La lutte contre la pauvreté n'intéresse pas l'économie mondiale (II/II)

Entretien avec le président de Caritas Internationalis

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Traduction d’Océane Le Gall

ROME, Jeudi 20 décembre 2012 (ZENIT.org) –  « La force du peuple, dans une démocratie, c’est le vote, et puis, si les corrompus savent que les gens prennent conscience et ne votent pas pour un corrompu, les choses commencent à changer », déclare le cardinal Oscar Rodríguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa, au Honduras, dans ce second volet de l’entretien avec réalisé par Maria Lozano pour le programme « Là où Dieu pleure » – « Where God Weeps » – de la fondation de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED), consacré aux souffrances des Eglises dans le monde.

La première partie a été publiée hier mercredi 19 décembre.

Maria Lozano – Cela fait longtemps que l’Eglise parle d’option pour les pauvres et de justice sociale. Et la mise en pratique?  

Card. Rodríguez Maradiaga – Je dois dire que, depuis le début, en parlant de l’Amérique Latine, ce sont des prêtres missionnaires qui ont fait les premières écoles, les premières universités, les premiers hôpitaux… Ici nous avons le saint frère Pedro de Betancourt au Guatemala, qui est arrivé en laïc des Iles Canaries pour aider ceux qui mourraient dans les rues et qui a fondé un ordre hospitalier. Toute l’histoire de l’Eglise est faite de cela. Vous ne trouverez aucune congrégation religieuse, depuis le début de l’évangélisation, qui n’est pas eu pour objectif principal les pauvres. Et puis, déjà à une époque plus avancée, après Vatican II, l’application du Concile a trouvé un bon stimulant dans les paroles du bienheureux Jean XXIII qui a dit : l’Eglise doit être l’Eglise des pauvres ». La conférence de Medellín (1968, ndr) commence en soulignant l’option préférentielle pour els pauvres, qui a continué avec Puebla, Saint-Domingue et puis Aparecida. Pour moi, un autre pas est à faire…

C’est-à-dire?

Motiver les changements dans le système économique mondial. Il n’y aura pas d’option pour les pauvres, si le système ne change pas, ou plutôt si le commercial mondial ne change pas: je pense qu’il y a là un point névralgique. La seule chose que fait l’Organisation Mondiale du commerce c’est d’organiser des négociations qui ne mènent à rien, c’est comme un cercle vicieux; il y a d’abord eu l’Uruguay Round, et maintenant Doha Round, mais jusqu’à présent rien…

A qui doit-on ce cercle vicieux?

Au protectionnisme commercial de quelques pays…

…Qui dominent et font tout tourner autour d’eux…

Voilà ! Nous, par exemple, nous ne pouvons pas exporter nos bananes comme nous le voudrions nous – c’était une de nos plus grades productions mais ça ne l’est déjà plus – nous ne pouvons pas exporter comme il faut le café car tout est décidé à Londres… Pourquoi ? Ceci est une partie des injustices…

Qu’est-ce qui pourrait briser ce cercle ?

On parle de commerce libre, mais le commerce n’est pas libre. Avec le protectionnisme et les subventions nous ne pouvons pas parler de commerce libre, mais le système est conçu comme ça, pour protéger certains pays … Voyez-vous, tous les économistes et politiques peuvent me dire: « Mais le monde est comme ça », il est sûr que si nous voulons continuer comme ça, il y aura toujours des inégalités, la pauvreté continuera et il y aura toujours des immigrations à fond non seulement politique mais également social,  dues à la pauvreté.

Et peut-être aussi qu’en entretenant la population dans cet état de pauvreté,  il est plus facile de la tenir sous contrôle?

Bien sûr, et ici, du moins en Amérique Latine, une des causes principales de la pauvreté c’est le manque de famille.  Notre pays est bondé d’enfants nés de mères célibataires, une situation  qui perpétue cette pauvreté. Quand  la famille est stable, avec un père responsable, celui-ci cherche à éduquer ses enfants, mais là arrive la seconde cause de pauvreté : le manque d’éducation. L’éducation publique est malheureusement dans un état de prostration, je vous le dis ; dans mon pays il arrive parfois  qu’il n’y ait pas plus de 200 jours de cours par an dans les écoles, à cause des grèves…

Grèves des enseignants ?

Oui, car les associations d’enseignants ont parfois raison, s’ils ne sont pas payés ponctuellement, comment font-ils pour vivre? Mais parfois c’est parce qu’ils se sont transformés en groupes idéologiques et qu’ils veulent défendre des systèmes, cela devient un cercle vicieux. Sans une éducation de qualité  nous ne pouvons pas sortir de la pauvreté. Que peut faire dans un monde globalisé un garçon qui n’a fait que cinq ans d’école primaire?

A nous catholiques, quand on parle de pauvreté, on nous dit souvent: « Oui mais … regarde le Vatican, regarde les évêques, regarde les cardinaux ». Que pouvons-nous répondre à cela?

