Avantages et dangers des amitiés sur le Net

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Entretien avec soeur Maria Antonia Chinello

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ROME, Vendredi 29 mai 2009 (ZENIT.org) – Le 24 mai dernier a été célébrée la Journée mondiale des communications sociales. Au mois de janvier, Benoît XVI a diffusé à cette occasion son Message sur le thème « Nouvelles technologies, nouvelles relations. Promouvoir une culture de respect, de dialogue, d’amitié ».

S’adressant en particulier à la génération dite « numérique », le pape a relevé les « changements fondamentaux dans les modèles de communication et dans les rapports humains » déterminés par l’apparition d’Internet et par les nouvelles formes de communication que ce nouvel outil a introduites.

Dans des centaines de diocèses et d’institutions d’éducation catholique, ainsi que dans les médias, la publication du Message a été suivie d’une réflexion sur les paroles du pape.

A Rome, jeudi 23 avril, un congrès était organisé à l’Université pontificale du Latran sur le thème du Message. Soeur Maria Antonia Chinello, religieuse de la communauté de Marie Auxiliatrice, a donné à cette occasion une conférence sur le thème « Identités dialogiques sur le réseau ».

Sœur Chinello enseigne sur « médias et famille » et « médias et mineurs » à la Faculté des Sciences de l’Education de l’Université Auxilium de Rome, ainsi qu’au laboratoire de communication à distance.

ZENIT s’est entretenu avec elle de la teneur du Message du pape, concernant notamment la nouvelle façon de concevoir et de conserver des amitiés à travers les nouvelles technologies, ainsi que des avantages et des risques que celles-ci impliquent pour la communication interpersonnelle.

Zenit – Dans son nouveau Message pour la Journée mondiale des communications sociales, le pape insiste sur les amitiés en ligne. De quelle façon, selon vous, les nouvelles technologies peuvent-elles modifier le mode de relation et des communications ?

Sr M.A. Chinello – Les nouvelles technologies modifient le mode de relation parce qu’elles permettent de prolonger la rencontre face-à-face, d’avoir toujours quelqu’un à portée d’un click de souris. A toute heure du jour, et même de la nuit, il est possible de se connecter et de joindre ses amis, de « chatter », dialoguer, d’échanger des informations, de partager de la musique, des images, des vidéos. Ainsi, les amitiés peuvent-elles se maintenir en dépit des grandes distances, des barrières géographiques, des limites de l’espace.

Sur le plan de l’éducation, Internet, le web, est un canal relationnel qui offre aux enseignants, animateurs, éducateurs, la possibilité de rester en contact avec leurs étudiants, leurs élèves, de dialoguer avec eux, en dehors de l’environnement quotidien, parfois marqué par des tensions et des difficultés.

Il est prouvé que sur le net il est un peu plus facile de partager problèmes, espoirs et peurs, de parler de sujets qui, dans un face-à-face, pourraient être embarrassants parce que l’on craint les réactions immédiates de l’autre. Mais ce peut être une arme à double tranchant : en effet, ne voyant pas l’autre, on peut s’exprimer avec plus de liberté, mais peut-être aussi dire des choses qui ne sont pas vraies, perdant ainsi d’une certaine façon son identité personnelle, son authenticité. Il est important d’être conscients que nous nous portons nous-mêmes sur le réseau, avec notre histoire, nos espoirs, nos relations personnelles.

Zenit – Dans son message, le pape s’adresse de manière spéciale à la génération numérique, autrement dit à ceux pour qui Internet n’a plus de secrets. Quels sont, selon vous, les risques pour la communication de ceux qui ont grandi avec les nouvelles technologies ?

Sr M.A. Chinello – Dans une génération numérique, qui est née et a grandi à l’ère d’Internet, souvent la conscience du risque n’existe pas, surtout au moment de se présenter dans les différents environnements d’Internet, et quant à la façon de le faire. Jeunes et adolescents sont habitués à dire, écrire ou se présenter à travers des textes, messages, images et vidéos. Parfois ils ne semblent pas conscients de ce qu’ils écrivent ou téléchargent sur le réseau. Une fois publié, tout le monde peut le voir, et c’est alors qu’on peut perdre le contrôle de l’endroit où peut aller ou arriver l’information.

Ils ne savent pas toujours que toutes les données qu’ils fournissent concernant leur propre profil, comme les goûts, les intérêts, constituent des informations d’une importance capitale pour le marché, la publicité. Les jeunes peuvent dicter les orientations et être des indicateurs, des « aiguilles de la balance du consommateur », en particulier concernant les innovations. Colombo, professeur à l’Université catholique de Milan, affirme que les jeunes générations façonnent la technologie, car elles l’adaptent aux usages et aux biens de consommation qui leur conviennent le mieux.

Un risque que nous courons tous est de multiplier les relations, d’avoir une multitude d’amis en ligne mais d’oublier le nom de la personne qui est près de nous et que nous rencontrons tous les jours.

