ROME, lundi 11 juin 2012 (ZENIT.org) – À l’occasion de la VIIe Rencontre internationale des familles, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la conférence des évêques de France est intervenu lors du rassemblement des pèlerins francophones organisé par le diocèse de Paris, les Associations Familiales Catholiques et la Communauté de l’Emmanuel, samedi 2 juin, à Milan, en la basilique S. Nazaro Apostolo. L’enseignement a été publié sur le site du diocèse de Paris.
Enseignement du Cardinal André Vingt-Trois :
« La famille, un bonheur à construire »
Chers amis,
Je suis heureux de cette occasion qui m’est donnée de m’adresser à vous, et je voudrais commencer par attirer votre attention sur une situation très paradoxale, mais en même temps significatrice de l’état d’esprit de notre société. Aujourd’hui, en France, il est clair que la famille est une réalité unanimement plébiscitée : tout le monde attend beaucoup de sa famille, chacun souhaite réussir une vie de famille et veut croire que sa famille sera une ressource importante pour lui. Mais – et c’est là le paradoxe – ces attentes à l’égard de la famille s’accroissent à mesure que la réalité familiale se dissout. Et on finit par se demander ce que concernent ces attentes. Tout se passe comme si tout le monde rêvait d’avoir quelque part une famille solide, dans laquelle il puisse s’abriter, sans que personne ne se demande à quelles conditions cette famille solide peut exister.
Comme nous sommes par ailleurs dans une période difficile du point de vue économique, beaucoup de jeunes attendent longtemps pour pouvoir avoir un emploi et s’établir. Ils restent parfois de longues années dépendants de leurs parents et de leur famille. Ces instabilités économiques accroissent aussi le besoin de soutien, de refuge et de protection, et la famille apparait alors comme un bon parapluie. Le seul problème est qu’à force d’avoir été utilisé et transformé, le parapluie n’est plus qu’une ombrelle et ne protège plus personne quand l’orage vient à tomber !
Face à toutes ces attentes, nous devons donc nous demander comment mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que la protection attendue de la cellule familiale ne soit pas un refuge virtuel, mais une ressource bien réelle. Je voudrais vous proposer trois points de réflexion, qui peuvent intéresser les familles actuelles et futures.
La famille demande du travail
L’existence d’une famille suppose un investissement de forces et de moyens, et, pourquoi ne pas le dire : un travail. Je ne parle pas ici du fait que la famille soit une base arrière pour que ceux qui ont une activité professionnelle puissent y refaire leurs forces. C’est la vie de famille elle-même qui doit être objet d’un travail. Elle a aujourd’hui besoin d’être prise en main, réfléchie et construite en fonction des difficultés auxquelles elle est confrontée et des attentes qu’on lui fait supporter.
Notre Église, en France, a beaucoup investi dans ce travail depuis des décennies. Antoine Renard évoquait le centenaire de la création des Associations Familiales Catholiques. Tout le XXème siècle a été jalonné d’initiatives pour soutenir la vie de couple, la vie de famille ou le métier de parent. Ainsi par exemple, on a réalisé progressivement que l’éducation ne se déroulait plus naturellement sans qu’on ait besoin de réfléchir au rôle des parents (et que ceux-ci aient besoin de s’y préparer en lisant des publications qui ont fait la fortune des éditeurs!). Je pense aussi aux initiatives des mouvements familiaux, des groupes de préparation au mariage (CPM ou autres) et plus largement à l’investissement de nombreux chrétiens, laïcs, hommes, femmes, et couples, au soutien de l’Église et au travail des pasteurs au service des familles, des époux, des enfants et des jeunes. Toute une pastorale s’est développée pour accompagner et soutenir l’implication décisive et centrale des couples dans la construction de leur famille.