Il suffit de regarder la réalité, par exemple en confrontant le budget du Vatican, qui est rendu public… Tout société du monde qui le voit dira: « c’est un minimum, c’est rien ». La richesse qui est au Vatican est une richesse d’œuvres d’art. Qui, en ce bas monde,  pourrait avoir les fonds nécessaires pour construire la basilique saint-Pierre? Personne… Mais c’est là, conservé comme patrimoine artistique, culturel, de l’humanité, et il est faux de penser que le vente des œuvres d’art soit la solution. Vendre à qui?

Vous pouvez, si vous le voulez, faire une enquête sur moi, j’ai fait vœu de pauvreté à ma congrégation des salésiens il ya 50 ans et je le vis encore aujourd’hui. J’ai des choses que des personnes m’ont données mais qui ne sont pas à moi, qui sont au diocèse et le jour où le Seigneur m’appellera, elles seront là pour mes successeurs.

Un autre problème qui est lié à la pauvreté c’est la corruption. Ce phénomène – et je crois vous avoir entendu vous-même le dire – est un cancer  qui ronge chaque jour tant de pays. Ce « cancer » est un mal ancien ou alors un nouveau fléau?

Je dirais qu’il est très ancien, que c’est presque un système projeté pour enrichir illégalement les hommes politiques qui arrivent au gouvernement et qui, après, veulent rester toute leur vie dans travailler. J’ai participé à un conseil national anti-corruption. C’était  une bonne idée de la Banque mondiale pour dire: bien, nous continuerons à soutenir les pays, mais vous, luttez contre la corruption. Dans beaucoup de pays il existe déjà un tribunal spécial anti-corruption : ils essaient de lutter cintre l’enrichissement illicite, puis s’embourbe dans les problèmes politiques. Quand un politique a été corrompu et s’est enrichi illégalement…

…il doit se défendre.

Exactement. Et comment se défend-il? … Il se défend à travers la corruption. Chez nous, on dit parfois que la justice est comme un serpent qui mord un déchaussé, à ceux qui portent de grosses chaussures il n’arrive rien, et cela en dit long. Quelle tristesse de voir toute cette impunité chez nous à cause de la faiblesse de la justice. Je pense qu’il faut continuer à renforcer toutes les institutions de justice. Et puis il y a un autre élément mortel qui s’appelle « drogue ». Aujourd’hui la drogue, pas seulement le trafic, le business de la drogue a envahi notre continent. On peut le voir par exemple au Mexique, où règne une vraie guerre civile entre les cartels de la drogue, l’armée et le gouvernement qui se disputent le territoire, et il y a des massacres parce qu’un cartel bien précis qui a délimité son territoire et quand
les autres veulent l’envahir, ils doivent mourir. Nous souffrons de voir que la drogue a tant, mais tant, de pouvoir, un pouvoir capable d’acheter les juges  et le personnel attaché à la justice. A mon avis, la seule façon d’arrêter ce commerce immoral, ce commerce criminel, parce qu’il achève des vies humaines, c’est de confisquer aux narcos leurs biens, de leur enlever les richesses illicites, car sans argent ils ne peuvent acheter personne.

Que peuvent faire les gens ordinaires pour lutter pour la justice, pour lutter les inégalités et contre la corruption?

C’est possible, en votant. La force du peuple, dans une démocratie, c’est le vote, et puis, si les corrompus savent que les gens prennent conscience et ne votent pas pour un corrompu, les choses commencent à changer. Le vote est l’armer du citoyen et il faut l’utiliser avec conscience. C’est ce qui manque dans nos pays, dans mon pays, par exemple, il y a des gens qui votent pour tel parti parce que leur père était dans ce parti, et avant lui son grand-père, et qu’il faut être fidèle au parti, non en leur âme et conscience. Ce sont les conséquences aussi de cette instruction défectueuse qui afflige aussi les valeurs politiques.

Eminence, vous avez tant de fois dit votre espérance en un monde solidaire et juste. Où trouver cette espérance s’il y a tant de souffrance, tant d’injustice? Et vous-même en tant que président de la Caritas, avez-vous vécu beaucoup de ces situations de disparité et de pauvreté…

Moi je dis, si nous sommes chrétiens, notre exemple est celui de Jésus, et le Seigneur Jésus a du lutter contre toute espérance – Saint Paul le dit clairement – et c’est là que nous puisons notre force, nous savons que Dieu veut un ciel et une terre nouvelle, et il ne le fera pas d’un petit coup de baguette magique, il le fera à travers chacun de nous, chrétiens, quand nous construisons déjà ce royaume dans cette vie. Par conséquent, la communauté en tant que telle est l’élément fondamental de notre foi pour vivre cette espérance. La première encyclique de Benoît XVI m’a enchanté, mais la seconde est la cerise sur le gâteau, car Spe salvi est toute la force d’un enseignement que le pape nous donne pour que nous l’appliquions ici en Amérique Latine.

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ZENIT Staff

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