La théorie du genre dans les manuels des collèges, par Marguerite Peeters

L’origine d’un concept et les remèdes possibles

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ROME, Mardi 27 septembre 2011(ZENIT.org)–Marguerite A. Peeters est intervenue au Colloque sur le « gender » (la théorie du « genre ») qui s’est tenu à la faculté de droit de Toulon les 17 et 18 septembre. Il était organisé conjointement par l’Observatoire Sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon, les Associations Familiales Catholiques du Var et la Direction diocésaine de l’Enseignement catholique du Var.Elle résume pour les lecteurs de Zenit son exposé à ce colloque : elle dénonce en des termes très énergiques une « transformation « molle » » de la société.
Marguerite A. Peeters est l’auteur de La mondialisation de la révolution culturelle occidentale et directrice de Dialogue Dynamics www.dialoguedynamics.com.
Zenit – L’intégration de la théorie du genre dans les manuels officiels des collèges pour les cours de « Sciences de la Vie et de la Terre » (SCV) a surpris beaucoup de catholiques français. Or le phénomène du « gender » n’est pas nouveau. Comment expliquez-vous cet effet de surprise ?
Marguerite A. Peeters : Les manuels transforment en « proposition éducative explicite » ce qui est en fait un « projet idéologique » fabriqué par des ingénieurs sociaux franco-américains à partir des années 1950. Selon eux, l’identité féminine et masculine, la structure ontologique de la femme en tant qu’épouse, mère et éducatrice, la complémentarité anthropologique homme-femme, la paternité, l’hétérosexualité (l’« hétéronormativité » dominante dans toutes les cultures), le mariage et la famille traditionnelle n’existeraient pas « en soi », ne seraient pas « bons » en eux-mêmes, mais seraient des « constructions sociales » : des phénomènes sociologiques, des fonctions sociales construites au fil du temps, des « stéréotypes » à déconstruire par l’éducation et la culture car jugés « discriminatoires » et « contraires à l’égalité ».
Décrite telle qu’elle est, cette « théorie » choque. En réalité, la culture occidentale est passée ces derniers siècles par une « révolution » qui s’est dramatiquement accélérée depuis une cinquantaine d’années et dont le « gender » est l’aboutissement logique. En effet, le « gende r » n’est pas un phénomène isolé et sans histoire. Il est le fruit d’un long processus de sécularisation ayant progressivement mené à la « mort culturelle » du père, de la mère, de l’époux et ayant substitué la personne, faite par amour et pour l’amour, par le citoyen-individu laïque et « autonome ». Ce processus, mené par celui qui veut la mort de l’homme, va toujours plus loin dans la réalisation de ses objectifs.
Ses avancées sont effectives, mais souvent silencieuses, grâce à des techniques de transformation sociale « molles » comme la manipulation sémantique, la construction de consensus, des arguments scientistes (psychologiques et sociologiques), la réforme de l’éducation, le « dialogue ». Les chrétiens occidentaux en ont trop souvent été des observateurs lointains et passifs, sans parler des compromissions anesthésiantes que beaucoup, séduits par le dynamisme de la révolution et ses propositions « progressistes » et « libératrices », ont faites depuis plus de quarante ans. Une révolution est accomplie lorsqu’une « masse critique » ne résiste pas, voire adhère de plein gré, aux propositions idéologiques de ses fers de lance. Le gender tombe de cet arbre comme un fruit mur. Le fait qu’il choque montre combien nous avons été inattentifs aux évolutions. Mais le choc laisse espérer un réveil de la France, honorée à juste titre par Jean-Paul II du titre d’« éducatrice des peuples » (1980).
A quand remonte vraiment le concept de « genre » ?
N’oublions pas qu’entre la première publication du Manifeste Communiste de K. Marx en 1848 et la révolution bolchévique se sont écoulés près de 70 ans. Après sa première apparition, dans les années 1950, le projet idéologique du « gender » a commencé à prendre corps dans les milieux universitaires en France et aux USA autour de mai 68.
Surfant sur la vague de la « révolution féministe et sexuelle » occidentale alors en cours, il a progressivement acquis force de transformation sociale. Conséquence du partenariat opérationnel entre l’intelligentsia postmoderne occidentale et les organisations internationales depuis les années 60, la « perspective du genre » a été adoptée comme une norme politique mondiale à la conférence onusienne de Pékin en 1995.
L’égalité des sexes est aujourd’hui la priorité transversale effective de la coopération internationale. Elle est imposée comme condition d’aide au développement, y compris par bon nombre d’organisations caritatives catholiques aux évêques et aux chrétiens dans les pays en voie de développement. Paradoxalement, partout dans le monde, la majorité n’a pas pris la mesure de l’ampleur et de la profondeur des enjeux d’un phénomène désormais incontournable et d’ampleur mondiale.
Comment la recherche de « l’égalité des sexes » se rattache-t-elle à la théorie du « gender » ?
« L’égalité des sexes », c’est la traduction française de « gender equality ». L’expression est à interpréter à la lumière du « gender ». En français, sexe et genre sont interchangeables, ce qui d’ailleurs ne fait qu’augmenter la confusion. « L’égalité des sexes » comme norme culturelle et politique mondiale séduit les masses et les dirigeants dans les pays où l’égale dignité de la femme n’est pas toujours honorée. Mais le « gender » est un concept holistique offrant une palette d’interprétations s’inspirant toutes de la même source : une conception de la femme comme pure citoyenne, autonome de Dieu et de ses relations familiales en tant que fille, épouse et mère, détentrice de droits y compris à la contraception, l’avortement, la fécondation in vitro, la stérilisation volontaire, et, comme l’homme, à l’orientation sexuelle. Il n’y a pas de frontières nettes entre ces différentes interprétations. L’histoire de l’Occident prouve que l’on glisse de l’une à l’autre une fois qu’on a ouvert à la porte au laïcisme.
