ROME, Mardi 20 septembre 2011 (ZENIT.org) – Le cardinal Mauro Piacenza, préfet de la Congrégation pour le clergé, intervient rarement dans le débat public. Il rejette tout ce qui est « démagogie » et « présentéisme ». Il est connu pour être un travailleur silencieux et assidu, ainsi qu’un observateur attentif de tous les phénomènes qui traversent la culture contemporaine.
C’est donc de façon tout à fait exceptionnelle qu’il nous a accordé cet entretien sur des thèmes « brûlants ». Très cordial, il révèle cette créativité pastorale que l’on attend toujours d’un authentique et fidèle pasteur de l’Eglise.
ZENIT – Eminence, de manière cyclique et ponctuelle depuis des décennies, certaines questions d’Eglise, toujours les mêmes, reviennent dans le débat public. A quoi est dû ce phénomène?
Cardinal Piacenza – Il y a toujours eu dans l’histoire de l’Église des « mouvements centrifuges », tendant à « normaliser » le caractère exceptionnel de la vie du Christ et de son corps vivant dans l’histoire, qui est justement l’Eglise. Une « Eglise normalisée » perdrait toute sa force prophétique, ne dirait plus rien à l’homme et au monde et, de fait, trahirait Son Seigneur.
La grande différence de l’époque contemporaine est à la fois doctrinale et médiatique. Pour ce qui concerne la doctrine, on prétend justifier le péché, non pas en s’en remettant à la miséricorde, mais en ayant confiance en cette dangereuse autonomie dont la saveur est proche de l’athéisme pratique ; d’un point de vue médiatique, au cours des dernières décennies, les « forces centrifuges » physiologiques, sont l’objet d’attention et sont amplifiées de manière inopportune par les outils d’information qui, d’une certaine façon, vivent de contrastes.
L’ordination sacerdotale des femmes fait-elle partie des « questions doctrinales » ?
Certainement et, comme tout le monde le sait, cette question a été affrontée clairement par Paul VI mais aussi par Jean-Paul II qui y amis un terme définitif, avec la Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, en 1994. Il affirme en effet : « Afin qu’il ne subsiste aucune doute surune question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères, que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ».
Certains, entêtés, ont parlé d’une « définition définitive relative » à la doctrine jusqu’à ce moment, mais franchement cette thèse est si curieuse qu’elle en est privée de tout fondement.
Alors il n’y a pas de place pour les femmes dans l’Eglise ?
Au contraire, les femme ont un rôle très important dans le Corps de l’Eglise et elles pourraient en avoir un encore plus évident. L’Eglise est fondée par le Christ et nous ne pouvons pas, nous les hommes, déterminer son profil. La constitution hiérarchique est liée au sacerdoce ministériel, qui est réservé aux hommes.
Mais absolument rien n’empêche de mettre en valeur le génie féminin dans des rôles qui ne sont pas strictement liés à l’exercice de l’ordre sacré. Qui empêcherait par exemple qu’une grande économiste soit à la tête de l’Administration du Siège apostolique ? Les exemples peuvent se multiplier pour tous les bureaux qui ne sont pas liés à l’ordre sacré.
Il y a des tâches où le génie féminin pourrait avoir un apport déterminant. Mais il est bien diffèrent de concevoir le service comme un pouvoir et prétendre, comme fait le monde, des « quotes-parts de tel pouvoir ».
Je pense par ailleurs qu’avoir ôter de sa valeur au grand mystère de la maternité, comme le fait la culture dominante, a vraiment joué dans la désorientation générale concernant la femme. En ne reconnaissant pas que ces dernières peuvent, sans discussions, apporter une plus grande contribution à la société et au monde, l’idéologie du profit a réduit et instrumentalisé la femme.