Pour mieux définir la nature de ce travail, nous devons comprendre que le XXème siècle a fait passer notre société d’une représentation implicite de la famille, à la nécessité de la comprendre explicitement. Il y a un siècle ou même un demi siècle, la famille faisait partie des données non discutées et non réfléchies de la vie sociale. De même que l’on ne réfléchit pas au fait de respirer, tout en le faisant pourtant tous et tout le temps, la famille – à quelques notables et rares exceptions près – faisait partie des conditions de vie de tous, sans qu’il y ait tellement besoin d’y penser. On naissait dans une famille, on créait une famille en se mariant, on la faisant grandir en ayant des enfants, et vaille que vaille, avec les ennuis habituels de l’existence, tout cela avançait. Dans le couple, on ne voyait pas beaucoup d’alternative au fait de s’entendre. On se réjouissait donc lorsque les choses se passaient bien, et on endurait si elles se présentaient autrement. Pour l’éducation des enfants, on répétait à leur égard ce que l’on avait reçu de ses parents, sans avoir de grandes théories éducatives, du moins pour la plupart des gens. La solidarité intergénérationnelle ne posait aucune question, d’abord parce que, la vie étant moins longue qu’aujourd’hui, les personnes âgées moins nombreuses et la proportion des jeunes, considérable. Un aïeul pouvait avoir quinze ou trente descendants qui se partageaient sa charge, alors qu’aujourd’hui c’est l’inverse : de nombreuses personnes sont seules à devoir veiller sur quatre ou huit grands-parents et arrières grands-parents. Aujourd’hui, les relations intergénérationnelles ne sont plus portées comme elles l’étaient par un socle de jeunesse qui dynamise le système. Elles sont au contraire polarisées par des personnes plus âgées qui font pencher l’équilibre vers eux. Ce n’est d’ailleurs pas dramatique en soi et n’empêche pas de vivre heureux, mais cela change les conditions de vie, la manière de voir le monde et d’organiser son univers.
Toujours est-il que peu à peu, on a découvert que la famille n’était plus une institution fortement supportée et intégrée à la société dans laquelle il suffit d’investir notre sentiment et notre générosité. Elle n’est plus comme un immeuble bien construit, où chacun apporte ses capacités de collaboration et d’investissement sans avoir à assumer ou repenser l’architecture de l’ensemble. Aujourd’hui, l’architecture de cet immeuble est informe. Les éléments de repères qui constituaient l’organisation familiale sont devenus friables. Le mariage n’est plus systématiquement - loin de là ! - l’engagement mutuel d’un homme et d’une femme pour toujours et pour élever les enfants qu’ils auront. Son caractère définitif et exclusif n’est plus perçu, tout comme la nécessité de vouloir et même d’envisager d’avoir des enfants pour s’engager. D’autres éléments constitutifs de la famille sont même l’objet de remise en cause théorique, comme par exemple le fait que la famille suppose un homme et une femme. Et nous savons que beaucoup poussent, pour que cette question encore théorique devienne une question pratique...
Nous étions dans un équilibre et une représentation claire où l’institution soutenait l’implication personnelle et renforçait ceux et celles qui étaient éprouvés ou défaillants. Aujourd’hui, au contraire, chacune et chacun est sollicitée non pas pour entrer dans un projet encore bien défini, mais pour assumer la construction de cette institution afin qu’elle soit solide. On a toujours quelque part le plan de l’imm euble, mais personne ne le trouve déjà construit. Le travail de la famille est donc, pour chacun, de trouver les matériaux et de retrousser ses manches pour bâtir la maison dans laquelle il devra vivre. Comme tout travail, cette tâche est fatigante et demande du temps, de l’énergie et des ressources. Celui qui imagine la famille comme un havre où se reposer entre les épreuves, est surpris de devoir fournir ce travail. Celui qui espère s’appuyer sur la famille, n’est pas prêt à ce que ce soit la famille qui s’appuie sur lui !
Nous sommes donc dans une période de crise, non pas au sens négatif d’une crise- effondrement mais au sens où cette période doit conduire à prendre des décisions. La question n’est plus de rejoindre ou non le bataillon des « familles normales », parce qu’on ne sait pas où est le bataillon ! La question est de savoir si je veux construire une famille, comment je vais m’y prendre, quel prix je suis prêt à payer pour que cette famille existe, quel temps, quels efforts, quel engagement dans les relations de pardon et de miséricorde j’accepte d’y consacrer.
