ROME, Mercredi 24 décembre 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la Note du Saint-Siège sur finance et développement présentée dans le cadre de la conférence de Doha.
Un nouveau pacte pour refonder le système financier international
Nous publions ci-dessous la note rédigée par le Conseil pontifical justice et paix, et approuvée par la Secrétairerie d’ Etat, dans l’ intention d’ offrir certaines lignes de réflexions sur la crise financière mondiale actuelle et sur ses répercussions sur le financement du développement. Le Saint-Siège est conscient que nombre des problèmes soulevés ci-dessous sont susceptibles d’ être abordés selon des approches techniques très différentes. Toutefois, ce document veut avant tout encourager le dialogue sur certains aspects éthiques des rapports entre la finance et le développement et encourager les gouvernements et tous les autres agents économiques à identifier des solutions durables et solidaires.
Financement et développement: importance de la conférence
1. La prochaine conférence internationale sur le thème «Financing for Development to review the Implementation of the Monterrey Consensus», qui se tiendra à Doha du 29 novembre au 2 décembre 2008, représente le point d’ arrivée d’ un processus de révision, encouragé par l’ Assemblée générale des Nations unies et impliquant la société civile, des contenus et de la mise en œuvre du Document sur le Financement du développement approuvé en 2002 à Monterrey – connu sous le nom de «Consensus de Monterrey». Ce document comprenait six chapitres sur les grandes questions essentielles pour financer le développement: la mobilisation des ressources internes; les flux de capitaux privés; le commerce international; les aides publiques au développement; le problème de la dette extérieure; et la dernière, tout aussi importante, la question systémique concernant les modalités pour donner force et cohérence au système monétaire, financier et commercial mondial pour l’ assistance au développement.
Selon les procédures des Nations unies, les travaux de révision ont conduit, au cours des premiers mois de l’ année 2008, à la rédaction d’ une proposition d’ un nouveau document (le «Doha Draft Outcome Document»), qui sera peu à peu discuté et amendé, avec pour objectif de pouvoir conclure la Conférence de Doha par un texte sur lequel puissent s’ accorder tous les participants.
A ce difficile processus de négociation s’ est superposé, ces derniers mois, l’ accélération de la crise financière mondiale, qui prend ses origines dans le marché des crédits subprime aux Etats-Unis. Malgré sa longue gestation, la crise s’ est étendue au début du mois de septembre, entraînant de nouveaux secteurs du système financier et mettant en difficulté un nombre croissant de pays dont la situation financière, en l’ absence d’ un choc extérieur, ne semblait pas présenter de problèmes de durabilité.
A la hausse des prix agricoles et énergétiques qui a eu lieu dans les premiers mois de l’ année 2008, s’ est donc ajoutée une crise financière, dramatique par certains côtés, avec des conséquences très négatives: le thème du financement du développement risque notamment d’ être mis au deuxième plan.
2. Dans cette situation, il apparaît indispensable que les gouvernements et les institutions internationales agissent pour bloquer une diffusion supplémentaire de la crise financière actuelle: en effet, beaucoup de pays ont introduit des décisions radicalement opposées à la tendance, qui prévalait encore dans un passé récent, de confier le fonctionnement du marché financier à sa capacité autorégulatrice. En clair, les gouvernements des pays touchés par la crise financière ont adopté une série de mesures qui comportent un retour massif du secteur public sur ces mêmes marchés financiers qui, ces dernières décennies, avaient été déréglementés, privatisés et libéralisés.
Etant donné qu’ une action politique de cette ampleur a de plus grandes possibilités de réussite si les pays n’ avancent pas en ordre dispersé, mais coordonnent leurs initiatives, un sommet des grands pays a été convoqué d’ urgence le 15 novembre: le G-20, avec la participation de pays émergents importants. Dès lors que le G-20 s’ est déroulé deux semaines avant la Conférence de Doha promue par les Nations unies, les très nombreux pays qui n’ ont pas participé au sommet craignent, non sans raison, que le premier événement, qui n’ a impliqué qu’ un nombre réduit de pays mais a retenu toute l’ attention de l’ opinion publique internationale, puisse priver la conférence de Doha de son impact politique.
Deux grands rendez-vous mondiaux, très rapprochés, ont donc lieu sur un thème semblable – la finance et sa crise, la finance et le développement – même si leurs significations politiques et leurs fonctions sont très différentes. Les deux rencontres conservent leur importance.