Feriez-vous remonter la question jusqu’aux « Lumières » ?
Tout a en effet commencé par le divorce, opéré au 18èmesiècle en France et en Occident, entre individu et personne, citoyen et père, laïque et croyant, droits et amour, raison et foi, état et église. Jean-Jacques Rousseau n’a-t-il pas déclaré qu’être père était un privilège social contraire à l’égalité ? La conjoncture nous invite à reconnaître qu’au nom de l’égalité et de la liberté, la révolution française a promu le citoyen-individu sur des bases d’opposition dialectique avec le père, la mère, l’époux, le fils, la fille – autrement dit avec la personne.
Or, la conception laïque de l’égalité citoyenne est radicalement indifférenciée. Elle est asexuée, « neutre ». Elle a balayé la personne, le don désintéressé de soi, l’amour de la culture et du contrat social. Au cours des derniers siècles, les droits égaux de l’individu et sa liberté de choisir ont pris socialement, juridiquement, politiquement le pas sur la paternité, la famille et l’amour. Il est finalement devenu possible de reconstruire l’être humain sur de nouveaux fondements, purement laïques : la théorie du gender.
Les cultures non-occidentales, étrangères à la « laïcité » occidentale, ne choisiraient pas librement ces propositions. Elles pourraient aider l’Occident à retrouver son âme, à réconcilier le citoyen et le père, le citoyen et le chrétien, les droits et l’amour gratuit, à refaire de la famille la cellule de base de la société, à redonner à la personne droit de cité. Encore faut-il leur donner une voix.
On entend souvent dire qu’il faut répondre aux défis du « gender » par des arguments de raison. Qu’en pensez-vous ?
Certes la théorie du « gender » et son prolongement – la théorie « queer » qui va jusqu’à affirmer que le corps sexué est une construction sociale – mettent la raison à rude épreuve ! Les théoriciens du « gender » bataillent entre eux sur le sens des expressions de leur propre jargon, telles « qu’identité sexuelle », « identité de genre », « normes sexuelles », « orientation ou préférence sexuelle », « rôle sexuel » ou « rôle de genre », « comportement sexuel », « stéréotype de genre », « diversité sexuelle » et ainsi de suite.
La prolifération de lexiques dans tous les azimuts, tentant de « clarifier » ad infinitum les particularités des multiples expressions déclinant le « gender », ne fait que renforcer la tour de Babel dans laquelle nous vivons. L’irrationnel postmoderne, proclamant la « fin de la philosophie », s’inscrit dans le prolongement du rationalisme moderne, producteur ininterrompu d’idéologies. Le divorce entre raison et foi est à la source de ces deux distorsions, liées l’une à l’autre, de la raison.
Qu’est ce qui passe aux commandes, la raison, la conscience, le cœur ?
Comment retrouver le « sens de la raison » lorsque la culture dans laquelle on vit l’a manifestement perdu ? Pour réhabiliter la raison, ce qu’exige de nous la situation présente, il apparaît aujourd’hui nécessaire de remettre en lumière le rôle de la conscience et du cœur dans le processus de l’acte humain.
L’Occident, ayant rendu la raison « autonome » de la foi, a donné durant des siècles le primat absolu à la raison, au détriment de la conscience et du cœur. Or nous constatons par expérience que les arguments rationnels ne sont pas entendus par ceux qui ont fait le choix de la négation. La révolution du « gender » est avant tout, non une simple « théorie », mais un processus de négation de ce qui est réel, vrai et bon pour l’homme, et un engagement personnel et culturel dans cette négation.
Ce mystère du mal et de son libre choix doit être pris en compte, y compris dans nos engagements dans la sphère publique, où il s’avère urgent de réintroduire, surtout dans l’éducation, la notion de conscience, de recherche sincère de ce qui est bien, de la vérité et de l’amour. Nous avons capitulé sur ce front depuis des siècles. La crise du « gender » nous invite à aller en profondeur : Duc in altum.
Qu’entendez-vous par là ?
Nous ne sommes pas avant tout dans un « débat d’idées » mais dans un combat entre la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, l’amour et la haine, la vérité et le mensonge. Nous ne sommes pas seuls dans ce combat. En tant que chrétiens, nous avons à collaborer avec le Saint Esprit lorsqu’Il éveille la raison, la conscience et le cœur des personnes que nous rencontrons à la vérité et à l’amour. Nous croyons que chaque être humain est doté non seulement d’une raison, mais d’une conscience et d’un cœur et que Dieu veut se révéler à tous. L’humanité n’aspire-t-elle pas à la civilisation de l’amour ? Dans son ouvrage « La liturgie de la charité » (Mame Desclée), Paul Peeters a eu l’intuition de la nécessité d’un retour à une anthropologie théologale et trinitaire, abandonnant derrière elle les distorsions à la fois de la modernité et de la postmodernité. L’homme et la femme sont créés à l’image de Dieu, qui est Trinité, Père, Fils et Saint Esprit : amour paternel, amour filial et fraternel, communion sponsale. Comment notre anthropologie ne serait-elle pas dès lors trinitaire ?
Propos recueillis par Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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