Nous sommes donc loin du stéréotype qui traine un peu dans les imaginations, même s’il ne correspond plus du tout à la réalité, de la famille « repos du guerrier ». Aujourd’hui, le guerrier, qui est d’ailleurs souvent aussi une guerrière, est allé travailler au dehors, il a sué sang et eau toute la journée et supporté des tensions et des conflits de toutes sortes. Quand il rentre chez lui, il espère peut-être avoir la paix, se reposer et ne pas avoir besoin de réfléchir à ce qu’il va faire ou dire, ou à la programmation de la soirée, de la semaine ou du week-end. Mais voilà qu’au contraire sa vie de famille doit être créée, soutenue, nourrie, réfléchie..., et qu’il ne peut pas se reposer, et qu’il doit continuer à se donner du mal.
La fonction sociale de la famille
Le deuxième point rejoint ce qu’Antoine Renard a pu expliquer : comment arriver à comprendre et à intégrer dans notre manière de vivre la fonction sociale de la famille ? Car s’engager de toutes nos forces dans la construction d’une famille ne porte pas seulement des fruits dans la vie privée. Le travail de mise en œuvre d’une vie de famille n’a pas pour seul but de fournir à chacun des membres de la famille un lieu harmonieux pour son existence. Il ne relève pas uniquement de ce que l’on appelle la vie privée. Bien-sûr, la réussite de la construction de la famille a des conséquences pour chacun des membres et permet de trouver un équilibre pour chacun d’eux et entre eux tous. Mais elle concerne aussi inséparablement toute la société.
Dire cela est aujourd’hui un message social et politique, que l’on n’ose pas souvent aborder de front. On peut en effet s’interroger sur les dommages sociaux de la désintégration des familles. Ils sont de plusieurs ordres et concernent par exemple le logement, puisque lorsqu’une famille se divise en deux, cela nécessite deux habitations au lieu d’une. Mais qui a le courage de dire que la pénurie de logement que nous connaissons ici et là s’explique en partie de cette manière ? La désintégration des familles à donc un cout économique. Elle entraine aussi des dommages éducatifs, par exemple les difficultés scolaires ou même d’intégration sociale que rencontrent les jeunes qui ont souffert de la séparation de leurs parents. L’étude des dossiers des délinquants juvéniles ou des adolescents ayant été condamné par la justice permet bien souvent de déceler des carences familiales dans l’enfance ou la jeunesse.
Je le répète, nous ne sommes pas là dans le domaine de la vie privée, mais dans celui de la vie sociale, puisqu’il s’agit de difficultés d’intégration scolaire, de l’accueil d’enfants perturbés nerveusement ou dans leur équilibre personnel, ou de la prise en charge des souffrances affectives d’enfants de parents séparés, qui doivent occulter leur mal-être parce qu’ils ne veulent pas le faire peser sur leur père ou leur mère, pour qui ils gardent toute leur affection. Si au départ, il s’agit d’un évènement tout-à-fait privé, il est clair que la séparation d’un couple et l’organisation de la garde de leurs enfants ne regarde pas qu’eux, puisqu’à travers eux, c’est une part de la vie sociale qui est mise en danger et perturbée.
L’enseignement de Jean Paul II tout au long de son pontificat a présenté la famille comme la première cellule de la société, non pas au sens chronologique (celle qui serait là avant les autres), mais au sens logique. La famille est la cellule de fondement de la société, parce qu’en elle les représentants des deux pôles entre lesquels se partage l’humanité (le pôle masculin et le pôle féminin) s’unissent et s’harmonisent, coexistent et collaborent. C’est parce que la famille est l’élaboration d’un processus de communion à partir d’une différence radicale, qu’elle est un lieu d’apprentissage de la vie sociale. La famille est la cellule fondamentale de la société parce qu’en elle, les enfants sont accueillis, aimés, écoutés, pris en charge, et toujours considérés comme tels quoiqu’ils fassent. La famille est première dans une société parce qu’elle inscrit dans la vie sociale un principe de régulation des relations entre les générations. Elle est première parce qu’elle est comme le laboratoire dans lequel chacun apprend à maîtriser et à dominer la violence des relations entres les hommes et les femmes, et entre les générations. Elle est le lieu où s’apprend la socialisation, où se construit la capacité de respect de l’autre, où s’engendre le désir de faire quelque chose avec l’autre.