Le souhait de tous est que les pays qui se sont réunis à Washington le 15 novembre tiennent compte comme il se doit de la conférence de Doha et en favorisent le succès. En effet, celle-ci n’ a pas seulement pour but de parvenir à un accord intergouvernemental officiel sur les six grands thèmes du «Consensus de Monterrey», mais également de faire progressivement naître un sentiment commun, une évaluation partagée sur des problèmes naissants identifiés en matière de finance pour le développement.
S’ il est indispensable de faire face, également sur le plan politique, aux urgences financières qui se présentent, il est tout aussi important d’ observer avec attention le contexte global et les liens entre les problèmes, non seulement du point de vue des pays économiquement importants, mais dans une perspective fondamentalement mondiale. Le plus urgent n’ est pas toujours le plus important! Et reclasser les priorités est d’ autant plus nécessaire que la situation est devenue difficile.
Il ne fait aucun doute que l’ on est arrivé à la situation d’ urgence financière actuelle après une longue période au cours de laquelle, pressés par l’ objectif immédiat de parvenir à des résultats financiers à brève échéance, ont été négligées les dimensions propres de la finance: sa vraie nature, en effet, consiste à favoriser l’ utilisation des ressources épargnées là où elles favorisent l’ économie réelle, le bien-être, le développement de tout l’ homme et de tous les hommes (Paul VI, Populorum progressio, n. 14). La conférence de Doha représente donc une occasion que la Communauté internationale ne doit pas perdre pour remettre au centre les questions de fond extrêmement importantes pour le bien commun de l’ humanité: le financement du développement est l’ une de celles-ci.
Les grandes questions soulevées par le «Draft Document»
3. En ce qui concerne le «Draft Document», il semble opportun de le considérer en tenant compte des deux aspects de la crise financière actuelle, à savoir l’ urgence qui s’ est fait jour sur les marchés développés d’ un côté et la situation d’ insuffisance chronique des ressources destinées à soutenir le développement de l’ autre: toutes deux soulèvent une indéniable question morale.
Dans un moment de crise, comme actuellement, il est bon de se poser des questions qui, lorsque tout semble aller bien, seraient négligées ou dont on se moquerait. Comment est-on arrivé à cette situation désastreuse après une décennie où se sont multipliées les discours
sur l’ éthique des affaires et de la finance et où s’ est développée l’ adoption de codes d’ éthique? Pourquoi n’ a-t-il pas été donné suffisamment de poids à des événements qui auraient dû faire réfléchir?
La réponse à ces questions ne peut manquer de mettre en évidence combien la dimension éthique de l’ économie et de la finance n’ est pas une chose accessoire, mais essentielle, et doit être constamment prise en considération et influer réellement si l’ on entend mettre en place des dynamiques économiques et financières correctes, clairvoyantes et porteuses de progrès.
Dans cette perspective, la doctrine sociale de l’ Eglise, avec la riche variété de ses principes moraux, peut et doit apporter une contribution de réalisme et d’ espérance tant aux questions qui se posent aujourd’hui, telles que la crise financière, qu’ aux questions qui, tout en étant d’ importance vitale pour une grande partie du monde, ne bénéficient pas de l’ attention qu’ elles méritent. Ces questions portent sur la nécessité d’ un nouveau pacte pour refonder le système financier international; la question des centres financiers «offshore» et du lien entre financement du développement et fiscalité; le marché financier et sa réglementation; le rôle de la société civile dans le financement du développement.
Un nouveau «pacte» financier international
3.a La crise financière actuelle est essentiellement une crise de confiance. On reconnaît désormais comme l’ une des causes de la crise le recours excessif au «levier» financier de la part des opérateurs, et l’ évaluation insuffisante des risques que cela comporte. Et surtout, chacun reconnaît la fracture qui s’ est produite entre la nécessité que la finance joue sa fonction «réelle» de pont entre le présent et l’ avenir, et l’ horizon temporel de référence des opérateurs, qui s’ attache avant tout au présent. En d’ autres termes, la crise financière mondiale a rendu urgentes la réflexion et l’ action sur le sixième point du «Draft Document», c’ est-à-dire sur les questions systémiques.
Nous trouvons-nous face à la nécessité d’ une simple révision ou bien d’ une véritable refonte du système des institutions économiques et financières internationales? De nombreux sujets, publics et privés nationaux et internationaux, exigent une sorte de nouveau Bretton Woods. Au-delà de l’ expression utilisée, la crise a indéniablement ramené au premier plan l’ urgence de trouver de nouvelles formes de coordination internationale en matière monétaire, financière et commerciale.
