Vers une rencontre entre Moscou et Rome ?

La récente rencontre à Castel Gandolfo pourrait marquer un tournant décisif

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ROME, Mercredi 30 septembre 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous une analyse des relations entre catholiques et orthodoxes, que le journaliste américain Robert Moynihan, directeur du mensuel « Inside the Vatican », propose aux lecteurs de ZENIT.

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Parfois il n’y a pas de feux d’artifice. Les tournants peuvent s’opérer dans le silence, passer presque inaperçus.

Il pourrait en être ainsi avec le « Grand Schisme », la plus grave division de toute l’histoire de l’Eglise. La fin du schisme peut venir plus vite, et de façon plus inattendue, que beaucoup peuvent l’imaginer.

Le 18 septembre dernier, à Castel Gandolfo, le palais d’été des papes situé à une quarantaine de kilomètres de Rome, un archevêque orthodoxe russe du nom de Hilarion Alfeyev, 43 ans (un érudit, théologien, spécialiste en liturgie, compositeur et amateur de musique), a rencontré Benoît XVI, 82 ans (lui aussi un érudit, théologien, spécialiste en liturgie et amateur de musique), pendant près de deux heures, selon des sources bien informées. (Pour le moment, il n’y a pas de sources « officielles » sur cette réunion – et le Saint-Siège n’a toujours pas publié de communiqué.)

Ce silence laisse à penser que ce qui s’est passé était important – tellement important peut-être que le Saint-Siège n’estime pas prudent pour le moment de révéler publiquement la teneur de l’entretien.

Mais à en juger par de nombreux « signes », la rencontre a été exceptionnellement harmonieuse.

Si tel est le cas, cette rencontre du 18 septembre pourrait marquer un tournant décisif dans les relations entre la « Troisième Rome » (Moscou) et la « Première Rome » (Rome) – divisées depuis 1054.

Mgr Hilarion était en visite à Rome pendant cinq jours en tant que représentant du nouveau patriarche orthodoxe russe, Kirill de Moscou.

L’archevêque Hilarion a rencontré un personnage-clé, le cardinal Walter Kasper. Le 17 septembre, le cardinal a affirmé sur Radio Vatican que l’entretien avec Mgr Hilarion avait été « très paisible ».

Le cardinal Kasper a également fait une révélation surprenante : qu’il avait suggéré à l’archevêque que les Eglises orthodoxes forment une sorte de « Conférence des évêques au niveau européen » qui constituerait un « partenaire direct de coopération » dans les réunions futures.

Il s’agirait là d’une étape révolutionnaire dans l’organisation des Eglises orthodoxes.

Rencontre entre le pape et le patriarche ?

Le cardinal Kasper a également précisé qu’une rencontre entre le pape et le patriarche n’était pas à l’ordre du jour dans l’immédiat, et que celle-ci n’aura probablement lieu ni à Moscou ni à Rome, mais en terrain « neutre » (la Hongrie, l’Autriche et la Biélorussie sont des possibilités).

Mgr Hilarion lui-même a fourni maints détails sur le déroulement de sa visite à Rome quand il a rencontré dans la soirée du 17 septembre (avant son entretien avec le pape) la communauté de Sant’Egidio, un groupe catholique italien connu pour son action en faveur des pauvres à Rome.

« Nous vivons dans un monde déchristianisé, à une époque que certains définissent, à tort, comme post-chrétienne », a fait observer Mgr Hilarion. « La société contemporaine, avec son matérialisme pratique et son relativisme moral, constitue un défi pour nous tous. L’avenir de l’humanité dépend de notre réponse. Plus que jamais, nous chrétiens, devons être solidaires ».

Un bulletin de presse d’Interfax, l’agence d’information du patriarcat de Moscou, daté du 18 septembre, a révélé que Mgr Hilarion s’était entretenu avec le pape des perspectives de « coopération entre l’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique romaine dans le domaine des valeurs morales et de la culture » ; en particulier, il a été prévu d’organiser à Rome au printemps 2010 les « Journées de la culture religieuse russe », un type d’exposition avec des conférences (on pourrait imaginer que le pape en personne assisterait à une telle exposition).

Selon Interfax, le rapport indique que Mgr Hilarion, en souvenir de sa visite, a offert au pape une croix pectorale, fabriquée dans les ateliers de l’Eglise orthodoxe russe.

Un communiqué d’Interfax a fourni des détails sur ce qu’avait dit Mgr Hilarion dans les catacombes de Saint-Callixte.

« Rejetés par le monde, loin du regard des hommes, cachés sous terre dans des grottes, les premiers chrétiens de Rome ont réussi un tour de force, celui de la prière », a rappelé Mgr Hilarion. « Leur vie a porté le fruit de la sainteté et de l’héroïsme du martyre. La Sainte Eglise a été bâtie sur leur sang versé pour le Christ ».

Ensuite, l’Eglise est sortie des catacombes, mais l’unité des chrétiens a été perdue, a déploré l’archevêque.

Selon Mgr Hilarion, le péché de l’homme est la cause de toutes les divisions, et seule la sainteté pourra rétablir l’unité des chrétiens.

« Chacun de nous est appelé, en accomplissant diligemment la tâche qui lui est confiée par l’Eglise, à apporter sa contribution personnelle au trésor de la sainteté chrétienne et à œuvrer pour le rétablissement de l’unité des chrétiens voulue par Dieu », a déclaré l’archevêque.

Un second communiqué d’ Interfax a fourni de plus amples renseignements sur la rencontre avec le pape.

