ROME, mercredi 15 février 2012 (ZENIT.org) – La « grâce du baptême », tel est le « levier » grâce auquel le P. Joseph Wresinski « savait qu’il pourrait soulever le Quart Monde, le conduire, au-delà de notre monde misérable parce que sans compassion, à une nouvelle civilisation qui mette la personne humaine en son centre », explique Mgr Adoukonou.
Quelques semaines après le décès de la présidente honoraire du mouvement ADT-Quart monde, Mme Alwine de Vos van Steenwijk, le 24 janvier, le mouvement et ses amis avaient rendez-vous au Latran, le 12 février, à 18 h, pour une messe en mémoire d’elle et du P. Joseph Wresinski, fondateur du mouvement, sous la présidence de Mgr Barthélémy Adoukonou, secrétaire du Conseil pontifical de la culture.
Voici le texte de l’homélie de Mgr Adoukonou, en la basilique papale Saint-Jean-du-Latran :
Frères et sœurs dans le Christ,
Les lectures de ce dimanche nous conduisent à méditer sur la plus terrible des exclusions sociales que connaissait le peuple de Dieu dans l’Ancien Testament : la lèpre.
La première lecture nous dit que le malade devait s’exclure de lui-même, en agitant une sonnette et en criant à haute voix: “Impur! Impur !”
Après avoir dû, lui aussi, pendant de longues années, s’auto-exclure, le lépreux de l’Evangile de Marc, une fois guéri, est tellement heureux de se retrouver en bonne santé que, plutôt que de continuer à annoncer son exclusion jusqu’à la reconnaissance officielle de sa guérison par le prêtre et à l’offrande pour sa purification, il se met à proclamer son appartenance à la communauté humaine et la fin de son exclusion.
Mais que s’est-il passé en réalité ? Saint Marc nous montre un malade audacieux. Plutôt que de se tenir au loin en proclamant à grands cris son impureté, ce lépreux, poussé par la foi, s’approche de Jésus, le supplie à genoux, en lui disant: “ Si tu le veux, tu peux me purifier”. Face à une telle audace, Jésus, l’Amour de Dieu devenu amour humain, est pris de compassion, tend les mains, le touche et lui dit : « Je le veux, sois purifié ». C’est donc l’Amour qui se fait cœur compatissant ; c’est lui qui fait se tendre la main, et toucher le malade. La rencontre de la foi vivante et de l’Amour devenu compassion produit le bonheur du salut et abolit l’exclusion. Ce salut se traduit aussi en salut physique en une guérison qui élimine l’exclusion.
L’Evangile fait état de nombreux autres récits au cours desquels l’exclusion est abolie. Lévi/Matthieu, Zachée, des publicains connus, furent libérés de leur exclusion grâce à Jésus, dans une ambiance de fête et de joie, provocant le scandale chez ceux qui les excluaient, les pharisiens qui se considéraient comme justes. La pécheresse publique qui fut amenée à Jésus pour être lapidée, et être ainsi définitivement exclue de la société des « bons », sera elle aussi sauvée par Jésus de cette mort qui la menaçait et qui allait au delà d’une mort sociale: “Femme, personne ne t’a condamné? – Personne, Seigneur! – Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus!”.
L’Evangile nous enseigne que Jésus passait en faisant le bien. Ce qui signifie qu’il prenait sur lui nos maladies physiques, sociales et morales, pour nous libérer, pour nous purifier, pour nous rendre le visage de beauté voulu pour nous par le Père, qui nous a créé à son image et à sa ressemblance. Le lépreux de cet extrait de l’Evangile de Marc est pour nous un exemple de foi audacieuse : une foi avec laquelle nous devrions tous aller à la rencontre du Christ qui continue aujourd’hui encore à attirer à Lui tout homme et toute femme, de quelque condition qu’ils soient.
A la suite de l’annonce intempestive de sa guérison par le lépreux, Jésus ne peut plus se rendre librement dans les villes, mais il se tient à l’écart, dans des lieux déserts. Ainsi on entrevoie le moment de l’exclusion de Jésus de la ville de Jérusalem, quand il sera crucifié, comme le dit l’Evangile, “hors les murs de la ville”. Sur la croix, totalement défiguré par la torture, Il promet d’attirer à lui tous les hommes pour construire un nouveau cercle de solidarité entre frères et sœurs réconciliés en une nouvelle humanité.
