Pakistan : Les chrétiens refusent de glorifier l’assassin du gouverneur du Pendjab

Le pape déplore les effets de la loi sur le blasphème

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ROME, Mardi 11 janvier 2011 (ZENIT.org) – Les chrétiens du Pakistan dénoncent la glorification de l’assassin du gouverneur du Pendjab, rapporte « Eglises d’Asie » (EDA), l’agence des Missions étrangères de Paris (MEP). Le pape lui-même a évoqué cet assassinat dans son discours du 10 janvier au Corps diplomatique en déplorant les effets de la loi sur le blasphème (cf. Zenit du 10 janvier 2011).

Face aux manifestations de soutien à la personne et à la cause de Malik Mumtaz Hussain Qadri, garde du corps de Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, qu’il a assassiné le 4 janvier afin de punir une personnalité musulmane ayant osé remettre en cause la loi anti-blasphème, les responsables chrétiens au Pakistan s’inquiètent. Ils dénoncent la glorification dont fait l’objet l’assassin, glorification qui rendra très difficile l’exercice serein de la justice dans le pays et qui est de nature à faire taire toute voix discordante aux visées des islamistes.

« Notre nation est divisée en deux camps – les modérés et les extrémistes. La probabilité est faible de voir la justice rendue quand des avocats, qui sont des personnes censées être instruites, couvrent de fleurs le meurtrier d’un gouverneur connu pour ses positions libérales. Cela dénote la profonde détérioration qui est à l’œuvre dans notre société », a déclaré en chaire le P. Andrew Nisari, vicaire général de l’archidiocèse de Lahore, lors de la messe dominicale célébrée en la cathédrale du Sacré-Cœur à Lahore, le 9 janvier dernier. Ce jour-là, dans toutes les églises catholiques du pays, il avait été demandé aux fidèles de prier pour le repos de l’âme de Salman Taseer, ce dimanche étant par ailleurs célébré comme une « Journée de prière pour les minorités ».

Au surlendemain de l’assassinat, la Conférence des évêques catholiques du Pakistan avait publié un communiqué pour qualifier le meurtre de « signe de la montée du fanatisme religieux dans un pays où la tolérance pour les opinions ou les croyances de l’autre n’a plus cours ». A propos du gouverneur du Pendjab, qui n’avait pas hésité à rendre visite à la chrétienne Asia Bibi condamnée à mort pour blasphème afin de lui signifier son soutien, Mgr Lawrence Saldanha, qui connaissait personnellement Salman Taseer, écrivait : « [Le gouverneur du Pendjab] a œuvré courageusement en faveur de l’abolition de la loi sur le blasphème, motif pour lequel il a été vivement critiqué de son vivant. Mais il n’a pas eu peur et a payé son engagement de sa vie. Il peut vraiment être appelé « martyr de la justice et de la liberté religieuse » ». L’archevêque de Lahore et président de la Conférence épiscopale continuait par ses mots : « Sa mort est le signe de la montée du fanatisme religieux au Pakistan, un fanatisme qui se montre intolérant envers les autres croyants ou ceux qui ont une opinion différente. Espérons que justice soit faite, que son assassin soit jugé selon la loi et que lui soit infligée une punition exemplaire » (1).

Agé de 26 ans, héros de l’islam pour les cercles radicaux, l’assassin du gouverneur, Malik Mumtaz Hussain Qadri, a affirmé à la police avoir agi seul, sans l’aide d’une organisation religieuse ou extrémiste, bien que son affiliation au Dawat-e-Islami, mouvement de prédicateurs extrémistes, ait été établie. Des vidéos ont été mises en ligne sur Youtube, le montrant en détention, souriant et avouant son crime. A une question lui demandant s’il avait tué Salman Taseer en raison de sa position sur la loi sur le blasphème, il répond : « Oui, oui. Le châtiment pour un blasphémateur est la mort. » La date de son procès a été fixée au 24 janvier prochain, mais, si celui-ci doit se dérouler à la manière de ses premières auditions devant la justice, l’atmosphère risque d’être agitée : les deux audiences ont été perturbées par les manifestations de centaines de ses partisans, des avocats et des étudiants d’écoles coraniques qui l’ont ovationné et couvert de pétales de rose à son arrivée au tribunal en réclamant sa libération. Selon les cercles conservateurs, un homme « qui a défendu l’islam » ne peut être jugé. Sur Facebook, un fan club de Malik Mumtaz Hussain Qadri est rapidement apparu, avec plus de 2 000 « amis », avant que la page ne disparaisse des écrans.

Au-delà du jugement qui sera prononcé à l’encontre de l’assassin du gouverneur du Pendjab, c’est la place qui est laissée aux voix discordantes de l’islamisme radical qui est en jeu au Pakistan. Affaibli politiquement par la défection de deux de ses alliés, l’actuel gouvernement a renoncé à agir dans le sens d’une refonte de la loi anti-blasphème (2). Les porte-parole des « modérés » se font très rares. L’ancienne journaliste entrée en politique au sein du Parti du peuple pakistanais – celui du président Zardari -, Sherry Rehman, doit désormais vivre entourée d’une protection policière renforcée depuis qu’elle s’est engagée en faveur de l’amendement de la loi controversée. Des fatwa ont été prononcées contre elle, lui niant son appartenance à l’islam et lui promettant la mort. Le 9 janvier, à Karachi, lors d’une manifestation qui a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes opposées à toute révision de la loi sur le blasphème, son nom a été hué.

Le 7 janvier à Lahore, des associations chrétiennes avaient organisé une veillée de prière en la mémoire du gouverneur assassiné. Plusieurs organisations locales de défense des droits de l’homme et de développement social les avaient rejointes. L’une d’elles, Rising Pakistan, a « condamné l’émergence d’un mouvement visant à glorifier un assassin et d’une culture d’incitation à la haine ». C’est l’inaction des gouvernements successifs de ces dernières années qui est responsable de cette situation, ont dénoncé les militants des droits de l’homme. « Nous implorons les autorités de prendre les actions concrètes et nécessaires pour agir contre ceux qui appellent à tuer par haine de l’autre ou qui tuent ceux qui osent prendre position dans le débat sur les lois anti-blasphèmes », pouvait-on encore lire dans l’un de leurs communiqués.

A Rome, le 10 janvier, lors du traditionnel discours au corps diplomatique, le pape Benoît XVI s’est saisi du thème de la liberté religieuse comme « voie fondamentale pour la construction de la paix ». Rompant avec la pratique instituée au fil des années passées, il s’est fait très précis, demandant explicitement à Islamabad « de faire les efforts nécessaires pour abroger la loi contre le blasphème au Pakistan ». Le pape a cité « le tragique assassinat du gouverneur du Pendjab » qui « montre combien il est urgent de procéder dans ce sens ». Il a souligné à quel point « il était évident que [la loi sur le blasphème] servait de prétexte pour provoquer injustices et violences contre les minorités religieuses ».

(1)           Fides, 7 janvier 2011.

(2)           Voir EDA 541. Voir aussi EDA 543 (Pour approfondir : « La loi anti-blasphème, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des chrétiens pakistanais »)

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ZENIT Staff

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