ROME, Jeudi 4 novembre 2010 (ZENIT.org) – Les 6 et 7 novembre prochains, Benoît XVI se rendra à Saint-Jacques-de-Compostelle puis à Barcelone pour rappeler l’amour de Dieu et redire que « le Seigneur n’ôte rien, mais donne tout ».
D’un côté il essaiera de renforcer le sens du pèlerinage sur la tombe de Jacques le Majeur à Compostelle : la pénitence, la conversion et l’importance que représente ce sanctuaire pour l’évangélisation de l’Europe ; de l’autre, il voudra admirer et présenter les innombrables symboles liturgiques des piliers, des tours et des centaines de détails qui composent l’architecture de la Sainte-Famille, à Barcelone.
ZENIT a interrogé Mgr Celso Morga Iruzubieta, sous-secrétaire de la Congrégation pour le clergé, sur ces deux étapes du voyage. Né à Huércanos, à La Rioja (Espagne), le 28 janvier 1948, il a été ordonné prêtre en 1972.
ZENIT : Pourquoi le pape tient-il tant à consacrer la basilique de la Sainte-Famille?
Mgr Celso Morga : Les cinq nefs centrales de la Sainte-Famille sont presque terminées, et le pape est très heureux de présider cette consécration. Il est important pour lui que la liturgie soit bien célébrée, qu’on lui donne tout son éclat, qu’elle soit un culte rendu à Dieu en même temps qu’un vecteur, par excellence, de la catéchèse.
Gaudì était un homme liturgique, autodidacte, qui n’avait pas étudié dans un séminaire ou dans une maison de formation. Il puisait son savoir et ses connaissances de la vie chrétienne dans la liturgie et la messe qu’il suivait quotidiennement. Tout le symbolisme de la liturgie et tout le sens de la liturgie sont imprimés dans l’architecture de l’église de la Sainte-Famille.
ZENIT : Le XIXème siècle fut un siècle de grande sainteté en Catalogne : Pensez-vous que cela ait eu une influence sur la spiritualité de Gaudì?
Mgr Celso Morga : Oui. Par exemple le père Jose Manyanet, canonisé par Jean-Paul II, était un des promoteurs de la construction de la Sainte-Famille et fondateur des Fils de la Sainte-Famille-de-Jésus. Le phare de ce saint était sa congrégation religieuse. Le thème de la sainte Famille les unissait, car ils y voyaient une façon de retrouver les racines chrétiennes et de recommencer à évangéliser. De là est née l’initiative de construire ce temple.
La vie de Gaudì est celle de la Sainte-Famille. Tout ce qu’il a vécu est exprimé dessus. Cette renaissance de la sainteté a eu une influence sur Gaudì. L’église de la Sainte-Famille n’est pas un hasard : elle répond à cette renaissance de la sainteté en Catalogne, dans la seconde moitié du XIXème siècle.
ZENIT : L’attention particulière que Benoît XVI porte aux thèmes liturgiques peut-elle être la raison de son attrait pour la personnalité de Gaudì?
Mgr Celso Morga : Pour le pape il est très important que dans ces grandes villes, noyées dans notre civilisation sécularisée, les temples, les grands temples, aient leur espace. Les cathédrales n’appartiennent pas au Moyen Age, elles appartiennent aussi à notre époque.
L’idée est très répandue en Espagne qu’elle était autrefois très catholique et aujourd’hui athée, mais je crois que ni l’une ni l’autre ne soit vraie. La très grande majorité de la population se reconnaît catholique. Seule une petite minorité ne l’est pas.
Il s’est peut-être vérifié le même processus que dans d’autres pays du monde occidental : vivre comme si Dieu n’existait pas. Une conception favorisée aussi par le progrès matériel, une vie facile, où le dimanche on est en week end quelque part à l’extérieur, en vacances, on sort de la ville pour respirer sans aller à l’église.
Certaines difficultés de la vie sociale peuvent vous conduire à ne pas élever vos enfants en chrétiens : les enfants doivent pratiquer un sport, apprendre les langues mais souvent ils ne vont pas au catéchisme. Ce sont des difficultés qui, pour de nombreuses raisons, se fondent sur cette vie moderne. Et puis il y a la baisse du taux de natalité. La société essaie de vivre dans des appartements de plus en plus petits. Ces circonstances ont une influence sur ce processus d’éloignement spirituel.
ZENIT : Pourquoi le pape a-t-il décidé d’aller célébrer l’Année Saint-Jacques à Saint-Jacques- de-Compostelle?
Mgr Celso Morga : Sur le blason du pape figure la coquille du pèlerin. Quand un évêque choisit son emblème, il le fait en fonction de ce qui guidera sa mission épiscopale. Il a voulu profiter de cette Année sainte, qui ne se renouvellera pas avant 2021, pour vénérer la tombe de l’apôtre Jacques, pour nous rappeler que nous devons récupérer nos racines.
L’Europe était un continent chrétien qui a porté sa civilisation, sa culture, sa religion, au monde entier. Mais, notamment à partir du processus déclenché par le Siècle des Lumières, consistant à imposer la raison humaine comme le seul guide de l’humanité, ce sens de Dieu a été caché et la culture occidentale et européenne a commencé alors à considérer Dieu de manière différente et comme un ennemi de l’autonomie, comme si l’être humain ne pouvait se réaliser en présence de Dieu. Le pape insiste précisément sur le contraire : l’homme, en Dieu, comme ami, trouve sa plénitude et en l’absence de Dieu, l’homme s’appauvrit.
Au Moyen Age les pécheurs parcouraient ce chemin comme pénitence pour retrouver la grâce de Dieu, mais c’était des personnes qui avaient Dieu en elles. Vouloir se rapprocher de Dieu est une chose, l’ignorer et nier son existence en est une autre. Celui qui a Dieu en lui, même s’il doit tomber, peut trouver le pardon de Dieu. Le problème surgit quand on n’a pas Dieu.
Le Pape veut que l’Europe et le monde récupèrent Dieu comme ami, comme quelqu’un qui donne « sens » et « plénitude » à l’homme. Il cherche à montrer que Dieu n’est pas un problème pour la réalisation personnelle.
Il est particulièrement opportun que le pape se rende en Espagne à deux occasions au cours de cette année, car l’Espagne est en train de vivre ce processus de sécularisation accéléré, peut-être avec un peu de retard par rapport aux pays de l’Europe centrale. Je crois qu’en ce moment le pape veut aller dire aux espagnols une phrase qu’il a tant de fois répétée depuis le début de son pontificat : « Le Seigneur n’ôte rien, il donne tout ».
Propos recueillis par Carmen Elena Villa