ROME, Mercredi 3 décembre 2008 (ZENIT.org) - Le cardinal Vingt-Trois salue le « courage personnel politique » de certains représentants de la classe politique française.
A l'occasion de la messe annuelle des responsables politiques à Paris, le cardinal archevêque de Paris, André Vingt-Trois a en effet prononcé une homélie, hier, mardi 2 décembre 2008, en la basilique Sainte-Clotilde. Voici le texte intégral publié par le site du diocèse.
L'archevêque salue notamment « le courage personnel et politique d'un certain nombre d'élus qui n'ont jamais accepté de se plier aux diktats des idées toutes faites et qui ont eu assez de détermination pour témoigner de leurs convictions, non seulement à l'égard de leurs adversaires politiques, mais aussi à l'égard de leurs amis, ce qui est parfois plus difficile ».
MESSE ANNUELLE DES RESPONSABLES POLITIQUES
« Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Lc 10, 23). Cette apostrophe de Jésus à ses disciples nous laisse parfois perplexes. Bien sur, nous pouvons l'interpréter comme une bénédiction qui vise exclusivement les disciples qui avaient assisté en témoins émerveillés aux événements historiques de la venue du Christ et du déroulement de son ministère. Mais dans la foi chrétienne, les Écritures ne sont pas seulement un récit historique sans pertinence actuelle. Elles sont aussi reçues dans la foi comme Parole de Dieu aujourd'hui pour nous. Ainsi la joie du Christ qui exulte sous l'action de l'Esprit-Saint dit quelque chose sur notre situation aujourd'hui, comme la prophétie d'Isaïe dit quelque chose sur ce que nous vivons actuellement. Le monde nouveau de justice et de paix, qu'a inauguré le Messie « sorti de la souche de Jessé » (Is 11, 1), peut nous faire rêver dans les moments difficiles que traverse le monde, ou peut-être peut-il aussi faire partie du témoignage de la foi chrétienne d'annoncer une véritable espérance. Permettez-moi simplement ce soir de partager avec vous quelques uns des motifs de cette espérance.
Il y a bientôt trois mois, nous avons eu la joie d'accueillir le Pape Benoît XVI en France, et je sais que nombre d'entre vous ont tenu à participer à l'un ou l'autre des rassemblements qui ont marqué son passage parmi nous ou du moins à en suivre les échos médiatiques. Même si certains pontifes du commentaire infaillible ont peiné à en prendre leur parti, tous ont bien dû s'incliner devant les faits : la figure de l'Église catholique en France, telle qu'elle apparaissait était celle d'un corps vivant et motivé, essentiellement composé de jeunes adultes ou de jeunes familles ; un corps certes très diversifié, mais serein et uni dans la profession de foi ; un corps joyeux et heureux de vivre ce moment intense. Nous sommes bien éloignés des images stéréotypées, que véhiculent encore paresseusement quelques informateurs, d'une Église de vieillards, sans prise sur les jeunes générations, sans intelligence sur le temps que nous vivons, sans prise sur la réalité, en voie de dégénérescence rapide et d'extinction sociale. Bref, d'une force sociale qui ne serait plus qu'une faiblesse dont il n'y aurait pas lieu de s'inquiéter. A ce jour, je ne crois pas qu'il y ait en France beaucoup de corps sociaux qui offrent une telle vitalité et une telle sérénité. Je n'en tire aucun motif de triomphalisme, mais pour des personnes aussi averties que vous de la vie publique, je pense que cette vitalité est une espérance non seulement pour les catholiques, mais encore pour la société dans son ensemble.
Un deuxième motif d'espérance me vient d'une certaine appréciation de l'évolution des mentalités dans notre société. Vous trouvez peut-être que je suis exagérément optimiste, mais il me semble que nos concitoyens sont plus ouverts aux questionnements éthiques qu'ils ne l'étaient il y a une quinzaine d'années. Sans doute, différents événements et différents courants d'opinion ont-ils contribué à cette évolution. Permettez-moi de vous dire que je compte parmi ces éléments le courage personnel et politique d'un certain nombre d'élus qui n'ont jamais accepté de se plier aux diktats des idées toutes faites et qui ont eu assez de détermination pour témoigner de leurs convictions, non seulement à l'égard de leurs adversaires politiques, mais aussi à l'égard de leurs amis, ce qui est parfois plus difficile.