Et puis, l’Eglise n’est pas un gouvernement politique dans lequel il est juste de revendiquer des postes de représentation. L’Eglise c’est tout autre chose. L’Eglise est le Corps du Christ et en son sein, chacun est membre selon ce qui a été établi par le Christ. Par ailleurs, dans l’Église il n’est pas question de rôles masculins et de rôles féminins mais plutôt de rôles qui supposent, par volonté divine, une ordination ou pas. Tout ce que peut faire un fidèle laïc homme, une femme laïque peut le faire. L’important est d’avoir la préparation spécifique et l’aptitude ; après, que l’on soit un homme ou une femme n’a pas d’importance.
Mais peut-il y avoir une réelle participation à la vie de l’Eglise sans attribution de pouvoir effectif et de responsabilité ?
Qui a dit que la participation à la vie de l’Eglise est une question de pouvoir ? Si il en était ainsi, ça serait démasquer le réel équivoque à concevoir l’Eglise non comme une Eglise à la fois humaine et divine, mais simplement comme une des nombreuses associations humaines, voire plus grande et noble, vu son histoire ; celle-ci serait donc à « administrer » en répartissant le pouvoir. La réalité est bien diverse !
La hiérarchie dans l’Eglise, en plus d’être une institution qui vient directement de Dieu, doit toujours être vue comme un service à la communion. Seul l’équivoque, dérivant historiquement de l’expérience des dictatures pourrait faire penser à la hiérarchie ecclésiastique comme à l’exercice d’un « pouvoir absolu ». Demandez-le à ceux qui, chaque jour, sont appelés à collaborer sous la responsabilité personnelle du pape et pour l’Eglise universelle !
Nombreuses sont les médiations, les consultations, les expressions d’une collégialité concrète selon laquelle aucun acte de gouvernement n’est le fruit d’une seule volonté, mais toujours le résultat d’un long cheminement, à l’écoute de l’Esprit Saint et des précieuses contributions de tant d’autres. Les premiers de tous étant les évêques et les conférences épiscopales du monde.
La collégialité n’est pas un concept socio-politique mais vient de l’Eucharistie commune, de l’affectus qui nait de l’acte de se nourrir du seul Pain et de vivre une seule foi ; d’être unis au Christ qui est la voie, la vérité et la Vie ; qui est le même hier, aujourd’hui et pour toujours !
Le pouvoir de Rome n’est-il pas trop grand ?
Dire « Rome » veut tout simplement dire « catholicité » et « collégialité ». Rome est la ville que la providence a choisie comme lieu du Martyre des apôtres Pierre et Paul et la communion avec cette Eglise a toujours signifié dans l’histoire, communion avec l’Église universelle, unité, mission et certitude doctrinale. Rome est au service de toutes les Eglises, elle aime toutes les Eglises. Il n’est pas rare qu’elle protège celles qui connaissent des difficultés face au pouvoir du monde et celui des gouvernements, pas toujours pleinement respectueux du droit humain et naturel inaliénable qu’est la liberté religieuse.
L’Eglise doit être regardée à partir de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du Concile Vatican II où est décrite l’Eglise des origines, l’Eglise des Pères, l’Eglise de tous les siècles, qui est notre Eglise d’aujourd’hui, sans discontinuité ; qui est l’Eglise du Christ. Rome est appelée à présider dans la charité et dans la vérité, uniques sources concrètes de l’authentique paix chrétienne. L’unit
é de l’Eglise n’est pas un compromis avec le monde et sa mentalité, mais plutôt le résultat, donné par le Christ, de notre fidélité à la vérité et à la charité que nous serons capable de vivre.
Le meilleur exemple à cet égard est le fait qu’aujourd’hui seule l’Eglise, comme personne, défende l’homme et sa raison, sa capacité à connaître le réel et à entrer en relation avec lui, en somme l’homme dans son intégralité. Rome est totalement au service de toute l’Eglise de Dieu qui est dans le monde et elle est une « fenêtre ouverte » sur le monde. Une fenêtre qui donne la voix à tous ceux qui n’ont pas de voix, qui appelle chacun à une conversion permanente et contribue, à cet effet, en silence et avec souffrance, en se donnant elle-même en payant au prix fort, également au risque d’être impopulaire, à l’édification d’un monde meilleur, à la civilisation de l’amour.
