux sur ce que Dieu est en train d’accomplir aujourd’hui même en elle. Le doigt de Dieu, qui est l’Esprit Saint, est encore en train d’écrire dans l’Eglise, dans les âmes, et il est en train d’écrire de si merveilleuses histoires de sainteté qu’un jour – quand aura fini dans le néant tout ce qui est négatif et péché  –  on regardera peut-être cette époque que nous vivons avec stupeur et sainte envie. Est-ce fermer les yeux devant tous les maux qui affligent l’Eglise et devant les trahisons de tant de ses ministres ? Non, mais puisque le monde et ses médias ne font que mettre en évidence ces choses de l’Eglise, il est bon de lever une fois les yeux et de voir aussi son côté lumineux, sa sainteté.

A chaque époque – dans la nôtre aussi – l’Esprit dit à l’Eglise, comme au temps du Deutéro-Isaïe: « Je t’ai fait entendre dès maintenant des choses nouvelles, secrètes et inconnues de toi. C’est maintenant qu’elles sont créées, et non depuis longtemps » (Is 48, 6-7). Ce souffle puissant de l’Esprit qui ranime le peuple de Dieu et suscite au milieu de nous des charismes en tout genre, ordinaire et extraordinaire, n’est-il pas « une chose nouvelle et secrète » ? Ne le sont-ils pas : cet amour pour la parole de Dieu ? Cette participation active des laïcs à la vie de l’Église et à l’évangélisation? Cet engagement constant du magistère et de tant d’organisations pour les pauvres et les personnes en détresse, et ce désir de recomposer l’unité brisée du Corps du Christ ? Quand l’Eglise a-t-elle eu dans son histoire une série de souverains pontifes aussi érudits et saints que ceux qu’elle a depuis un siècle et demi. Quand a-t-elle eu autant de martyrs de la foi?

3. Un autre rapport entre la joie et la souffrance

Quittons maintenant l’aspect ecclésial, et passons au plan existentiel et personnel. Il y a quelques années, lors d’une campagne de l’aile militante de l’athéisme, un slogan publicitaire, placé sur les transports publics de Londres, disait ceci: « Dieu probablement n’existe pas. Donc arrête de te tourmenter et profite de la vie »: « There’s probably no God. Now stop worrying and enjoy your life ».

L’élément le plus insidieux de ce slogan n’est pas la prémisse « Dieu n’existe pas » (qui est toute à démontrer), mais la conclusion: « Profite de la vie! » Le message sous-entend que la foi en Dieu empêche de profiter de la vie, qu’elle est une ennemie de la joie. Que sans elle il y aurait plus de bonheur dans le monde! Il faut donner une réponse à cette insinuation qui éloigne de la foi, surtout les jeunes.

A propos de joie, Jésus a accompli une révolution dont il est difficile d’exagérer la portée et qui peut être d’un grand secours pour évangéliser.  C’est une pensée que je crois avoir déjà exprimée ici même, mais le sujet demande qu’on y revienne. Il existe une expérience humaine universelle: dans cette vie, le plaisir et la souffrance se succèdent, à un rythme dont la régularité même renvoie au mouvement des eaux de la mer, quand la vague se soulève puis redescend laissant derrière elle un vide qui aspire en arrière le naufragé. « Un je ne sais quoi d’amer – a écrit le poète païen Lucrèce –  jaillit du plus profond de chaque plaisir et nous angoisse au cœur des délices ». L’usage de la drogue, l’abus du sexe, la violence homicide, donnent sur le moment l’ivresse du plaisir, mais conduisent à la dissolution morale de la personne, voire souvent à sa dissolution physique.

Le Christ a renversé ce rapport entre le plaisir et la souffrance. « Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré l’humiliation de la croix » (Hé. 12,2). Ce n’est plus un plaisir qui se termine en souffrance, mais une souffrance qui conduit à la vie et à la joie. Il ne s’agit  pas seulement d’une succession différente des deux choses ; c’est la joie, de cette façon, qui a le dernier mot, et non pas la souffrance, et que cette joie est éternelle. « Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. » (Rom 6,9).  La croix se termine avec le Vendredi saint, la béatitude et la gloire du Dimanche de la Résurrection  se prolongent dans l’éternité.