Il apparaît aujourd’hui clairement que la souveraineté nationale est insuffisante; même les grands pays sont conscients qu’ il n’ est pas possible d’ atteindre les objectifs nationaux en comptant uniquement sur les politiques intérieures: des accords, des règles et des institutions internationales sont absolument nécessaires. Il faut éviter que se mette en place une spirale de protectionnisme réciproque; il faut en revanche renforcer les pratiques de coopération en matière de transparence et de vigilance sur le système financier. Il est même possible de trouver des solutions de «souveraineté partagée», comme le démontre l’ histoire de l’ intégration européenne, à partir des problèmes concrets, dans une vision de paix et de prospérité, enracinée dans des valeurs partagées.
Dans la redéfinition des politiques et des institutions internationales s’ ouvre donc également une question morale de grande importance. En particulier, il est important que la confrontation politique, certes nécessaire, entre les pays «les plus riches» ne conduise pas à des solutions fondées sur des accords exclusifs, mais relance un espace de coopération ouvert et tendanciellement inclusif. Un tel espace inclusif de coopération est particulièrement important en matière de finance pour le développement.
Les flux financiers qui existent entre les pays développés et les pays à bas revenus présentent au moins deux éléments paradoxaux: le premier tient dans le fait que dans le système mondialisé, ce sont les pays «pauvres» qui financent les pays «riches», qui reçoivent des ressources provenant tant des fuites de capital privé, que des décisions gouvernementales de créer des réserves publiques sous forme d’ activités financières «sûres» placées sur les marchés financièrement évolués ou sur les marchés «offshore». Le second paradoxe est que les sommes d’ argent que les émigrés envoient dans leur pays d’ origine – c’est-à-dire de la composante la moins «libéralisée» des processus de mondialisation – représentent un afflux de ressources qui, au niveau macroéconomique, dépassent largement les flux d’ aide publique au développement. Cela revient en quelque sorte à dire que les pauvres du «Sud» financent les riches du «Nord» et que ces même pauvres du «Sud» doivent émigrer et travailler au «Nord» pour faire vivre leurs familles au «Sud».
Les centres financiers «offshore»
3.b Pour réaliser ce nouveau pacte financier international, une première étape nécessaire consiste à examiner avec attention le rôle, caché mais crucial, du système financier «offshore» sous les deux dimensions de l’ actuelle problématique financière mondialisée décrite ci-dessus: l’ urgence de la crise mondiale et l’ inaptitude de la finance pour aider le développement.
Les marchés «offshore» ont été un relais important tant dans la transmission de la crise financière actuelle, que dans le soutien qu’ ils ont apporté à un enchaînement de pratiques économiques et financières devenues absurdes: fuites de capitaux de proportions gigantesques, flux «légaux» motivés par des objectifs d’ évasion fiscale et canalisés également à travers la sur/sous-facturation des flux commerciaux internationaux, recyclage des revenus provenant d’ activités illégales. Les estimations du montant de la richesse détenue dans les centres «offshore» sont difficiles à évaluer, mais assez impressionnantes si devaient être confirmées les informations circulant actuellement: on dit qu’ un nombre assez important de groupes et d’ individus détiendrait des intérêts financiers dans des centres «offshore» qui pourraient leur rapporter environ 860 milliards de dollars par an, ce qui représenterait un manque à gagner de recettes fiscales de 255 milliards de dollars: plus de trois fois le montant total de l’ aide publique au développement versée par les pays de l’ Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).
Etant donné que le financement public du développement ne peut venir que du prélèvement fiscal, cela devient pour le moins critique à notre époque de mondialisation. En effet, les processus de mondialisation ont déplacé la composition de la taxation d’ une part des impôts directs vers les impôts indirects (avec la conséquence probable d’ une «progressivité» plus faible des impôts, c’est-à-dire d’ une capacité plus faible de peser en pourcentage davantage sur ceux qui disposent des revenus les plus élevés), mais d’ autre part, cela a surtout entraîné un déplacement de la taxation sur le capital vers une taxation sur le travail.
Le prélèvement fiscal diminue sur les activités des entreprises les plus grandes et les plus mobiles dans le domaine international ou qui peuvent facilement recourir aux centres «offshore». On taxe en revanche davantage les facteurs productifs moins «mobiles» et qui peuvent difficilement échapper aux charges fiscales, à savoir les travailleurs et les petites entreprises.