Par là nous comprenons les effets positifs ou négatifs de l’équilibre familial sur la vie collective. Là où les familles sont déstructurées, ou affaiblies, les mœurs communes ne sont plus régulées de la même façon, et la volonté de puissance et la violence dominent. Le projet de réussir une vie de famille harmonieuse, n’est donc pas seulement un objectif privé, celui de « réussir son coup » pour soi ou plutôt pour soi et son conjoint. La réussite de ce projet participe de notre réussite collective, c’est un service du bien commun. Percevoir, comprendre et vivre cela, c’est donner à la vie familiale une dimension plus large que celle d’un réseau étroit de sentiments particuliers.
La famille lieu de témoignage
Aujourd’hui, la famille est le lieu d’un témoignage. Il faut dire les choses comme elles sont, notre société n’est pas à une contradiction près. Pour que la famille redevienne un lieu de sécurité affective, les hommes ou les femmes politiques de tous bords sont prêts à dire qu’ils vont soutenir la famille. Mais aucun ne sait dire comment il va le faire, quand et jusqu’où. Par principe, ils sont pour la famille, mais qui pourrait être contre ? Surtout si la famille c’est tout et son contraire !? Et dans cette perspective, soutenir la famille signifie simplement récupérer ce qui reste de sécurité affective dans la famille.
Ainsi, par exemple, on donne progressivement à chaque parent (pris d’ailleurs individuellement et non pas comme couple) un pouvoir de contestation de l’institution scolaire, au nom de raisons affectives. On trouve naturel que des parents s’unissent à deux ou trois pour défiler sous les fenêtres de l’école en disant « c’est inadmissible », parce que des enfants ont récolté des mauvaises notes, en raison du fait qu’ils ne sont pas compris par leur professeur, qui est tantôt professeur, tantôt éducateur.
Mais en cautionnant ce genre d’initiatives, ce n’est pas la famille que l’on soutien mais on encourage plutôt la prééminence des réactions affectives de la famille au dépend de l’institution sociale. Finalement, on veut soutenir la sécurité de la fami lle, sans reconnaître les conditions nécessaires pour qu’elle joue pleinement son rôle social.
Ainsi, dans le même numéro de n’importe quel hebdomadaire, on vous fera une page sur la disparition des pères dans l’éducation, et une autre sur les bienfaits du divorce par consentement mutuel devant un secrétaire de mairie, sans percevoir qu’il y a là une contradiction ! D’un côté, on trouve normal que les conjoints puissent s’unir et se désunir selon leurs désirs, et de l’autre on crie au secours parce que l’autorité parentale a disparu !
Mais il est difficile à ceux qui nous proposent cette lecture de voir que ces questions se rejoignent, parce que l’on ne fait pas appel au même expert. Aujourd’hui, vous trouverez toujours un expert pour vous expliquer qu’il n’y a pas assez de pères – ou de mères - et un autre pour vous montrer qu’il y en a trop. L’un démontrera que les enfants élevés par des parents séparés sont beaucoup plus heureux que ceux qui sont élevés par des parents unis, en expliquant qu’ils échappent ainsi aux discussions entre les parents (et sans se rendre compte que l’on enseigne ainsi à gérer les différents... en y échappant !). Un autre expert vous présentera une étude faite auprès de personnes homosexuelles ayant élevé des enfants dont les conclusions montrent qu’ils sont beaucoup mieux élevés que la moyenne, sans vous dire que ce sont les parents que l’on à interrogé, en laissant croire que les réponses venaient des enfants.