Ce nouveau rapport entre la souffrance et le plaisir se reflète jusque dans la manière de rythmer le temps de la Bible. Pour l’homme, la journée commence le matin et se termine avec la nuit ; pour la Bible, elle commence la nuit et se termine le jour: « Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le premier jour », dit le récit de la création (Gn 1, 5). Pour la liturgie aussi, la solennité commence par les vêpres de la veille. Qu’est-ce que cela signifie? Que sans Dieu, la vie est un jour qui se termine avec la nuit ; avec Dieu, c’est une nuit (parfois une « nuit obscure »), mais qui aboutit au jour, et un jour sans crépuscule.

Néanmoins, nous devons prévenir une facile objection: la joie n’est-elle donc réservée qu’après la mort ? Cette vie n’est-elle donc, pour les chrétiens, qu’une « vallée des larmes » ? Au con
traire, nul ne saurait faire une plus grande expérience de cette vraie joie, que les vrais croyants. On raconte qu’un jour, un saint a crié à Dieu: « Assez, mon Dieu, avec la joie! Mon cœur ne peut en contenir davantage ». Les croyants, exhorte l’apôtre, sont « spe gaudentes », heureux dans l’espérance (Rm 12, 12), ce qui ne signifie pas seulement qu’ « ils espèrent être heureux » (sous-entendu dans l’au-delà), mais qu’ils sont aussi « heureux d’espérer », heureux maintenant, grâce à l’espérance.

La joie chrétienne est intérieure ; elle ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, comme certains lacs alpins qui s’alimentent, non pas d’un fleuve qui vient s’y jeter de l’extérieur, mais d’une source jaillissant de ses profondeurs. Elle naît de l’action mystérieuse et actuelle de Dieu dans le cœur de l’homme en grâce. Elle nous met dans les conditions d’en avoir en abondance malgré les épreuves (cf. 2 Co 7, 4). Elle est « fruit de l’Esprit » (Gal 5, 22; Rm 14, 17), source de paix pour les cœurs, source de plénitude de sens dans la vie. Elle rend capable d’aimer et de se laisser aimer, mais surtout d’espérer, car il ne peut y avoir de joie sans l’espérance.

En 1972, le Conseil de l’Europe, sur proposition de Herbert von Karajan, adopta, comme hymne officiel de l’Europe unie, l’Hymne à la joie qui conclut la Neuvième symphonie de Beethoven. Il s’agit certainement de l’un des sommets de la musique mondiale, mais la joie chantée dans cette hymne est une joie désirée, plus que promise et donnée; c’est un cri qui s’élève du cœur humain, plus qu’une réponse à son besoin.

Dans l’ode de Schiller, d’où est tiré le texte de l’hymne, on lit ces paroles inquiétantes: « Qui a eu la joie de posséder un ami ou une bonne épouse, qui a connu, ne serait-ce qu’une heure, ce qu’est l’amour, que celui-ci approche; mais que celui qui n’a rien connu de tout cela, s’éloigne, en pleurant, de notre cercle ». Comme on peut le voir, la joie que les hommes « boivent aux seins de la nature » n’est pas pour tout le monde, mais seulement pour quelques privilégiés de la vie.

Nous sommes bien loin du langage de Jésus qui dit: « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos » (Mt 11, 28). Le vrai hymne chrétien à la joie c’est le Magnificat de Marie. Celui-ci parle d’une exultation (agalliasis) de l’esprit pour ce que Dieu a fait en elle et ce qu’il fait pour tous les humbles et les affamés de la terre.

4. Etre des témoins de la joie

C’est de cette joie dont nous devons témoigner. Le monde la recherche. « Rien que d’entendre ce mot – écrit saint Augustin – tous se redressent et te regardent, pour ainsi dire, dans les mains, pour voir si tu es en mesure de donner quelque chose à leur besoin ». Nous voulons tous être heureux. C’est un point que nous avons en commun, les bons comme les méchants. Le « bon » est bon pour être heureux ; le « méchant » ne serait pas méchant s’il n’espérait pas en la possibilité d’être heureux en l’étant. Si nous aimons tous la joie c’est parce que,  on ne sait par quel mystère, nous l’avons connue; si nous ne l’avions en effet pas connue – si nous n’étions pas faits pour celle-ci –, nous ne l’aimerions pas. Cette nostalgie de la joie est la partie du cœur humain naturellement ouverte à recevoir « la bonne nouvelle ».