Une influence croissante du patriarche Kirill

« Au cours d’un entretien avec le pape Benoît XVI, l’archevêque Hilarion de Volokolamsk a souligné la condition des croyants orthodoxes en Ukraine occidentale où trois diocèses orthodoxes avaient quasiment été détruits à la suite des actions coercitives menées par des Grecs catholiques à la fin des années 1980 et au début de 1990 », a rapporté Interfax.

Selon le communiqué, Mgr Hilarion « a affirmé la nécessité de prendre des mesures concrètes pour améliorer la situation en Ukraine occidentale », à l’intérieur des territoires des diocèses de Lvov, Ternopol et Invano-Frankovsk.

En attendant, en Russie même, l’influence de l’Eglise orthodoxe russe, dirigée par le patriarche Kirill 1er, semble de plus en plus grande, non sans rencontrer une opposition.
 
La montée en puissance de Kirill 1er en Russie et son influence croissante en matière législative semble susciter l’opposition des « siloviki », les forces liées à l’ancien KGB.

Dans un article paru dans l’actuel numéro de Argumenty Nedeli, Andrey Ouglanov reconnaît que l’extraordinaire activité de Kirill a attiré l’attention de ceux qui n’aiment pas voir leurs positions remises en cause, encore moins contestées. Et ceci est devenu le « gros problème » du patriarche Kirill.D’après Ouglanov, ces « siloviki » ont été choqués par les actions anti-Staline et anti-Bolcheviques » de Kirill, y compris son apparition au monument Solovetski sur la place Loubianka à Moscou, le jour même de l’hommage rendu aux victimes de la répression politique.

Dans ce contexte, la visite d’Hilarion à Rome revêt une importance encore plus grande.

L’Eglise orthodoxe russe est une puissance en Russie, mais elle se heurte à une opposition et a besoin d’alliés.

Ce qui se passe avec la visite de Mgr Hilarion à Rome peut alors avoir des ramifications non seulement pour le dépassement du « Grand Schisme », mais aussi pour l’avenir culturel, religieux et politique de la Russie, et de l’Europe dans son ensemble.
 
Il est particulièrement significatif, dans ce contexte, que Mgr Hilarion, « ministre des relations extérieures » de Kirill, partage avec Benoît XVI des intérêts profonds : la liturgie et la musique.

« J’avais 15 ans quand je suis entré pour la première fois dans le sanctuaire de l’Eternel, le Saint des Saints d
e l’Eglise orthodoxe », écrivit jadis Hilarion à propos de la liturgie orthodoxe. « Mais ce n’est qu’après être monté à l’autel que la ‘theourgia,’ la théurgie ou le mystère, et ‘fête de la foi’ commença, et elle continue à ce jour.

« Après mon ordination, je compris que mon destin, mon principal appel étaient dans le service de la Divine Liturgie. En fait, tout le reste, comme les sermons, la pastorale et l’érudition théologique, tournait autour du point central de ma vie – la liturgie ».

La liturgie

Ces paroles semblent faire écho à la sensibilité et aux expériences de Benoît XVI, qui a écrit que les liturgies du Samedi Saint et du Dimanche de Pâques en Bavière, quand il était enfant, ont été formatrices pour l’intégralité de son être, et que son écrit sur la liturgie (un de ses ouvrages est intitulé « Das Fest des Glaubens » – la fête de la foi) est à ses yeux le plus important de tous ses essais d’érudition.

« Les divins services orthodoxes constituent un trésor inestimable que nous devons soigneusement conserver », a écrit Hilarion. « J’ai eu l’occasion d’assister à des offices à la fois protestants et catholiques qui, à de rares exceptions près, étaient très décevants … Depuis la réforme liturgique du Concile Vatican II, les offices dans certaines églises catholiques ne sont guère différents des offices protestants. »

Là encore, ces paroles d’ Hilarion semblent faire écho aux préoccupations propres de Benoît XVI. Le pape a clairement fait savoir qu’il souhaite réformer la liturgie de l’Eglise catholique et préserver le contenu de l’ancienne liturgie qui, aujourd’hui, court le risque d’être perdu.

Hilarion a cité, sur un ton approbateur, Saint Jean de Kronstadt. Ce saint orthodoxe a écrit : « l’Eglise et ses divins services sont l’incarnation et la réalisation de toute chose dans le christianisme… C’est la sagesse divine, accessible aux coeurs simples, aimants ».

Ces paroles font écho aux écrits du cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, qui disait souvent que la liturgie est une « école » pour les simples chrétiens, communiquant les vérités profondes de la foi, même aux ignorants, à travers ses prières, ses gestes et ses hymnes.

Ces dernières années, Hilarion s’est fait connaître pour ses compositions musicales, en particulier pour Noël et le Vendredi saint, célébrant la naissance et la passion de Jésus Christ. Ces œuvres ont été jouées à Moscou et en Occident, à Rome en mars 2007, et à Washington DC en décembre 2007.

Un rapprochement des relations entre Rome et Moscou pourrait alors avoir de profondes répercussions également sur la vie cultuelle et liturgique de l’Eglise en Occident. On pourrait bien assister à un renouveau de la culture et de l’art chrétiens, comme aussi de la foi.

C’est tout cela qui constituait l’enjeu de la paisible rencontre entre l’archevêque Hilarion et Benoît XV, ce dernier vendredi après-midi, dans le palais qui domine le lac d’Albano.

Traduit de l’anglais par Elisabeth de Lavigne

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ZENIT Staff

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