Ces sujets sont très complexes d’ un point de vue politique. Les aff
ronter signifie toucher directement la sphère de la souveraineté fiscale nationale. Le «Draft Document» l’ évoque et, au point 10, propose de renforcer la coopération internationale en matière fiscale, surtout en vue d’ une révision drastique des pratiques financières «offshore».
Réglementation du marché financier
3.c La crise actuelle s’ est développée dans un contexte décisionnel où l’ horizon temporel des opérateurs financiers était extrêmement bref et où la confiance – un ingrédient essentiel du «crédit» – était davantage placée dans les mécanismes du marché que dans les relations entre partenaires. Ce n’ est pas un hasard si la crise de confiance s’ est déclarée précisément dans le domaine qui était considéré comme le plus «sûr», celui des transactions interbancaires; mais sans cette confiance, tout se bloque, y compris la possibilité de fonctionnement normal des entreprises productives. Les crises financières et leurs conséquences ont, en effet, comme composante la prévision que le climat financier se détériore. Tout cela induit les opérateurs à se comporter d’ une manière qui rend plus probable l’ aggravation effective de la situation avec un effet cumulatif prévisible. Avec la crise a soudainement disparu la confiance de crédit placée dans le marché, entendu comme un mécanisme capable de s’ autoréguler et d’ engendrer le développement pour tous.
La situation actuelle est une situation d’ urgence, parce que l’ on a repoussé le moment d’ affronter certaines questions importantes: la traçabilité des mouvements financiers, le suivi adéquat des opérations sur les nouveaux instruments financiers, l’ évaluation attentive du risque. Certaines autorités, en particulier dans les pays les plus avancés d’ un point de vue financier, ont renvoyé des décisions précises, mues par les avantages économiques qui dérivent du fait d’ abriter une industrie financière forte, avantages qui durent le temps que dure la phase d’ euphorie financière.
Les institutions financières internationales elles-mêmes ne sont pas dotées du mandat et des instruments nécessaires pour affronter avec efficacité ces questions. On a considéré en général que le «marché» suffisait à donner le juste prix au risque.
Les marchés financiers ne peuvent pas opérer sans confiance; et sans transparence, sans règles, il ne peut pas y avoir de confiance. Le bon fonctionnement du marché exige donc de donner un rôle important à l’ Etat et, lorsque cela est approprié, à la Communauté internationale pour fixer et faire respecter des règles de transparence et de prudence. Mais on doit se rappeler qu’ aucune intervention de réglementation ne peut «garantir» son efficacité sans prendre en compte la conscience morale bien formée et la responsabilité quotidienne des opérateurs du marché, en particulier les entrepreneurs et les grands opérateurs financiers.
Les règles d’ aujourd’hui, étant établies d’ après l’ expérience d’ hier, ne préservent pas nécessairement des risques de demain. Ainsi, même s’ il existe de bonnes structures et de bonnes règles, qui sont utiles, elles ne suffisent pas seules, l’ homme ne peut jamais être changé ou racheté simplement de l’ extérieur.
Il faut atteindre la valeur morale la plus profonde des personnes, il faut une réelle éducation à l’ exercice de la responsabilité envers le bien de tous, de la part de tous les sujets, à tous les niveaux: les opérateurs financiers, les familles, les entreprises, les institutions financières, les autorités publiques, la société civile.
Cette éducation à la responsabilité peut trouver un fondement solide dans certains principes indiqués par la doctrine sociale, qui sont le patrimoine de tous et la base de toute la vie sociale: le bien commun universel, la destination universelle des biens, la priorité du travail sur le capital.
Au fond, la crise financière est le résultat d’ une pratique quotidienne qui se fondait sur l’ absolue «priorité du capital» par rapport au travail – y compris le travail aliénant des opérateurs financiers eux-mêmes (des heures extrêmement longues et stressantes de travail, un délai de temps extrêmement court pour les décisions). Il s’ agit également du résultat d’ une pratique déséquilibrée qui touche donc davantage ceux qui sont «trop grands pour s’ effondrer» que ceux qui prennent le risque de créer de réelles occasions de développement.
