ROME, Vendredi 12 novembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous une réflexion de l’ECLJ (European Centre for Law and Justice) sur le « droit à l’enfant par procréation artificielle » qui se trouve au coeur d’une affaire qui a opposé l’Etat autrichien et la première Section de la Cour européenne des droits de l’homme. L’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre.
Strasbourg, le 8 novembre 2010
Le 1er avril 2010 la première Section de la Cour a rendu une décision dans l’affaire S.H. contre Autriche (n° 57813/00). Dans cette décision, la Cour a déclaré que l’interdiction de l’utilisation de sperme et d’ovules issus de dons en vue d’effectuer une fécondation in vitro est injustifiée et constitue une violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision est très problématique car elle présuppose une sorte de « droit à l’enfant » et parce qu’elle ne respecte pas la souveraineté des Etats en matière de choix éthiques. Le gouvernement autrichien a demandé le renvoi de cette affaire devant la Grande Chambre. Celui-ci a été accordé le 4 octobre 2010.
Pour l’ECLJ, cette décision est juridiquement et moralement inacceptable, elle diminue la souveraineté des Etats en matière d’éthique, elle ne découle pas de la Convention et elle ouvre la voie à d’autres abus en matière éthique. « Si les préoccupations fondées sur des considérations d’ordre moral ou sur l’acceptabilité sociale ne sont pas appropriées pour réglementer les biotechniques, quel est le but de la bioéthique ? » s’interroge Grégor Puppinck, directeur du European Center for Law and Justice.
L’ECLJ va demander à la Cour l’autorisation d’intervenir Comme tierce partie. Le gouvernement allemand est déjà tierce partie. Plusieurs ONG et députés, dont M. Luca Volontè député italien président du PPE au Conseil de l’Europe, ont indiqué vouloir également se porter tierce partie.
En l’espèce, il s’agit de deux couples vivant en Autriche ayant demandé de pouvoir recourir à des fécondations in vitro hétérologues, c’est à dire à une FIV avec du sperme et/ou d’ovules provenant de tierces personnes. Le premier couple, pour avoir un enfant, aurait besoin d’une FIV avec du sperme d’un tiers donneur. Ainsi seule la mère aurait un lien génétique avec l’enfant. Concernant l’autre couple, tant l’homme que la femme sont stériles, ce qui impliquerait, pour « réaliser leur désire d’enfant », d’avoir recours à une FIV avec du sperme et des ovules provenant de tierces personnes. Dans ce cas, l’enfant ainsi conçu n’aurait aucun lien génétique avec ses parents officiels, notamment avec la femme qui lui donnerait naissance. C’est un cas de procréation artificielle davantage que de procréation médicalement assistée.
Les deux couples ont introduit une requête devant la Cour européenne le 8 mai 2000, affirmant notamment que les dispositions de la loi autrichienne interdisant la pratique de FIV hétérologues violait leur droit au respect de la vie privée (art. 8) et constituerait une discrimination (art. 14). A cet égard, les requérants se plaignent d’être victimes d’une différence de traitement, sans justifications raisonnables et objectives, par rapport aux « autres couples qui souhaitent eux aussi bénéficier d’une assistance médicale à la procréation, mais dont l’état de santé les dispense de recourir à un don de gamètes en vue d’une fécondation in vitro. »
La loi autrichienne sur la procréation interdit les FIV hétérologues, mais autorise les FIV homologues, c’est-à-dire lorsque l’ovule et le sperme proviennent de chacun des membres du couple. De plus l’utilisation de sperme provenant d’un donneur tiers est possible s’il s’agit d’une fécondation in utero. Ces dispositions sont le fruit d’un débat interne à la société autrichienne suite auquel le législateur a cherché à protéger la santé, le bien-être des femmes et des enfants concernés ainsi que la sauvegarde des valeurs éthiques et morales de la société. Ces objectifs nécessitent, selon le législateur autrichien, de préserver le lien biologique entre les parents et l’enfant, en restant au plus près de la procréation naturelle. Par conséquent la loi autrichienne sur la procréation refuse d’entrer dans une logique de procréation artificielle ouvrant la porte a un « droit à l’enfant ». C’est ce que conteste la Cour dans sa décision du 1er Avril 2010.
Le gouvernement allemand a été autorisé par la Cour à intervenir comme tierce partie. Dans ses observations, le gouvernement allemand soutien la position du gouvernement autrichien. Il explique notamment que l’interdiction de la FIV hétérologue a pour but de protéger le bien-être de l’enfant en assurant l’absence d’ambigüité sur l’identité de sa mère. IL ajoute que « Accepter la dissociation de la filiation maternelle en une composante génétique et une composante biologique reviendrait à reconnaître que deux femmes peuvent prendre part à la conception d’un enfant, situation inconnue dans la nature et inédite dans l’histoire de l’humanité.»
Dans sa décision du 1er avril 2010 la Première Section de la Cour européenne des droits de l’homme a fondé sa décision sur cinq postulats principaux :
1 Le « droit des couples à procréer en faisant appel à la procréation médicalement assistée » existe et « entre dans le champ d’application de l’article 8 » (§ 60), c’est-à-dire dans le champ de protection de la vie privée.