Mais ce rôle de Rome ne constitue-t-il pas une entrave à l’unité et à l’œcuménisme ?
Bien au contraire, il en est la condition nécessaire. L’œcuménisme est une priorité de la vie de l’Eglise et une exigence absolue qui jaillit de la prière du Seigneur : «Ut unum sint», qui devient pour chaque chrétien un vrai « commandement de l’unité ».
Dans la prière sincère et dans un esprit de conversion intérieure permanente, dans la fidélité à sa propre identité et tendant tous, de manière commune, à la charité parfaite donnée par Dieu, il est nécessaire de s’engager avec conviction et faire en sorte que le mouvement œcuménique ne subissent pas de temps d’arrêt sur son chemin.
Le monde a besoin de notre unité ; il est donc urgent de poursuivre nos efforts de dialogue avec tous nos frères chrétiens, afin que le Christ soit le levain de la société. Mais il est urgent aussi de s’engager avec les non chrétiens, soit dans un dialogue interculturel, en collaborant dans les œuvres de bien pour qu’une nouvelle société, une société plus humaine, soit possible. Rome, dans cette tâche aussi, a un rôle moteur unique. On n’a pas le temps de se diviser, le temps et les énergies doivent être dépensés pour s’unir.
Dans cette Eglise, qui sont alors les prêtres et quel rôle ont-ils ?
Ce ne sont ni des assistants sociaux et encore moins des fonctionnaires de Dieu ! La crise d’identité est bien plus aiguë dans des contextes plus fortement sécularisés où il semblerait qu’il n’y a pas de place pour Dieu. Les prêtres, eux, sont toujours les mêmes ; ce que le Christ a toujours voulu qu’ils soient ! L’identité sacerdotale est christocentrique et donc eucharistique. Christocentrique car, comme rappelé plusieurs fois le Saint-Père, dans le sacerdoce ministériel, « le Christ nous attire en Lui », s’impliquant avec nous et nous impliquant dans son existence même.
Cette « réelle » attraction arrive par la voie des sacrements, donc de manière objective et unique, dans l’Eucharistie, dont les prêtres sont les ministres, c’est-à-dire les serviteurs et des instruments efficaces.
Mais la loi du célibat est-elle vraiment insurmontable ? Ne pourrait-on pas la changer ?
Il ne s’agit pas d’une simple loi ! La loi est la conséquence d’une réalité bien plus élevée que l’on ne saisit que dans la relation vitale avec le Christ. Jésus dit : « Qui peut comprendre comprenne ». Le célibat sacré n’est jamais dépassé, bien au contraire il est toujours nouveau en ce sens qu’à travers lui, la vie du prêtre se « renouvelle », car elle est toujours un don, dans une fidélité qui a sa racine en Dieu et son fruit dans l’épanouissement de la liberté humaine.
Le véritable drame réside dans cette incapacité aujourd’hui à faire des choix définitifs, dans cette terrible réduction de la liberté humaine qui, devenue si fragile, n’arrive plus à poursuivre le bien, même lorsque ce bien est reconnu et perçu comme une possibilité pour notre propre existence.
Le problème n’est pas le célibat, et les infidélités et la faiblesse de certains prêtres ne peuvent, eux non plus, être le critère de jugement. Du reste les statistiques nous disent que plus de 40% des mariages sont un échec. Parmi les prêtres nous sommes à moins de 2%. La solution ne réside donc absolument pas dans le caractère optionnel du célibat sacré.
Ne faudrait-il pas plutôt arrêter d’interpréter la liberté en termes d’ « absence de liens », de « principe définitif », et commencer à redécouvrir que c’est précisément dans le don définitif de soi à l’autre et à Dieu que réside la vraie réalisation et le bonheur humain ?