Le rôle de la société civile dans le financement du développement
3.d. La finance en vue du développement exige de soulever le thème tant de l’ aide publique au développement, que du rôle des autres acteurs: personnes, entreprises, organisations. En particulier, la société civile n’ accomplit pas seulement un rôle actif important dans la coopération au développement, mais elle revêt un rôle significatif également dans le financement du développement. Elle le fait avant tout à travers la contribution volontaire de chaque personne, comme par exemple les sommes d’ argent envoyées par les émigrés dans leur pays, ou à travers des formes d’ organisation relativement simples (pensons, par exemple, à l’ adoption à distance). Il y a ensuite les ressources pour le développement créées par les entreprises dans l’ exercice actif de leur responsabilité sociale; et celles, parfois très élevées, allouées par d’ importantes Fondations.
L’ adoption de comportements responsables en matière de consommation et d’ investissement constitue également une ressource importante pour le développement. La diffusion de tels comportements responsables, du point de vue de leurs conséquences matérielles, peut faire toute la différence sur le fonctionnement de certains marchés particuliers; mais leur importance réside surtout dans le fait qu’ ils expriment une participation concrète des personnes – en tant que consommateurs, en tant qu’ investisseurs de l’ épargne familiale ou encore en tant que décideurs des stratégies d’ entreprises – à la possibilité que les pauvres sortent de leur condition de pauvreté.
La crise financière et les aides publiques au développement
4. La préoccupation pour la situation d’urgence financière qui est apparue sur les marchés des pays développés peut effectivement voiler la nécessité de se concentrer sur la finance pour le développement. On peut raisonnablement penser que l’aide publique au développement, qui provient des sommes dégagées du budget que chaque pays établit chaque année, souffrira à cause des immenses ressources publiques qui seront nécessaires pour répondre à l’urgence de la crise financière. Et cela est indiscutablement négatif. Un financement adéquat du développement exige une vision à long terme: il est nécessaire que les ressources affluentdefaçon prévisible, dans des conditions favorables, pour financer des projets qui ont parfois besoin de beaucoupdetemps avant de pouvoir apporter un bénéfice à la population locale.
Toutefois, l’urgence financière liée au court terme, et la «normalité» du financement à long terme sont étroitement liés, dans un sens négatif, mais également positif: il existe une possibilité, qui doit être recherchée avec ténacité, de contribuer à une sortie durable de la crise financière, notamment en rassemblant les conditions afin que les les épargnes générées soient véritablement utilisées pour le développement, c’est-à-dire pour créér des opportunités de travail. Il suffit de penser aux nombreux besoins non satisfaits qui existent, en particulier dans les pays à faible revenu: ces besoins sont l’autre face des occasions de travail qu’il est possible, et donc nécessaire
, de créer.
Pour apporter d’autres éléments qui puissent soutenir le bien-fondé de cette voie «royale» pour sortir de la crise financière, nous pouvons rappeler que les trois «crises» de 2008 – la crise alimentaire, la crise énergétique et la crise financière – sont étroitement liées entre elles. La prévision de l’augmentation des prix des produits agricoles et énergétiques (prévision par ailleurs physiologique: il suffit de penser à la demande croissante de nourriture et de carburants de la part de pays comme la Chine et l’Inde), a suscité une course à l’approvisionnement et à l’acquisition de «futures», c’est-à-dire de promesses de livraisons futures à un prix pré-déterminé. Ce comportement a alimenté à son tour une augmentation des prix qui a attiré non seulement les futurs utilisateurs de produits de base, mais également les opérateurs financiers qui, dans une optique purement spéculative, ont misé sur la probabilité d’une ultérieure augmentation des prix.
Or, ces comportements à risque tendent à se développer de façon anormale lorsqu’il existe sur les marchés financiers une forte – trop forte – disponibilité de crédit. Ce n’est pas un hasard si la crise financière actuelle, qui se manifeste avant tout à travers l’extrême difficulté à obtenir un crédit, s’est accompagnée d’une baisse des prix des produits de base et surtout du pétrole. On comprend que, s’il est nécessaire de faire face aux problèmes «l’un après l’autre», il est dangereux de le faire sans porter un regard lucide sur le cadre général et les liens existant entre les problèmes eux-mêmes. La crise financière «ôtera » probablement des ressources à l’aide publique au développement; pourtant, ce n’est qu’en destinant des ressources – publiques, mais également privées – au développement «véritable» que l’on pourra reconstruire un système financier sain, capable de fonctionner véritablement, car les ressources ont réellement soutenu le travail et l’économie.