Nous le savons, ce nouveau cercle de solidarité rassemblant le genre humain, c’est l’Eglise. En elle, chacun est partie prenante et membre actif de la relation et du réseau de solidarité. Joseph Wresinski dont nous commémorons aujourd’hui le retour définitif à la source de l’Amour de dont nous sommes tous issus, a été appelé lui aussi, par la même force de compassion qui animait Jésus, son Maître et Seigneur, pour aller toucher les nouveaux exclus de notre temps et de notre société, matériellement très riche, mais sans cœur et sans compassion, qui précipite chaque jour un peu plus dans la misère tant d’hommes, de femmes et d’enfants, constituant ainsi un Quart Monde au sein de nos sociétés.
Joseph voulait rompre le canal par lequel se formait le visage gris et sombre des plus marginalisés de la société de l’abondance et de la surabondance. S’attachant avec son intelligence au cœur compatissant de Jésus, il a voulu mobiliser et il a mobilisé effectivement le “possible” qui git sous les ruines de notre humanité, féroce dans la destruction du frère, de la sœur, au nom de l’argent et des biens matériels que l’on cherche à accaparer à tout prix. Ce “possible” est la créativité de l’homme qui reste inaliénable dans la mesure même où il a été crée à l’image de Dieu.
Joseph savait surtout s’appuyer sur la grâce du baptême qui “nous a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu”. Avec ce levier, il savait qu’il pourrait soulever le Quart Monde, le porter au-delà de notre monde misérable parce que sans compassion, vers une nouvelle civilisation qui mette la personne humaine en son centre.
Nous tous ici présents, sommes fascinés de ce nouvel appel aux disciples du Christ dont Joseph a été la tête de pont, et nous nous retrouvons à la source devant laquelle il s’est présenté sans relâche, pour que nous puissions être capables de faire ce que lui a fait, et même faire plus encore, grâce à la mondialisation de la solidarité. Nous sommes à la source de la compassion, Jésus de Nazareth, qui aujourd’hui encore continue à toucher, non seulement les lépreux, non, mais aussi tous les exclus, pour faire un monde nouveau, nouveau parce que mu, de l’intérieur, par une humanité nouvelle.
Joseph était fils de l’Eglise famille de Dieu. Il était membre du Corps fraternel du Christ, principe divin d’une solidarité sans frontières. Il était intérieurement habité par l’Esprit du Christ, qui réconcilie l’humanité avec elle-même et avec Dieu, et qui bâtit l’unité entre le premier, le second, le troisième et le quatrième monde. Dieu qui a crée une humanité unique, nous a confié le devoir de construire un monde digne de Lui et de l’image de Lui que nous sommes. Mais nous avons divisé et fragmenté ce monde. Il est urgent de le réunifier en un seul monde, en faveur du pauvre comme du riche.
L’aspiration de notre temps au dialogue, à la communion des cultures est une aspiration à construire ensemble une civilisation solidaire. Joseph, un chrétien au sens strict du terme, s’est engagé très tôt dans cette voie pour la construction de cette civilisation, puisant ses ressources au cœur de Jésus qui est l’icône du Grand Cœur du Père Eternel, un cœur qui bat à un rythme de géant pour donner une impulsion à la vie de ce monde. Le cœur de Dieu, le cœur de Jésus sont des cœurs compatissants. Et nos cœurs à nous peuvent-ils rester sans compassion?
Notre célébration de l’Eucharistie est une action de grâce à Dieu notre Père pour le
cœur compatissant de son fils Jésus de Nazareth. La grâce que nous demandons aujourd’hui est de savoir nous laisser toucher, comme notre frère Joseph, par cette puissance révolutionnaire de l’Amour qui est la compassion. Nous pourrons alors mobiliser l’« imagination de la charité », comme nous le demandait déjà le bienheureux Jean-Paul II au début du nouveau millénaire, pour hâter l’avènement d’un monde nouveau : un monde unifié par l’amour parce qu’il aura choisi de faire du cœur aimant et compatissant le principe d’un monde unifié.
Jésus, notre Seigneur, notre Frère et notre Ami, a fait de deux hommes – le juif et le païen qui s’excluaient mutuellement – un “seul homme”. C’est lui qui a permis à Joseph de commencer à faire des « quatre mondes », « un » monde unique. Puisse le Christ accorder à chacun de nous la grâce de suivre ses traces pour offrir, avec toute la générosité dont nos cœurs, habités par Sa générosité, seront capables, notre contribution à la construction d’un monde réconcilié, juste, bon à vivre pour tous et pacifique. Amen!
Mgr Barthélemy Adoukonou
Secrétaire du Conseil pontifical de la culture