ROME, Mercredi 19 mai 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous un commentaire du P. Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, suite aux polémiques suscitées dans la presse par son homélie du Vendredi Saint. Le P. Cantalamessa souhaite que cet « incident ne porte pas préjudice au dialogue entre juifs et chrétiens, mais au contraire, l’encourage ».
Fr. Raniero Cantalamessa, ofmcap.
MA PRÉDICATION DU VENDREDI SAINT :
UN PAS EN ARRIÈRE OU EN AVANT DANS LE DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN ?
Maintenant que la rumeur provoquée par mon homélie du Vendredi Saint en la basilique Saint-Pierre, s’est tue, je voudrais clarifier quelles étaient mes intentions quand j’ai prononcé les phrases incriminées de mon homélie, afin que l’incident ne porte pas préjudice au dialogue entre juifs et chrétiens, mais au contraire l’encourage, et aussi pour montrer que la réaction du monde juif n’a pas été la même partout.
Profitant de ce que, cette année, la Pâque juive tombait la même semaine que la Pâque chrétienne, j’ai eu le désir de faire parvenir aux juifs une salutation de la part des chrétiens, justement dans le cadre du Vendredi saint qui a toujours été, pour eux, une occasion de souffrance compréhensible. D’autant plus que le thème central de ma prédication était centré sur la dénonciation de la violence, dont le peuple juif a une expérience particulière tout au long de l’histoire. Déjà par le passé, en 1998, par une même coïncidence entre la Pâque juive et la Pâque chrétienne, j’avais consacré entièrement ma prédication du Vendredi Saint à mettre en lumière les racines de l’antisémitisme chrétien, m’associant à la demande de pardon, lancée au monde juif à l’époque par le pape Jean-Paul II. La presse, y compris juive, s’était fait largement l’écho de ce discours.
Quelques jours avant le Vendredi Saint, m’est parvenue la lettre d’un ami juif italien (la lettre existe vraiment, elle n’est pas une fiction littéraire de mon fait!) ; cet ami faisait le parallèle entre certains aspects de l’antisémitisme et les attaques incessantes contre l’Eglise et le pape, notamment l’utilisation du stéréotype, le passage de la responsabilité personnelle à la responsabilité collective dans le cas de la pédophilie du clergé. J’ai alors décidé, avec l’accord de l’intéressé, de citer dans mon homélie cette lettre, car je considérais comme un geste d’une grande noblesse de la part d’un juif d’exprimer, dans un pareil moment, sa solidarité avec le chef de l’Eglise catholique ; un geste qui, à mes yeux, aurait encouragé les chrétiens à en faire autant, dans des circonstances semblables, pour le peuple juif.
Ni mon ami juif, ni moi-même, n’avons pensé une seconde à l’antisémitisme de la Shoah, mais à l’antisémitisme en tant qu’attitude culturelle, celui-ci étant bien plus ancien et répandu que la Shoah. L’antisémitisme, par exemple, de l’affaire Dreyfus, ou celui qui consiste à faire retomber sur l’ensemble du monde juif, encore aujourd’hui, la responsabilité de la mort du Christ.
Ceci étant dit, le parallèle ne me paraissait pas aussi absurde qu’on a voulu le faire croire. Quelques semaines auparavant, un journaliste laïc, Ernesto Galli della Loggia, à la une du « Corriere della sera », avait dénoncé la diffusion, dans la culture moderne, d’un véritable « anti-christianisme ». Ils sont nombreux, d’ailleurs, ceux qui pensent que la campagne des médias a été inspirée, moins par l’amour et la compassion pour les victimes de la pédophilie, que par la volonté de mettre à genoux l’Eglise. Quelque chose qui rappelle l’ « Ecrasez l’infâme » de Voltaire. Dans un article publié dans le « Jerusalem Post », l’ancien maire de New York, Ed Koch, écrit : « Je crois que les attaques incessantes des médias contre l’Église catholique romaine et le pape Benoît XVI sont devenues des manifestations d’anti-catholicisme. La kyrielle d’articles traitant des mêmes événements n’est plus, selon moi, destinée à informer, mais tout simplement à punir ».
Ce qui ne signifie nullement se taire ou sous-estimer la gravité des cas de pédophilie du clergé. Dans cette homélie, même si tel n’était pas le thème principal de mon propos, je dénonçais la « violence infligée aux enfants dont, malheureusement, se sont entachés un nombre non négligeable d’éléments du clergé ». Dans une prédication de l’Avent 2006 à la Maison pontificale, j’avais justement proposé de fixer un jour de jeûne et de pénitence pour exprimer notre solidarité aux victimes de la pédophilie, une proposition qui a rencontré un large écho dans la presse.