Il y a un autre risque : le temps passé sur le réseau. Les jeunes, et même les adultes, passent de plus en plus de temps sur Internet. Le monde numérique est plus coloré que la réalité quotidienne. L’école, la famille, les relations, les discussions avec ceux qui ne pensent pas comme toi, tout cela peut parfois engendrer lassitude, incompréhension. En revanche, le monde d’Internet est fait de sons, d’images, de couleurs. De lien en lien on peut « surfer », découvrir, connaître, lire… et même se perdre.

Puisque quasiment tout est sur Internet, et que l’on peut tout trouver, peu à peu s’affaiblit la capacité de sélectionner les informations, d’en faire la critique, d’en débattre. Il devient alors facile de « faire naufrage », de se noyer au milieu des liens que les moteurs de recherche proposent, chaque fois que l’on insère un mot.

Ces risques suscitent actuellement un débat entre psychologues, car on commence à constater les premiers cas de dépendant d’Internet, de pathologies de personnes, même parmi les adultes, qui ne peuvent plus vivre sans être connectées.

Zenit – Vous parlez souvent de l’importance de la personne et de son identité propre dans la communication en ligne. Quels éléments essentiels de cette identité manquent, selon vous, dans la communication virtuelle ?

Sr M.A. Chinello – Dans la communication en ligne, on note l’absence de codes de la communication non verbale et de la communication paralinguistique, comme les expressions du visage et la tonalité de la voix. La population du Net a depuis toujours cherché à suppléer à cette « absence » en introduisant des stratégies, des expédients pour rendre la communication plus chaleureuse et amicale. Songeons aux smileys (trombines), émoticones, à la possibilité de colorer le texte, d’ajouter des images, d’écrire tout en majuscule, de synthétiser les mots, d’employer les abréviations, les points d’exclamation et d’interrogation, la répétition des lettres … Cela fait que la communication écrite devient très proche de celle parlée. En communication, on parle alors de langage écrit parlé, d’oralité secondaire.

Pour celui qui est habitué à une écriture linéaire, il est difficile de comprendre le langage des jeunes du Net. Les enseignants sont inquiets car, à l’école, garçons et filles ne savent plus écrire dans leur propre langue, font des fautes d’orthographe et de grammaire.

Cette contraction des mots et la possibilité de s’exprimer se répercute sur la capacité d’exprimer ses propres sentiments, de laisser de la place à son intériorité, de raconter ses propres expériences.

Le Réseau, comme on l’a dit, prolonge les rapports et augmente les possibilités de nouer des amitiés, puisqu’il n’y a plus de fro
ntières, ni d’espace ni de temps. En me connectant, je peux entendre la voix de mon ami qui est en train de se réveiller aux Etats-Unis, alors que moi je suis déjà au milieu de l’après-midi. Et avec l’amitié augmentent la connaissance et le savoir. Mais il est important de s’interroger sur le lien que ces amitiés ont avec la vie réelle. Le pape dans son Message demande aux jeunes d’être attentifs à ne pas banaliser l’amitié, à respecter l’autre, à grandir avec lui. Les environnements du Réseau sont multiples, ils dépendent du type d’amitié, du degré de maturité de la communication : les jeunes sont « nomades » et passent d’un espace à l’autre, émigrent d’une ressource à l’autre, mais toujours en quête d’espaces dans lesquels échanger des informations, communiquer, entrer en relation, se raconter. Les plus petits pourront préférer Twitter, MySpace, Netlog. Les plus grands, Facebook, pour ensuite se rencontrer sur Instant Messaging, jugé plus personnel.

Zenit – Ceux d’entre nous qui appartiennent à la génération ayant vécu ces changements de communication, comment pouvons-nous éduquer les générations numériques à une saine utilisation d’Internet ?

Sr M.A. Chinello – La première étape est de comprendre qu’Internet est un des canaux mis à notre disposition aujourd’hui pour communiquer, l’un des canaux mais pas l’unique. Eduquer donc dans la « continuité » de la communication : je peux rencontrer mes amis sur le Net, mais je n’oublie pas ceux de ma classe, du groupe, du sport, etc.

Un second aspect, éduquer à la relation : chaque interaction nécessite du temps pour croître et mûrir, sur le Net ou en dehors. La découverte de l’autre n’est pas instantanée. Chaque rencontre a besoin de temps. Donc, éduquer à ne pas fuir la fatigue de la communication : il est souvent plus facile de joindre un ami avec un simple click que d’attendre et avoir la patience d’attendre que l’autre sourie, parle, s’ouvre.

Enfin, ne pas laisser seuls les jeunes, les enfants, dans ces expériences en ligne ; mais rester à leurs côtés, peut-être même surfer ensemble à la découverte d’Internet. Certaines enquêtes réalisées par l’Université catholique de Milan montrent que les plus jeunes utilisent le Net pour être avec des amis, pour télécharger de la musique, des vidéos, pour jouer. Pour eux, la dimension sociale, la force du groupe, le rapport avec leurs semblables, sont encore très forts. Partant de cette réalité, pourquoi ne pas les éduquer tout de suite au respect, à l’amitié, au dialogue avec l’autre ?

Carmen Elena Villa

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ZENIT Staff

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