Les investissements directs actuels dans les pays pauvres
5. En général, la majorité des investissements extérieurs directs continue de concerner les pays avancés, tant comme provenance que comme destination, même si au cours des dernières années, on a observé deux phénomènes tout à fait nouveaux. Le premier est l’augmentation d’investissements extérieurs directs issus des pays «émergents», souvent motivés par l’objectif de renforcer la présence de l’entreprise qui investit dans sa propre macrorégion – il s’agit donc d’investissements sud-sud destinés à des pays à moyen ou faible revenu, ayant généralement d’importantes ressources minérales ou énergétiques; certains d’entre eux sont effectués par ce que l’on appelle les «fonds souverains» et présentent donc la double valeur d’investissement économique et d’important lien géopolitique.
Les modalités d’action en vue d’accroître les investissements extérieurs directs est l’objet du deuxième chapitre du «Draft Document», qui souligne de façon tout à fait opportune qu’il faut considérer attentivement également les aspects qualitatifs de l’investissement. En effet, il faut faire preuve de précaution avant d’interpréter les flux de capitaux vers les pays comme un signal indubitablement positif, et de viser par conséquent à en accroître simplement la quantité. Dans de nombreux cas, il s’agit effectivement d’occasions importantes de croissance économique et de développement social; dans d’autres, ce n’est pas le cas. En effet, certains investissements s’accompagnent de la participation et de la formation des travailleurs locaux, du transfert de technologie, de la diffusion de pratiques commerciales responsables; mais il existe également des investissements qui se limitent à valoriser les ressources minérales au profit d’un petit nombre – une élite politique ou économique locale – ainsi que, naturellement de l’investisseur étranger.
Coopération financière pour le développement
6. Suite à la conférence de Monterrey, certains progrès importants ont été réalisés, poursuivant certaines des orientations indiquées par le «Consensus de Monterrey». Dans l’«Action against Hunger and Poverty», initialement promue par certains pays développés et pays en voie de développement et adoptée par la suite par de nombreux autres Etats, un certain nombre de différentes sources innovatrices possibles de financement ont été identifiées: un impôt de solidarité à appliquer sur les tarifs aériens, la réduction de l’évasion fiscale rendue possible par l’existence de paradis fiscaux; la mobilisation des sommes envoyées par les émigrés dans leur pays d’origine pour le développement local des pays de destination grâce à des initiatives, par exemple, de micro-crédit; la taxe sur les transactions en devises et/ou du commerce d’armes; la création d’instruments innovateurs de prêt comme l’«International Financial Facility»; l’émission de la part du Fonds monétaire international (fmi) de droits spéciaux de prélèvement; la contribution volontaire associée à l’utilisation de cartes de crédit; l’investissement financier en «fonds éthiques»; la collecte à travers des loteries de solidarité.
Certaines de ces propositions ont été partiellement adoptées. C’est le cas du projet pilote pour la taxe de solidarité sur les tarifs aériens, déjà appliquée par certains Etats et destinée à un fonds pour l’acquisition de médicaments contre la malaria, la tuberculose et le sida, géré directement par l’Organisation mondiale de la Santé (oms). Toujours en 2006, la proposition de créer une «International Financial Facility» s’est traduite par la mise en place du iffi (iff for immunization) à laquelle ont adhéré un certain nombre de pays. Il s’agit en substance de l’émission de titres publics internationaux qui ont été placés sur les marchés financiers et qui ont permis de rassembler des ressources privées pour le financement de programmes de vaccination. Les pays ayant émis les titres prennent en charge les frais des intérêts et de la restitution future des fonds reçus, en s’engageant réciproquement à fournir des ressources pour le développement; cet engagement est effectivement crédible, dans la mesure où son non-respect exposerait les pays à une perte de réputation sur les marchés financiers internationaux dont ils dépendent pour le financement de leurs déficits budgétaires. Toutes ces initiatives ont en commun le fait de séparer la recherche de ressources financières pour le développement au moyen de l’imposition, des décisions relatives au budget public des pays.
7. En dépit des progrès, la coopération financière pour le développement demeure toutefois encore un immense problème. En outre, de nombreux autres domaines d’action contenus dans le «Consensus de Monterrey» n’ont connu aucun progrès. Cela est surtout le cas pour les questions systémiques et en particulier la cohérence des politiques économiques internationales. Il suffit de penser, par exemple, aux liens existant entre les politiques d’aide au développement et les politiques commerciales des pays avancés: les diverses formes de protectionnisme évident ou caché, ainsi que les limitations persistantes imposées à l’accès aux exportations des pays pauvres sur les marchés des pays riches, représentent un immense obstacle au développement. Les politiques nationales demeurent fortement incohérentes: on donne d’une main et on reprend de l’autre.