Quand le monde frappe aux portes de l’Eglise – et même quand il le fait avec colère et violence – c’est parce qu’il recherche la joie. Les jeunes, surtout, sont à sa recherche. Le monde qui les entoure est triste. La tristesse, pour ainsi dire, nous prend à la gorge, à Noël plus qu’à tout autre moment de l’année. Une tristesse qui ne vient pas de ce que l’on manquerait de biens matériels puisqu’elle est bien plus évidente dans les pays riches que dans les pays pauvres.

Voici ce qu’Isaïe dit dans son livre en s’adressant au peuple de Dieu: « Ils ont dit, vos frères qui vous haïssent et vous rejettent à cause de mon nom : Que le Seigneur manifeste sa gloire, et que nous soyons témoins de votre joie! » (Is 66, 5). Ce même défi est lancé, silencieusement, au peuple de Dieu, encore aujourd’hui. Une Eglise mélancolique et craintive ne serait donc pas à la hauteur de sa tâche ; elle ne pourrait pas répondre aux attentes de l’humanité, surtout à celles des jeunes.

La joie est l’unique signe que les non croyants aussi sont en mesure de saisir. Plus que les raisonnements et les reproches. Le plus beau témoignage qu’une épouse puisse donner à son époux, c’est de montrer un visage joyeux, car il exprime qu’il a été capable de remplir sa vie, de la rendre heureuse. C’est ce même beau témoignage que l’Eglise peut rendre à son Epoux divin.

En adressant aux chrétiens de Philippes cette invitation à la joie qui donne le ton à toute la troisième semaine de l’Avent – « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous! » -, saint Paul explique aussi comment on peut témoigner, concrètement, de cette joie : « Que votre modération soit connue de tous les hommes. » (Phil. 4, 4-5). Le mot « modération » traduit ici un terme grec (epieikès) qui indique tout un ensemble de comportements faits de clémence, indulgence, de capacité à savoir céder, à ne pas être pointilleux (c’est de là que dérive aussi le mot epicheia, utilisé en droit!).

Les chrétiens sont donc des témoins de la joie lorsqu’ils mettent en pratique ces dispositions ; quand, en évitant toute acrimonie ou tout ressentiment dans leurs relations avec le monde et entre eux, ils savent irradier autour d’eux la confiance, imitant de cette façon-là Dieu qui fait pleuvoir même sur les impies. En général, un homme heureux n’est pas amer ou pointilleux ; il sait relativiser les choses, parce qu’il connaît quelque chose qui est beaucoup plus grande. Paul VI, dans son « exhortation apostolique sur la joie », écrite vers la fin de son pontificat, parle d’un « regard positif sur les personnes et sur les choses, fruit d’un esprit humain éclairé et de l’Esprit Saint ».

Dans les relations internes à l’Eglise on a un besoin vital de ces témoins de la joie. Saint Paul disait de lui et des autres apôtres: « Il ne s’agit pas d’exercer un pouvoir sur votre foi, mais de collaborer à votre joie » (2 Co 1, 24). Quelle merveilleuse définition de la tâche qui revient aux pasteurs dans l’Eglise! Des collaborateurs de la joie : des hommes qui insufflent confiance aux brebis du troupeau de Jésus-Christ, de vaillants capitaines qui, d’un seul regard apaisé, redonnent courage aux soldats engagés dans leur bataille.

Au milieu des épreuves et des calamités qui affligent l’Eglise, spécialement dans certaines régions du monde, les pasteurs peuvent répéter, aujourd’hui encore, ces paroles que Néhémie, adressa un jour, après l’exil, au peuple d’Israël accablé et en larmes: « Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! […], car la joie du Seigneur est votre rempart ! » (Ne 8, 9-10).

Que la joie du Seigneur, Saint-Père, Vénérables Pères, frères et sœurs, soient vraiment notre rempart, le rempart de l’Eglise. Bon Noël !

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ZENIT Staff

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