D’une certaine manière, cette incohérence par experts interposés traverse tous les aspects de notre vie. Sur les réalités économiques, écologiques ou sociales, on trouvera toujours un expert pour être d’un côté et un autre pour justifier le contraire, sachant que l’un des deux – au moins – dira forcément à la fin : « je vous l’avais bien dit ! »
Mais notre question est de savoir s’il suffit de plaquer l’étiquette famille sur n’importe quelle situation vécue pour lui donner une véritable capacité éducative. On peut crier et répéter que l’appellation famille n’a pas à être confisquée par un modèle (on se demande d’ailleurs comment), mais on ne peut pas éviter qu’un substantif corresponde à une réalité. Si vous avez une trottinette, vous ne l’appelez pas bicyclette parce que ce n’est pas une bicyclette ! Et si vous appelez bicyclette une trottinette, vous ne pourrez jamais faire des affaires... Mais cependant, on trouve normal que des mots comme ‘parents’, ‘couple’ ou ‘famille’ ne désignent pas une réalité définie mais puissent s’appliquer à un large panel de situations. Et pourtant, suffit-il de mettre le panneau à la devanture pour qu’il corresponde à ce qu’il y a dans la boutique ? Si l’on dit que tout le monde doit pouvoir se marier, que fait-on de ceux qui se marient pas, dont on dit qu’ils sont les plus nombreux ? Car si on est prêt à mettre l’étiquette à tout prix sur quelque chose qui ne correspond pas, on voit bien que certains vont être floués ! Ou alors, y-a-t-il quelque effet magique qui ferait que si l’on prononce le mot mariage, on arrive à capter des ondes positives ou quelque chose qui vient des dieux ? Tout cela est un peu étrange. Eh bien non, il ne suffit pas de plaquer l’étiquette pour que la réalité corresponde !
Le bienfait de la famille ne vient ni du substantif, ni du titre, mais de la réalité vécue. Car le bien-vivre des individus et l’équilibre de la société ne peuvent être atteints que par l’apprentissage patient et régulé de la gestion des relations humaines que permet une famille. C’est dans la relation d’un père et d’une mère, et dans leurs rapports avec leurs enfants que ceux-ci apprennent petit à petit à relativiser les drames. Dans une famille avec des enfants de différents âges, chacun voit comment un enfant apprend à sortir d’un conflit pour lui terrible avec un de ses frères et sœurs, lorsqu’on lui donne de redécouvrir que son ennemi juré est aussi son frère ou sa sœur à qui il peut pardonner, qu’il peut aimer encore, et que cette tragédie sans issue pouvait finalement être surmontée.
Il ne suffit pas de brandir un étendard pour que toutes les situations aient la même fécondité sociale. Cette tendance à privatiser la réalité familiale en en faisant un choix indéfini, vide finalement la famille de sa capacité à construire du lien social. La famille n’est plus que l’écrin dans lequel on enferme l’expérience privée, et n’est plus un cadre fondamental où l’expérience privée permet un apprentissage d’une manière d’être avec les autres, construit un certain type de relation et rend capable de participer au développement d’une société harmonieuse.
C’est pourquoi les chrétiens d’aujourd’hui sont appelés à vivre leur engagement familial, non comme un choix particulier mais comme un témoignage. Pour cela il faut que nous sortions de la logique induite par la formule « c’est son choix ». Quand on dit cela, cela signifie qu’il n’y a ni à réfléchir, ni à discuter. Même si on n’est pas d’accord, comme on ne veut pas avoir de conflit à gérer, et que tout le monde semble déjà convaincu, on n’envisage même plus de dire à son frère, sa sœur, son cousin ou sa cousine : « tu fais cela, mais je trouve que ce n’est pas bien », car ce serait risquer de se faire jeter par la fenêtre avec armes et bagages. Dire « c’est son choix » signifie au fond : « je ne suis pas d’accord mais je ne peux pas le dire ». Et il est devenu d’usage de considérer que la manière d’un homme et d’une femme de vivre leurs relations affectives soit leur choix : certains se mettent en ménage à l’année, d’autre pour un temps indéterminé, d’autres ne se mettent pas en ménage du tout, d’autres changent de partenaires, d’autres encore changent de sexe. C’est leur choix.
Nous chrétiens, nous sommes immergés dans cette manière de voir. Dès lors, allons- nous nous aussi suivre cette ligne indéfinie en réclamant simplement - par équité et non- discrimination - le droit d’avoir aussi notre choix ? Mais ce serait comprendre notre situation comme un particularisme de plus Or, nous ne sommes pas des gens particuliers, comme le rappelle l’épître à Diognète : « les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements... » (V, 1). Il ne s’agit pas de dire que nous serions comme tous les autres, hormis le fait que quand on s’aime, on se marie.
L’enjeu pour nous n’est pas de réclamer un droit à la particularité, mais de montrer que le choix d’une vie de famille vécue dans l’engagement mutuel des époux et la solidarité entre les générations, engage quelque chose qui n’est pas de l’ordre du choix confessionnel, mais du choix de société. Et puisque c’est un choix de société, nous avons non seulement le droit mais le devoir de le défendre socialement. Nous ne le défendons pas au nom de la foi, car la foi ne nous donne pas un droit particulier de défendre un modèle social. Nous le défendons au nom du bien commun.
Certes notre foi chrétienne nous enracine d’une manière plus déterminée dans cette conviction que l’union stable et définitive de l’homme et de la femme pour élever leurs enfants est comme ‘inscrit’ dans le code génétique de l’humanité. Le mariage doit être défendu au nom du respect de l’humanité, et nous lui sommes passionnément attachés par notre foi, parce que nous croyons que Dieu est Créateur et que l’être humain est créé à son image. Nous avons donc une force particulière pour rendre ce témoignage. Encore une fois ce n’est pas de l’ordre du particularisme d’une secte un peu égarée dans la société. Notre mission est d’être les précurseurs, ou les prophètes, qui annoncent quelque chose qui est de l’intérêt de tout le monde.
Que nous ne soyons pas toujours entendu s, que nous soyons même combattus, c’est normal. Mais nous avons le devoir impératif de témoigner avec des arguments humanistes, des arguments de raisons et de bon sens, qui puissent être reçus par des hommes et des femmes de bonne volonté. Parmi ces arguments compréhensibles par tous, il y a cette question de bon sens : est-il mieux pour un enfant d’être élevé par son père et sa mère ou autrement ? Nul besoin de croire à la révélation biblique pour poser cette question, ni pour y répondre. De même, est-il mieux pour un homme et une femme de s’engager l’un envers l’autre ou pas ? Que nous soyons particulièrement convaincus de la réponse en raison de notre foi est un appui supplémentaire. Mais nous ne demandons pas à nos contemporains d’en être convaincus parce que l’Église le dit. Ce n’est pas l’Église qui a inventé que c’est mieux pour un enfant d’être élevé par son père et sa mère. Toute l’expérience de l’humanité le manifeste. Cela appartient à la sagesse humaine, et chacun peut le comprendre et en tenir compte.
Nous chrétiens, nous pouvons apporter un témoignage unique et original lorsque les circonstances nous permettent de comprendre et de vivre que cette alliance définitive entre un homme et une femme est une parabole de l’alliance définitive entre Dieu et l’humanité. Nous sommes chargés de vivre et d’annoncer que l’unité de la famille est l’image et le prototype de l’unité que Dieu veut accomplir entre lui et l’humanité, de ce que les récits apocalyptiques appellent « les noces éternelles » (Ap 19, 8-9). La réalité de la vie familiale est un message sur la fidélité de Dieu, sur sa miséricorde, sa patience, son inventivité et son projet de rassembler en lui toute l’humanité.
Chers amis, voilà ce que je voulais vous donner comme message d’espérance ; Je vous souhaite de le vivre du mieux que vous pouvez pour le bien de tous les hommes.