Une dernière précaution importante: il faut faire attention à ne pas confondre les moyens (les ressources financières) et la fin, c’est-à-dire le développement. Il ne
suffit pas de prédisposer une somme adéquate de financement pour penser obtenir de façon automatique le développement. Celui-ci n’est pas tant le «résultat» que l’on trouvera à la fin, que la voie tracée chaque jour par les choix concrets de nombreux acteurs: gouvernements donateurs et destinataires, organisations non-gouvernementales, communautés locales. En ce qui concerne l’aide publique au développement – l’objet principal de la conférence de Doha qui engagera en premier lieu les Etats – il faut rappeler que la Communauté internationale a récemment affronté, lors de la conférence d’Accra, la question de l’efficacité de l’aide (aid effectiveness).
Aujourd’hui, la tendance prépondérante est celle de considérer le canal «d’Etat à Etat», ce que l’on appelle le budget support, comme la voie la plus efficace pour faire parvenir les ressources aux pays à bas revenu. Cette tendance doit être considérée avec une certaine préoccupation, car elle comporte le risque d’une «bureaucratisation» des politiques nationales de lutte contre la pauvreté et d’une réorganisation des ressources disponibles pour les diverses formes d’initiatives sociales locales, tant de la part des organisations de la société civile que de la part de réalités locales enracinées sur le territoire, telles que les faith based organizations. Pourtant, ces réalités sont les véritables protagonistes du développement entendu comme parcours à tracer jour après jour.
L’Afrique et le financement du développement
8. Une attention particulière au continent africain, sur lequel la situation du développement laisse apparaître de fortes inégalités, est nécessaire. En Afrique, la situation varie d’un pays à l’autre; on note même une tendance à la polarisation entre, d’une part, les situations où les ressources sont identifiées et mises à profit avec succès, et, d’autre part, les situations de marginalisation totale. Par exemple, seuls quelques pays africains attirent des investissements extérieurs directs qui ne sont pas exclusivement motivés par l’exploitation des ressources minérales ou énergétiques. Beaucoup dépend de la situation propre à chaque pays; ou, dans les termes du «Consensus de Monterrey»: de la capacité à mobiliser les ressources intérieures et à lutter contre les fuites de capitaux, l’évasion fiscale, et la corruption.
En outre, il est évident que dans des situations de conflit armé – nombreuses, malheureusement, en Afrique – la dimension économique du développement devient tout simplement impossible à envisager.
Quand à la rémission de la dette extérieure, des progrès ont eu lieu; toutefois, les ressources en vue de l’annulation de la dette ont rarement été ajoutées aux flux d’aide et cela a comporté comme conséquence une réélaboration des budgets publics sans réelle augmentation des ressources disponibles pour les actions de lutte à la pauvreté.
Deux points doivent être soulignés de façon opportune. L’un concerne les choix de politique internationale des gouvernements africains; la volonté croissante de coopération internationale sud-sud doit être soutenue, dans un continent où développer une certaine tradition de coopération internationale pourrait contribuer à canaliser de façon préventive les conflits dans le cadre de négociations non sanglantes. Le deuxième point concerne les choix de politique intérieure, en matière de lutte contre la pauvreté et le développement: il est nécessaire de soutenir de façon convaincue la solution alternative, qui met en valeur et renforce les formes de réponse aux besoins qui naissent «de l’intérieur» de la société africaine, qui possède un important patrimoine de culture solidaire qui sait s’exprimer par une extraordinaire force de témoignage.
L’expérience de coopération internationale au développement est désormais assez vaste pour permettre de conclure que politiques et ressources «découlant d’en haut» peuvent produire des effets bénéfiques immédiats, mais ne fournissent pas à eux seuls des réponses adéquates sur la manière de sortir, de façon durable, de la pauvreté. Les principes de subsidiarité et de solidarité, si chers à la doctrine sociale de l’Eglise, peuvent inspirer un authentique développement sous le signe d’un humanisme intégral et solidaire.
Du Vatican, le 18 novembre 2008
© Traduction française : L’Osservatore Romano