2 L’affirmation suivante : « La Cour estime que des considérations d’ordre moral ou tenant à l’acceptabilité sociale des techniques en question ne sauraient justifier à elles seules l’interdiction totale de telle ou telle méthode de procréation assistée, en l’occurrence le don d’ovules.» (§ 74)
3 La préservation du modèle de la famille fondée sur un lien biologique et génétique et l’unicité de la mère n’est pas une préoccupation légitime, car « les relations familiales atypiques – au sens large – ne sont pas inconnues des ordres juridiques des Etats contractants » (§ 81)
4 La marge d’appréciation « accordée » à l’Etat de se prononcer en matière de reproduction humaine est « restreinte » car le « désir d’enfant » est un « aspect particulièrement important de l’existence […] d’un individu » (§ 93), c’est-à-dire que la faculté des Etats de réglementer librement la procréation artificielle devrait être strictement limitée.
5 – L’interdiction de la FIV hétérologue est discriminante dès lors que la FIV homologue et la fécondation in utero avec tiers donneur sont autorisées.
En réponse aux autres arguments avancés par l’Autriche, tel que le risque d’exploitation des femmes ou des pratiques eugéniques, la Cour a simplement affirmé que « l’interdiction totale de la technique médicale dont il est ici question ne peut revêtir un caractère proportionné que s’il apparaît, après un examen attentif, qu’elle constitue le seul moyen efficace d’éviter de graves inconvénients. […] La Cour juge que l’interdiction du don de gamètes à des fins de fécondation in vitro ne peut être considérée comme le moyen unique ou le moins rigoureux susceptible de conduire à la réalisation de l’objectif poursuivi. » (§ 76)
La Cour a également rejeté l’argument selon lequel il convient d’éviter qu’un enfant ait deux mères (l’une génétique et l’autre biologique) et de préserver la sécurité juridique dans le domaine du droit familial. A cette fin la Cour redéfinit la famille de façon totalement volontariste et post-biologique. La famille, selon la Cour, en tant que ré
alité sociale et biologique tangible n’a plus d’existence propre. Cette réalité est absorbée dans la vision conceptuelle de la famille développée par la Cour. Pour la Cour, la famille est non pas une réalité (parents + enfants) mais c’est une « relation » ; et c’est de cette « relation familiale » que naîtrait la famille. C’est donc faire prévaloir la subjectivité sur la réalité. Tout type autoproclamé de relations familiales pourrait donc créer une famille. C’est ce que prétend la Cour lorsqu’elle affirme que « les relations familiales atypiques – au sens large – ne sont pas inconnues des ordres juridiques des Etats contractants.» (§ 81) La Cour poursuivit en affirmant que le gouvernement autrichien ne doit pas être réticent à permettre de nouveaux types de « relations familiales atypiques » qui « ne s’inscrivent pas dans le cadre classique des rapports parent-enfant reposant sur un lien biologique direct » (§ 81). Par exemple, cela peut être le « rapport familial fondé non sur les liens du sang mais sur un engagement et qui se juxtapose ou se substitue aux relations découlant de la filiation parentale ».
Si cette décision devait être confirmée par la Grande Chambre, cela impliquerait notamment la reconnaissance pour les couples de même sexe du droit d’accéder à la procréation artificielle avec don d’ovules et de sperme. La Cour a déjà affirmé que l’adoption des enfants devait être accordée sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Pourquoi en serait-il autrement de la réalisation de ce désir par procréation artificielle ? Le choix de l’expression « désir d’enfant » utilisée par la Cour est déjà significatif, car elle est beaucoup plus large que « le droit ou désir d’avoir un enfant ». Le « désir d’enfant » peut être réalisé avec les enfants des autres.
Le fait que la Cour ait décidé de renvoyer l’affaire est déjà une indication claire de la part de la Cour que cette affaire soulève des questions graves. Les opinions dissidentes des juges Jebens et Steiner, publiées à la fin de la décision de la Cour accréditent fortement la possibilité d’un revirement de la Cour. Comme le juge Jebens l’a dit clairement dans son opinion dissidente, la Cour n’aurait pas dû interférer avec la position éthique de l’Etat autrichien, « il n’existe pas de consensus européen sur la question de la procréation artificielle avec tiers donneur. Au vu de ce qui précède et du caractère très délicat de la question qui se pose en l’espèce, j’estime que l’Etat aurait dû se voir accorder une ample marge d’appréciation ». En contraignant ainsi les Etats, cette décision porte directement atteinte aux réglementations d’un grand nombre d’Etats européens qui interdisent explicitement la FIV hétérologue ou n’ont pas encore adopté de législation sur cette technique. C’est le cas de l’Autriche, la Croatie, la Finlande, l’Allemagne, l’Italie, la Lituanie, le Luxembourg, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la Suisse, la Roumanie la Turquie Chypre et Malte.
Enfin, la Cour, à aucun moment, n’a fait référence au principe fondamental de « dignité humaine ». En utilisant le concept de non-discrimination, et en omettant celui de dignité humaine, la Cour évite toute discussion sur la moralité de la pratique biomédicale en question.
Documents relatifs à l’affaire :
* CEDH, 1ere Ch, 1er Avril 2010, S.H. and Others v. Austria (n° 57813/00).
* Conseil de l’Europe – Etude comparative dans 39 Etats sur la procréation médicalement assistée et la protection de l’embryon ainsi que sur le clonage dans 44 Etats. – 4 Juin 1998 CDBI/INF (98) 8.
Le European Center for Law and Justice (ECLJ) est une organisation non-gouvernementale ayant pour objet la protection des droits de l’homme et sur la promotion des « valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples européens et la véritable source de la liberté individuelle, liberté politique et la primauté du droit, principes qui constituent le fondement de toute démocratie véritable; » (Préambule du Statut du Conseil de l’Europe). L’ECLJ a pris part à de nombreuses affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, l’ECLJ a un statut consultatif spécial auprès de l’ECOSOC des Nations Unies, et est accrédité auprès du Parlement européen.