ROME, Lundi 19 octobre 2009 (ZENIT.org) – « Le lien intime entre la sagesse théologique et le savoir philosophique » est le thème de la journée d’étude organisée le 11 novembre prochain au siège de la Faculté de philosophie de l’Université pontificale urbanienne, 10 ans après la publication de l’encyclique Fides et ratio de Jean Paul II sur les rapports entre la foi et la raison.
Pour comprendre le sens et les finalités de cette journée d’étude, ZENIT s’est entretenu avec le professeur Aldo Vendemiati, doyen de la faculté.
ZENIT – Pourquoi un congrès sur l’encyclique Fides et ratio? Quels objectifs souhaitez-vous atteindre?
Prof. Vendemiati – Le 11 novembre 1998, Jean Paul II, accompagné du cardinal Josef Ratzinger, est venu lui-même présenter Fides et ratio à l’université pontificale urbanienne. Dix ans après la publication de cette encyclique, il y a eu beaucoup d’initiatives et de célébrations de nature scientifique. Nous avons préféré donner un ton de « vérification » à notre rencontre : il y a dix ans le pape nous a remis un document, quel usage en avons-nous fait ? En quoi cette encyclique a-t-elle influée sur notre manière de faire de la philosophie, de la théologie, de la missiologie et du droit ? L’objectif du congrès est de faire un point de la situation, de voir ce qui a été fait, ce que l’on est en train de faire et ce qu’il reste à faire sur la question.
ZENIT – N’est-il pas paradoxal que des écrivains athées accusent l’Eglise d’être « l’opium des peuples », alors que Fides et ratio est une encyclique qui défend la raison?
Prof. Vendemiati – Sincèrement je pense que des accusations de ce genre, si elles ne sont pas le fruit d’une bassa ignorance, sont l’expression d’une mauvaise foi idéologique. Fides et ratio n’est pas la seule à défendre la raison : l’Eglise n’a cessé de le faire au cours des siècles. Croire que Jésus Christ est le logos incarné, signifie cultiver la « logique », au sens large, comme la plus haute expression de l’homme : cela a conduit les moines du Moyen Age à fonder des scolae et des bibliothèques, a conduit les évêques à instituer les universités, a conduit les hommes d’Eglise à apporter une contribution capitale à la recherche scientifique (pensons à Copernic, Pascal, Redi, Mendel et tant d’autres).
Le véritable opium des peuples, c’est ce que je me plais à appeler « les raccourcis mentaux ». Je m’explique : face au mystère (la vie, la mort, l’infini, l’amour …), la plus grande tentation est celle qui consiste à apprivoiser l’angoisse qui nous saisit en réduisant la réalité à quelque chose de déjà connu. Les « raccourcis mentaux » ce sont ces schémas préconstitués sur la base desquels nous tentons de tout expliquer, même ce que nous ne connaissons pas. De cette manière-là nous évitons le parcours, parfois inquiétant, que nous devons accomplir avec l’objet que nous voulons connaître.
Ainsi faisant, nous évitons peut-être l’angoisse, mais nous cessons de raisonner et nous courons à la plus dangereuse des activités mentales humaines : l’idéologie. La philosophie devrait être l’antidote à l’idéologie.
Mais peut-on oublier « la stupeur et le chagrin » que Jean Paul II a manifesté en relevant que « nombre de théologiens partagent ce désintérêt pour l’étude de la philosophie » ? Et comment ne pas se sentir responsables, en tant que philosophes, du fait qu’à la base de cette désaffection des théologiens pour la philosophie figure en premier lieu « la défiance à l’égard de la raison que manifeste une grande partie de la philosophie contemporaine, abandonnant largement la recherche métaphysique sur les questions ultimes de l’homme, pour concentrer son attention sur des problèmes particuliers et régionaux, parfois même purement formels »? (Fides et ratio, n. 61).
ZENIT – Tant Jean Paul II que Benoît XVI sont convaincus que la vérité est impossible à atteindre sans les ailes de la foi et de la raison. Quel est votre avis sur ce point?
Prof. Vendemiati – La foi constitue un horizon interprétatif global, capable d’offrir à la raison un sens ultime à la vie et à la mort. En elle, valeurs, normes et motivations sont une garantie inconditionnelle, en mesure d’infuser sécurité spirituelle, confiance et espérance. D’autre part, la foi sans la raison ne peut subsister : les animaux privés de raison ne croient pas. Saint Augustin dit : Fides nisi cogitatur nulla est, la foi, si elle n’est pas pensée, n’est rien.
Là où la sécularisation coupe le cordon ombilical entre les grandes traditions de la foi et la recherche rationnelle, ou là où le fondamentalisme exclut la possibilité d’une recherche rationnelle, les risques sont évidents. Le fondamentalisme, quand il ne conduit pas à l’isolement et à l’incommunicabilité, débouche sur le conflit ou le terrorisme. Le sécularisme radical, dans un certain climat intellectuel, tend à remplacer la vérité par le consensus, et « tant la fragilité de ces consensus que la rapidité dans laquelle les groupes de parti arrivent, dans un certain climat intellectuel, à s’imposer comme les seuls représentants autorisés du progrès et de la responsabilité, est devant les yeux de nous tous » (J. Ratzinger).
ZENIT – En quoi la foi en Dieu du chrétien peut favoriser l’élargissement des horizons de la raison ?
Prof. Vendemiati – C’est la grande question de la fides quaerens intellectum, la foi qui cherche l’intelligence, qui la provoque, la met en question afin qu’elle réponde aux nouveaux problèmes, des problèmes toujours plus stimulants. Certes, la philosophie ne peut rien « ajouter » à la Révélation, mais elle peut nous aider néanmoins à mieux la comprendre, à mieux saisir son sens profond ; de cette manière-là, la raison acquiert force et intelligence, élargissant du coup ses horizons. Pensez au concept central pour la civilisation occidentale : celui de la « personne ».
Et bien, nous n’aurions pas cette notion s’il n’y avait pas la révélation chrétienne et, de manière particulière, sans les disputes christologiques et trinitaires du IVème siècle. La foi en Jésus Christ et en la Très Sainte Trinité a exigé des penseurs qu’ils élaborent des concepts et fassent des distinctions qui permettent une formulation adéquate du dogme. Ces concepts et distinctions sont devenus ensuite un patrimoine culturel pour tout le monde. La foi est un stimulant admirable pour pousser en avant la connaissance rationnelle dans la recherche de la vérité et dans la réfutation de l’erreur. Un axiome théologique dit : « La grâce ne détruit pas la nature, mais la sous-tend et la perfectionne » ; dans notre domaine, ceci peut se traduire ainsi : « La foi ne détruit pas la raison, mais la sous-tend et la perfectionne ».
Propos recueillis par Antonio Gaspari