Plus de modestie envers les prouesses économiques de notre système, c'est le moins que l'on puisse dire ; moins de crédulité naïve dans les grandes promesses thérapeutiques jamais étayées par des résultats vérifiables ; plus de sensibilité à la fragilité de notre environnement et à l'irresponsabilité de la gestion des ressources naturelles sont autant de facteurs qui nous ont conduits à plus de réalisme et plus d'esprit critique. Aujourd'hui il est à nouveau possible de réfléchir et de poser certaines questions de sagesse, censurées il y a encore quelques années. Cette plus grande liberté d'esprit n'élimine pas les campagnes de lobbying et leurs informations partiales ou mensongères. Elle permet du moins de les identifier et de les nommer sans être stigmatisé comme les derniers représentants de l'obscurantisme.
Cette plus grande liberté dans l'expression de convictions différentes sur la dignité de l'homme et sur son avenir est une ressource précieuse en ces temps où nous allons être entraînés dans le grand débat des États Généraux sur les lois de bioéthique. Si nous souhaitons que ces débats soient vraiment généraux et ne se réduisent pas à des luttes d'influence entre les diverses idéologies ou entre les représentants des lobbies économiques, il nous revient de faire entendre des arguments de raison. Le travail qui a été mené par la Conférence des évêques de France sur ce sujet a abouti à un dossier important que vos évêques vont vous transmettre. Il réunit les avis de différents spécialistes sur les questions retenues pour les États Généraux. Notre propos n'est pas d'imposer à la société des vues particulières, mais de fournir des éléments d'appréciation dans le dialogue auquel nous sommes invités.
Plus profondément, il pose une question de droit dans le fonctionnement de notre démocratie. Nous savons bien que le droit positif, dont vous avez la lourde charge d'établir l'expression législative, ne peut pas être une simple répétition des principes fondamentaux. Il doit être l'expression de leur mise en œuvre dans une législation pratique. Mais nous savons aussi que le droit positif ne peut pas se borner à rappeler les grands principes en formulant aussitôt la liste des dérogations qui permettront de les transgresser avec l'approbation du législateur. En cette année où nous fêtons avec la grandeur qui convient le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, il peut ne pas être inutile de rappeler que cette déclaration n'est pas une simple invocation sans effet pratique.
Si la loi définit des frontières à ne pas franchir, elle ne peut pas, en même temps, fournir les moyens de les violer sans infraction. Après plus de dix ans sous le régime des premières lois de bioéthique, l'expérience nous montre que les exceptions ne sont souvent que une manière déguisée de donner une autorisation en sauvegardant l'attachement aux grands principes. A moins que ce ne soit une tactique pour abaisser les résistances et accoutumer les consciences à la transgression. Un peu de recul permet de faire une véritable évaluation des enjeux et des risques et d'appliquer à l'égard de l'homme et de l'humanité le fameux principe de précaution dont on se réclame si volontiers pour tant de sujets bien moins importants.
Un troisième motif d'espérance peut nous venir des difficultés mêmes que nous traversons. Les contraintes du système économique dans lequel nous fonct ionnons nous amènent, qu'on le veuille ou non, à reconnaître que les ressources de notre univers sont limitées et que le rêve d'un développement indéfini de notre mode de vie touche à ses limites lui-aussi. L'accroissement continu de la consommation ne peut plus être le seul moteur de l'activité économique et c'est toute une conception de l'existence qui se trouve remise en cause. Pourquoi ne pas espérer que cette remise en cause, si elle n'est pas escamotée par des promesses illusoires, permette à nos concitoyens de retrouver ou d'inventer de nouvelles aspirations, de nouveaux objectifs et de nouvelles satisfactions ?
Les transformations d'une société sont des changements très lents et qui se mesurent en décennies. Les épreuves que nous rencontrons sur les chemins de l'histoire marquent parfois la fin d'un monde. Elles peuvent être aussi les germes d'une nouveauté que nous ne connaissons pas encore. Le regard de la foi sur la vie des hommes nourrit l'espérance que Dieu aujourd'hui encore fait toutes choses nouvelles. Notre tâche de chrétiens est de chercher avec confiance et détermination les éléments de cette nouveauté et de les faire ressortir en même temps que nous nous employons à les soutenir et à les faire fructifier.
J'en suis convaincu, la promesse d'un monde nouveau fait de justice et de paix n'est ni une utopie ni une illusion, elle est la promesse de Dieu pour chaque époque de l'histoire des hommes, -et donc pour la nôtre-. Elle est la conviction qui nous soutient devant les difficultés quotidiennes. Elle est la motivation qui nous anime quand nous défendons la dignité humaine. Elle est notre espérance !
+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris