ROME, vendredi 6 avril 2012 (ZENIT.org) – Dans sa lettre de Pâques 2012, Grégorios III, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem, invite les chrétiens, malgré une « douleur » qui serre la gorge, à « chanter du fond du cœur le chant de la victoire du Christ sur la mort. Puisse-t-il être toujours le chant de notre foi, de notre espérance et de notre charité ! »
Voici des extraits choisis de ce Message de Pâques :
L’amour est plus fort que la mort. Qui aime ne meurt pas ! « Dieu en effet a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais possède la vie éternelle » (Jean 3, 16).
La Résurrection de Jésus-Christ est le signe de la victoire de son amour, c’est le triomphe de la vie sur la mort. C’est ce que Jean Chrysostome dit dans son sermon de Pâques, et que nous chantons : « Que nul ne craigne la mort, car celle du Sauveur nous a délivrés! O mort, où est ton aiguillon? Enfer, où est ta victoire? Le Christ est ressuscité et toi-même, ô enfer, tu es terrassé. Le Christ est ressuscité, et voici que règne la vie. »
Tel est notre foi, malgré la réalité douloureuse de notre vie. Malgré notre faiblesse.
Les disciples de Jésus ont eu peur quand Il leur a annoncé sa passion et sa mort ; « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? »(Luc 24, 26). Et Pierre Lui avait alors répliqué: « A Dieu ne plaise ! » (Matthieu 16, 22). A l’approche de sa passion et de sa mort, le Christ Lui-même a agonisé, jusqu’à suer du sang au Jardin des Olivier. Il priait en disant: « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite ! » (Matthieu 26, 42).
Les Apôtres étaient tous faibles devant la passion et la mort de leur Maître Jésus. Mais leur amour pour le Christ et l’amour de Jésus pour eux leur ont donné une nouvelle espérance, car Il leur a dit: « Je suis avec vous, pour toujours, jusqu’à la consommation des temps » (Matthieu 28, 20).
La fête de la Résurrection nous appelle ainsi à la Foi, à l’Espérance et à la Charité et la rencontre avec Jésus, ressuscité d’entre les morts, anime en nous cet amour qui est plus fort que la mort.
Gregorios III reprend alors les termes du discours de Benoit XVI à Cotonou (Bénin) en novembre 2011 : Le désespoir est individualiste. L’espérance est communion.
« L’Eglise, dit le Saint-Père, n’apporte aucune solution technique et n’impose aucune solution politique. Elle répète : n’ayez pas peur! L’humanité n’est pas seule face aux défis du monde. Dieu est présent. C’est là un message d’espérance, une espérance génératrice d’énergie, qui stimule l’intelligence et donne à la volonté tout son dynamisme… L’Eglise accompagne l’Etat dans sa mission ; elle veut être comme l’âme de ce corps en lui indiquant inlassablement l’essentiel : Dieu et l’homme. Elle désire accomplir, ouvertement et sans crainte, cette tâche immense de celle qui éduque et soigne, et surtout de celle qui prie sans cesse (cf. Luc 18, 1), qui montre où est Dieu (cf. Matthieu 6, 21) et où est l’homme véritable (cf. Matthieu 20, 26 et Jean 19, 5). Le désespoir est individualiste. L’espérance est communion. N’est-ce pas là une voie splendide qui nous est proposée ?…»
Et la communion est l’un des signes de l’amour. C’est ainsi que s’exprime Saint Paul : « Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui » (1 Corinthiens 12, 26). La communion veut dire solidarité, surtout dans ces temps d’épreuve, de détresse, de douleur, de maladie.
Devant les crises du monde arabe, devant l’ébranlement de l’amour et de la confiance entre les peuples du monde arabe, devant les crises financières et économiques, devant les crises des valeurs et des mœurs, et même des valeurs de notre sainte foi… nous avons recours à l’amour.
Les peurs et les révolutions qui envahissent notre monde arabe sont peut-être ressenties par les chrétiens plus spécialement que par les autres, bien que nous soyons tous exposés à la faiblesse, à la fragilité et à la vulnérabilité. Dans toutes ces situations et devant toutes ces réalités, nous devons, nous les chrétiens, trouver notre place, redécouvrir notre vocation et discerner quel est le plan de Dieu (l’économie du salut) pour nous.
Nous devons, spécialement, être solidaires de ce monde arabe, qui est notre monde, dans lequel nous avons nos racines. Nous y avons réalisé tant de choses, dans les domaines de l’histoire, de la littérature, dans sa civilisation. De plus, nous avons été initiateurs et les réalisateurs de l’arabité, de la pensée arabe; nous en avons été les architectes, les penseurs, les pionniers, les théoriciens et les propagateurs.
C’est le temps où les chrétiens doivent, comme toujours et plus que jamais, découvrir la force de l’amour de Dieu qui « a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné » (Romains 5, 5). Et par là découvrir la force de l’Evangile, et la véracité des enseignements de Jésus-Christ. Les chrétiens doivent découvrir et se souvenir qu’ils sont les « fils de la Résurrection ». De plus, ils doivent découvrir que leur résurrection implique l’obligation de se solidariser avec les réalités et les problèmes de leurs patries, de leurs terres, de leurs peuples, de leurs concitoyens. C’est eux qui doivent contribuer à la résurrection de leur société, bien qu’ils n’y représentent qu’un « petit troupeau », celui à qui le Seigneur a confié cette grande et immortelle mission et vocation, ferme et inaltérable: celle d’être lumière, sel et levain dans notre société.