Et les vocations ? N’augmenteraient-elles pas si on abolissait le célibat ?
Non! Les confessions chrétiennes, où n’existant pas de sacerdoce ordonné il n’y a pas de doctrine ni de discipline du célibat, se trouvent dans un état de profonde crise concernant les « vocations » à la tête de la communauté. De même qu’il y a crise du sacrement du mariage « un » et indissoluble.
La crise, dont, en réalité, on est en train de sortir lentement, est liée fondamentalement à la crise de la foi en occident. Faire grandir la foi ! Voilà ce à quoi il nous faut nous atteler. C’est un fait. Dans les mêmes milieux, la sanctification de la fête est en crise, la confession est en crise, le mariage est en crise, etc… La sécularisation et la perte du sens du sacré qui en découle, celle de la foi et de sa pratique, ont également induit une importante diminution du nombre des candidats au sacerdoce. A ces raisons purement théologiques et ecclésiales, s’ajoutent quelques unes de nature sociologique : la première de toute, la chute évidente des naissances, et donc du nombre des jeunes et des jeunes vocations. C’est un facteur que l’on ne peut ignorer Tout est lié.
Parfois on se pose des prémices et puis on ne veut pas accepter les conséquences mais celles-ci sont inévitables. Le premier remède à la chute des vocations auquel on ne saurait renoncer, Jésus lui-même l’a suggéré : « Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson» (Mt 9,38). Ceci est le réalisme de la pastorale des vocations. La prière pour les vocations, un réseau intense, universel, étendu, de prière et d’adoration eucharistique qui enveloppe tout le monde, est la seule véritable et possible réponse à la crise des vocations. Là où une telle attitude de prière est vécue de manière stable, on peut affirmer qu’une réelle reprise est en cours.
Il est également fondamental de soigner l’identité et la spécificité dans la vie ecclésiale, des prêtres, des religieux – et ceci dans la particularité des charismes fondateurs des instituts d’appartenance – et des fidèles laïcs, afin que chacun puisse vraiment, en toute liberté, comprendre et accueillir la vocation que Dieu a pensé pour lui. Mais chacun doit être soi-même et doit, chaque jour davantage, s’engager à devenir ce qu’il est.
Eminence, en ce moment historique, que diriez-vous pour résumer la situation générale ?
Notre programme ne peut être influencé par le désir de vouloir vivre à la surface à tout prix, de se sentir applaudi par l’opinion publique : nous devons seulement servir par amour et avec amour notre Dieu dans notre prochain, quel qu’il soit, conscients que seul Jésus est le Sauveur. Nous devons Le laisser passer, Le laisser parler, Le laisser agir à travers nos pauvres personnes et notre engagement quotidien.
Nous ne devons pas mettre du « notre » mais du « Sien ». Face aux situations, même les plus désespérées en apparence, nous ne devons pas nous affoler. Le Seigneur est sur la barque de Pierre même s’il a l’air de dormir ; il y est ! Nous devons agir avec énergie, comme si tout dépendait de nous mais avec, en no
us, la paix de celui qui sait que tout dépend du Seigneur. Nous devons donc rappeler que le nom de l’amour, dans le temps, est « fidélité » ! Le croyant sait qu’Il est la Voie, la Vérité, la Vie et non « une voie », « une » vérité, « une » vie.
Si bien que c’est dans le courage de la vérité, au risque d’être insultés et méprisés, que se trouve la clef de la mission dans notre société ; et c’est ce courage, qui forme un tout avec l’amour, avec la charité pastorale, que l’on doit retrouver et qui rend encore plus fascinante, aujourd’hui plus que jamais, la vocation chrétienne.
Je voudrais citer le programme que le Conseil de l’Eglise évangélique formula brièvement à Stuttgart en 1945 : « Annoncer avec plus de courage, prier avec plus de confiance, croire avec plus de joie, aimer avec plus de passion ».
Propos recueillis par Antonio Gaspari