Comment donc, à partir de ces bonnes intentions de départ, a pu se développer une tempête médiatique de cette ampleur ? C’est ce qu’un rabbin juif a expliqué, une semaine après l’incident, dans le quotidien « The Jerusalem Post » (11.04.2010), dans un article intitulé « Nous sommes de mauvais auditeurs ». Il vaut la peine d’en résumer certains passages, qui montrent comment mon homélie, si on en fait une lecture correcte, ne constitue pas un pas en arrière dans le dialogue entre juifs et chrétiens, mais bien un pas en avant.
Je suppose, écrit le rabbin Alon Goshen Gottstein, qu’aucun des porte-parole Juifs qui ont critiqué la déclaration du prédicateur n’a même jamais lu son homélie. Ils ont très probablement été sollicités par un journaliste qui leur demandait un commentaire sur une certaine phrase, et ils ont alors donné une réponse appropriée à cette phrase. Les journalistes, extrapolant une citation extraite d’un texte plus long, fixent les termes du problème, les porte-parole juifs répondent, de là naît une histoire, et se crée un scandale…
Un coup d’oeil sur ce que le prédicateur franciscain a réellement dit révèle une toute autre histoire, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle dissipe l’impression négative produite par les phrases qui ont fait la une des journaux. L’homélie du Vendredi Saint a été, pendant des siècles, le moment le plus redouté des juifs. Après l’avoir entendue, les foules sortaient dans les rues, et les juifs craignaient pour leur vie. Les représentations théâtrales de la Passion du Vendredi Saint constituaient une source constante de violence contre les juifs… Avec cette arrière-scène, il est étonnant d’observer comment le père Cantalamessa a mis à profit cette occasion. Il a utilisé le moment dans la basilique Saint-Pierre, en présence du pape, pour souhaiter aux juifs une bonne fête de Pâque! Mais le prédicateur ne s’arrête pas là : il nous salue, nous juifs, avec des paroles prises dans la Mishna et citées dans la Hagadda, le plus populaire des textes judaïques. Penser aux juifs comme à des frères dans la foi, durant la liturgie du Vendredi Saint devant le pape, représente le fruit de décennies de travail dans le domaine des relations judéo-chrétiennes. Que cela ait été dit aussi naturellement et aussi spontanément, là est le vrai « scoop »…
Nous n’avons pas saisi tout ceci, parce que nous avons noté uniquement le parallèle entre les violentes attaques contre l’Eglise et celles perpétrées contre les juifs. Et, même dans ce cas, nous avons omis d’écouter en entier la voix du juif cité par le père franciscain. « Il n’y a qu’une bonne réponse à tout cela : reconnaître la signification sereine et profonde de ce qui est arrivé et dire : Merci, P. Cantalamessa ! »
Le père Cantalamessa a présenté ses excuses aux juifs, mais nous aussi nous devrions exprimer nos excuses pour n’avoir pas écouté le message tel qu’il l’a transmis, pour avoir permis aux médias de créer une fausse histoire, en ignorant la vraie. Le combat contre les présentations sélectives et superficielles de notre message religieux est un combat commun, dans lequel les voix des personnes sensées de toutes l
es religions doivent collaborer. « Le thème de l’homélie du prédicateur était la dénonciation de la violence. Ces derniers faits nous ont montré également comment une mauvaise écoute peut être source de violence ».
A la voix du rabbin de Jérusalem s’est associée celle de Guido Guastalla, conseiller à la culture de la communauté juive de Livourne, dans un article publié sur le site de « Culture catholique » et repris dans « L’Osservatore Romano » du 19 avril 2010. A cause de ma prédication, une partie de l’opinion publique et de la presse italienne a lancé, dans les jours qui ont suivi Pâque, une campagne pour demander la suspension de l’attribution du doctorat « honoris causa » en sciences de la communication que l’Université de Macerata avait depuis longtemps décidé de me conférer. C’est encore une juive, Marisa Levi, professeur de biologie, dont le père avait perdu son poste d’enseignant au temps du fascisme, qui a pris ma défense. Dans une lettre de soutien au Recteur, elle observait : « Le fait qu’elles aient été écrites par un juif rendait beaucoup plus significatives ces paroles de solidarité au pape, citées par le père Cantalamessa. Au-delà de ce cas particulier, je suis très préoccupée par un système d’information qui, à partir de paroles clé bien choisies et détachées de leur contexte, les diffuse à la vitesse de l’éclair, sans savoir ce que la personne a réellement dit ».
J’espère que cette note permettra de rassurer tous mes lecteurs et auditeurs dans le monde, déconcertés par ce qu’ils ont lu ou entendu dans les médias, et surtout de convaincre mes amis juifs que mes sentiments à leur égard n’ont pas changé et qu’ils ont, en la personne du prédicateur de la Maison pontificale, un promoteur, et non un ennemi, du dialogue avec eux.