Le célibat sacerdotal et la fécondité spirituelle, par Thérèse Nadeau-Lacour

Pour les chrétiens, la ‘fécondité’ n’est pas une option

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 ROME, Jeudi 20 janvier 2011 (ZENIT.org) – « Pour les chrétiens qui ont choisi de suivre le Christ, la ‘fécondité’ n’est pas une option » : c’est ce qu’affirme Thérèse Nadeau-Lacour, docteur en philosophie et en théologie, professeur de théologie spirituelle à l’Université Laval Québec.

Cette spécialiste interviendra le mercredi 26 janvier prochain à Ars, lors d’un colloque sur le célibat sacerdotal. Son intervention aura pour thème : « célibat et fécondité spirituelle ».

Dans cette interview à ZENIT, elle évoque ce thème et rappelle que les fruits que les chrétiens – et les prêtres – sont appelés à porter sont souvent « invisibles aux yeux du monde et aux yeux du prêtre lui-même ». Mais leurs « effets dans les âmes sont toujours libérateurs ».

ZENIT : Qu’est-ce qu’on entend par fécondité spirituelle ?

Thérèse Nadeau-Lacour : Plusieurs fois dans les Évangiles, Jésus exhorte ses disciples à « porter du fruit » : l’image des rapports entre un arbre et ses fruits est récurrente dans son enseignement. Porter du fruit devient même un des commandements que Jésus laisse, au soir du Jeudi-Saint, à ceux qu’il appelle désormais ses « amis ». Pour les chrétiens qui ont choisi de suivre le Christ, la ‘fécondité’ n’est donc pas une option. Elle est intrinsèquement liée au choix du disciple de répondre à l’appel du Christ.

Comme toute fécondité (biologique, par exemple), la fécondité spirituelle suppose la rencontre et l’union de deux principes de vie, qui engendre une vie nouvelle. La fécondité spirituelle suppose la rencontre entre le don de la Vie même de Dieu et l’être humain qui reçoit ce don, accueille le travail de ce don en lui, travail de transformation qui rend féconde sa propre vie.

Le maître d’œuvre de ce don, c’est l’Esprit-Saint, la vie même de Dieu. Aussi les fruits produits par l’accueil et le travail de ce don gratuit – travail de la grâce – seront d’abord appelés spirituels à cause de leur origine, de leur principe, l’Esprit Saint et, aussi, en référence à ce qui, dans le disciple, est le premier lieu de la réception libre de ce don : sa dimension spirituelle, son cœur au sens biblique du mot, le centre de son être, là où s’enracine son identité et où se noue le sens de sa vie, là où se réalise la rencontre de Dieu.

ZENIT : Quelle est la place du célibat dans la fécondité spirituelle du prêtre ?

Thérèse Nadeau-Lacour : Il faut tout d’abord, – non pas opposer ! – mais distinguer, afin de mieux unir, la fécondité spirituelle liée à la mission du prêtre et à la grâce qui lui est associée, et la fécondité spirituelle jaillie du cœur de l’apôtre, parvenu dans sa vie d’intimité avec Dieu à une union des volontés ; ce dernier type de fécondité relève de la charité parfaite, surnaturelle, celle des saints.

Si l’on s’en tient au premier type de fécondité, la question posée est délicate et essentielle à la fois car elle touche, à mon sens, à la nature même du ministère sacerdotal et pas seulement à la manière de l’exercer.

Il me semble que, si on considère le ministère sacerdotal comme un service à rendre à la communauté ecclésiale en termes de tâches à accomplir et d’un certain nombre de « choses à faire » pour lesquelles le prêtre serait spécialisé, le célibat peut, au mieux, apparaître comme un moyen de libérer du temps et de la disponibilité pour faire davantage de travail dans de meilleures conditions, avantages non négligeables, certes, surtout de nos jours ! Mais, si la disponibilité offerte par le célibat permet dans cette perspective une « fécondité » plus grande en termes de productivité ou d’efficacité, elle n’a pas d’incidence directe sur la qualité spirituelle de ce qui est accompli.

Par contre, les liens entre célibat et fécondité spirituelle sont non seulement possibles mais nécessaires si on reconnaît que la raison d’être du célibat a directement à voir avec la nature même du sacerdoce.

Dans tous les offices de la mission du prêtre, cette fécondité consiste à donner la présence de Dieu au monde. À cause de la nature même de sa mission, en particulier à cause du pouvoir qui lui est donné par le sacrement de l’ordre de prononcer in persona Christi les paroles du Christ qui, dans l’Eucharistie, le rendent présent, ou encore de prononcer, à la première personne, les mots par lesquels le Christ pardonne les péchés, le prêtre est comme appelé à entrer dans le « JE » du Christ, selon les paroles de Benoît XVI ou, pour reprendre un mot de l’apôtre Paul, à être ‘saisi’ par le Christ. En juin 2010, Benoît XVI ajoutait que le célibat sacerdotal signifie « se laisser saisir » radicalement par le Seigneur dans un ‘oui’ et une fidélité dont Jean-Paul II aimait à décrire le caractère « sponsal ».

En ayant choisi le célibat, « la continence pour le Royaume », le prêtre renonce certes aux liens du mariage, mais il ne renonce pas à aimer. Au contraire ! Choisi à cause du Royaume, – c’est-à-dire de ce qui ne passe pas, – son célibat pointe vers ce qui ne disparaîtra pas et qui n’est autre que la vie même de Dieu, l’amour de Dieu, l’Amour qu’est Dieu. On connaît le mot célèbre du Curé d’Ars : « Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus », aux deux sens de la préposition ; l’amour que le cœur de Jésus éprouve pour l’humanité et que le prêtre rend présent par les sacrements, et l’amour que le prêtre éprouve pour le cœur de Jésus.