Ainsi, nous partagerons avec nos pays leur faiblesse, leur fragilité et leur vulnérabilité, afin de découvrir ensemble la force et les espoirs de la résurrection. Dans ces circonstances difficiles que vit notre monde arabe nous trouvons très opportun et actuel de citer le Discours à Diognète.
« Les chrétiens ne se sont pas distingués du reste des hommes ni par leur pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre; ils n’ont pas d’autres villes que les nôtres, d’autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes ; seulement ils ne se livrent pas à l’étude de vains systèmes, fruit de la curiosité des hommes, et ne s’attachent pas, comme plusieurs, à défendre des doctrines humaines. Répandus, selon qu’il a plu à la Providence, dans des villes grecques ou barbares, ils se conforment, pour le vêtement, pour la nourriture, pour la manière de vivre, aux usages qu’ils trouvent établis ; mais ils placent sous les yeux de tous l’étonnant spectacle de leur vie toute angélique et à peine croyable. (…)
« Ils habitent leurs cités comme étrangers… Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère.
« … Ils habitent la terre et leur conversation est dans le ciel. Soumis aux lois établies, ils sont, par leurs vies, supérieurs à ces lois. Ils aiment tous les hommes et tous les hommes les persécutent… Mis à mort, ils naissent à la vie…
« Pour tout dire, en un mot, les chrétiens sont dans le monde ce que l’âme est dans le corps : l’âme est répandue dans toutes les parties du corps ; les chrétiens sont dans toutes les parties de la Terre ; l’âme habite le corps sans être du corps, les chrétiens sont dans le monde sans être du monde. L’âme, invisible par nature, est placée dans un corps visible qui est sa demeure… La chair, sans avoir reçu aucun outrage de l’esprit, le déteste et lui fait la guerre, parce qu’il est ennemi des voluptés. Ainsi le monde persécute les chrétiens, dont il n’a pas à
se plaindre, parce qu’ils fuient les plaisirs. L’âme aime la chair qui la combat et les membres toujours soulevés contre elle. Ainsi les chrétiens n’ont que de l’amour pour ceux qui ne leur montrent que de la haine. L’âme, enfermée dans le corps, le conserve ; les chrétiens, enfermés dans ce monde comme dans une prison, empêchent qu’il ne périsse.
« L’âme immortelle habite un tabernacle périssable… L’âme se fortifie par les jeûnes, les chrétiens se multiplient par les persécutions : le poste que Dieu leur a confié est si glorieux qu’ils regardent comme un crime de l’abandonner. »
Dans ce magnifique discours, nous découvrons la force de la foi chrétienne. Cette foi est la base du comportement du chrétien vis-à-vis de sa société, des développements, des changements, des lois, des constitutions, des ordonnances, qui pourraient être un obstacle dans l’exercice de sa sainte foi. Ainsi, c’est le cas, par exemple, de la Charia ou loi islamique, du Fiqh ou jurisprudence, dans l’Islam et plus particulièrement dans la société arabe à majorité musulmane. Le chrétien doit savoir comment se comporter vis-à-vis de ces lois ou de ces constitutions. Comment trouver, dans le cadre de ces lois, et avec la Charia et la jurisprudence non chrétiennes, un espace pour vivre et pratiquer sa foi et ses valeurs chrétiennes.
De plus. il devrait découvrir comment être interactif avec ces lois, et même les enrichir, les développer et y greffer les valeurs de sa foi et les enseignements de son Maître Jésus-Christ dans le saint Evangile, ainsi que les principes de son Eglise et ses convictions de foi nationale et humaine. Ainsi, il rencontrera ses frères concitoyens d’une autre religion, d’une autre croyance et d’une autre culture. De plus, à travers cela, à travers cette ouverture, il pourra obtenir des mesures qui protègent sa foi, ses mœurs, ses valeurs et les lois de son Eglise. Cela pourra être obtenu par le moyen du statut personnel, mais aussi par des conférences au sujet du développement des principes de la société civile et de la laïcité croyante.
Ne crains pas ! C’est la parole réconfortante, consolante, vivifiante et aimante que Jésus a répétée à ses disciples… L’ange dit aux femmes, apeurées devant le tombeau vide : « Pour vous, ne craignez point ! Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici ; Il est ressuscité, comme Il l’avait dit » (Matthieu 28, 5-6). Nous n’avons pas un Christ crucifié. Nous avons un Christ ressuscité!
Ainsi, au milieu des moments les plus difficiles et de la peine, Jésus donne à ses disciples la plus haute, délicate et courageuse mission: « Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création » (Marc 16, 15).
… Jésus a dit à ses disciples: « A cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous vous aimez les uns les autres » (Jean 13, 35). La seconde définition des chrétiens, liée à l’autre, c’est le nom donné aux chrétiens en Syrie : les fils de la Résurrection… Par ces deux présentations… nous sommes responsables de l’amour et de la Résurrection dans le monde arabe, de la participation du monde à la joie de la Résurrection, dans la joie de la naissance et de la résurrection d’un monde nouveau et meilleur.
Nous prions pour vous tous, surtout ceux qui souffrent, qui doutent, qui ont peur, qui sont fragiles, ceux qui sont morts dans les affrontements, surtout parmi nos chrétiens, durant ces événements douloureux et tragiques dans nos pays : en Palestine, en Irak, en Egypte, et plus spécialement en Syrie… (et) malgré la douleur qui nous étouffe dans la gorge, nous chantons du fond du cœur le chant de la victoire du Christ sur la mort. Puisse-t-il être toujours le chant de notre foi, de notre espérance et de notre charité !
Patriarche Grégorios III