À même ses faiblesses et les limites humaines du prêtre, son ministère est entièrement au service de la manifestation de cet amour, que ce soit dans la célébration des sacrements ou dans l’exercice de la charité pastorale. Ainsi, on pourrait dire que « la continence pour le Royaume » tend à inscrire l’existence du prêtre dans une cohérence profonde entre ce qui est manifesté dans les sacrements (l’Eucharistie fait mémoire de l’amour jusqu’au bout du Christ dans le don de sa vie), et le don que le prêtre fait de lui-même au Christ pour le service de la communauté.

ZENIT : Un prêtre peut-il être « père » ? De quelle manière ?

Thérèse Nadeau-Lacour : Au sein de la communauté, le prêtre reçoit souvent le titre de ‘père’. Mais sa paternité est paradoxale ! Il participe de la « paternité » du Christ qui, pourtant, est le Fils. À la demande du Christ, les apôtres font mémoire de la vie livrée du Fils pour que les hommes aient la vie. Ainsi, tel un père, le Fils, par sa mort, donne la vie même de Dieu, celle qui nous fait enfants de Dieu. En un sens, Il engendre l’humanité nouvelle. En rendant le Christ présent dans les signes de son amour, le prêtre, par les sacrements, – et d’une manière spirituelle, – « donne » lui aussi la vie. Par l’annonce de la Parole, semence divine, il permet au Verbe de féconder les intelligences et les cœurs ; par l’exercice de sa charité pastorale, il témoigne de l’amour de Dieu-Père pour les plus pauvres et les plus faibles de ses enfants. Il éduque les cœurs et guide les âmes qui cherchent Dieu. D’une certaine manière, sa paternité est de conduire au Père.

Saint Paul affirme haut et fort sa paternité. Par exemple : « Quand vous aurez 10 000 pédagogues, vous n’aurez pas plusieurs pères. C’est moi qui, par l’évangile, vous ai engendrés en Christ » (1 Co 4, 15). Et pourtant, c’est dans les termes d’une tendresse étonnamment maternelle qu’il parle des enfants de sa mission. Aux Thessaloniciens, il écrit : « Nous avons été au milieu de vous plein de douceur comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. Nous avions pour vous une telle affection que nous étions prêts à vous donner non seulement l’évangile de Dieu mais même notre propre vie tant vous nous étiez d
evenus chers » (1 Th 2, 5-8) ; et, surtout, aux Galates, cette parole extraordinaire qui résume la fécondité de la charité pastorale : « Mes petits enfants que, dans la douleur, j’enfante à nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous… » (Ga 4, 19).

ZENIT : On pense souvent que célibat ne rime pas avec épanouissement. En quoi permet-il d’épanouir le prêtre ? Lui permet-il de porter du fruit dans son sacerdoce ?

Thérèse Nadeau-Lacour : Comme je l’ai déjà dit, en renonçant au mariage, le prêtre ne renonce pas à aimer, c’est-à-dire à se réaliser comme « être-pour-le-don », caractéristique inscrite dans l’être de l’homme dès la création (voir à ce sujet les commentaires de Jean-Paul II sur les versets de la Genèse). C’est une autre manière de dire que, dans le célibat, le prêtre ne renonce pas à sa vocation au bonheur, à la pleine réalisation de lui-même.

À Pierre qui rappelle la radicalité de sa décision de le suivre, ‘Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi ! (Mt 19, 27), et à celui qui a tout perdu pour Lui, Jésus promet le royaume en héritage et même la vie éternelle, – cette vie même que recherchait le jeune homme riche comme vie en plénitude. Avant de lui confier une ultime fois la charge pastorale, Jésus fera renouveler à Pierre son engagement exclusif : ‘M’aimes-tu plus que ceux-ci ?’ (Jn 21, 15).

L’union à Dieu obéit toujours à une même dynamique qui est celle de la surabondance de l’amour – le philosophe Paul Ricoeur parle même d’une « logique » de la surabondance ; plus le disciple est uni au Christ, et plus il est envoyé en tablier de service vers les autres pour leur manifester de quel amour ils sont aimés. Sorte de loi du ‘tiers inclus’, l’intimité avec le Christ est toujours marquée d’un caractère de fécondité apostolique. Cette intimité avec le Christ qui, peu à peu, conforme au Christ est nécessairement marquée du signe du plus grand amour, le signe de la Croix. Ainsi, « l’épanouissement » n’est jamais le but dernier. Il ne va pas sans les fruits. Et les fruits spirituels ne sont pas sans quelque douleur d’enfantement.

ZENIT : A quoi reconnaît-on les fruits portés ? Sont-ils de ce monde ?

Thérèse Nadeau-Lacour : Jésus répond directement à cette question au moment même où Il rappelle aux apôtres la nécessité de porter du fruit : « C’est moi qui vous ai choisis pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jean 15, 16). Il s’agit là de fruits marqués par le sceau de l’amour-charité qui ne passe pas. En ce sens, au cœur même du monde, ces fruits témoignent de ce que le monde ne peut produire et que Dieu seul peut donner et que parfois Dieu seul connaît. Il s’agit souvent de fruits invisibles aux yeux du monde et aux yeux du prêtre lui-même, mais dont les effets dans les âmes sont toujours libérateurs.

Lié à la grâce sacerdotale et à l’amour du Christ, le célibat est accueilli comme un don par la communauté des fidèles. Il est aussi un vœu qui creuse toujours davantage le cœur du prêtre jusqu’à le dilater aux dimensions du cœur du Christ, Époux de l’Église.

Propos recueillis par Marine Soreau

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ZENIT Staff

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