ROME, Mardi 30 septembre 2008 (ZENIT.org) – Catholiques et orthodoxes sont d’accord sur le fait que le bien commun n’est pas une chose purement matérielle et sur les principes éthiques qui doivent régir l’économie et le marché.
C’est ce qui ressort des propos tenus vendredi dernier lors de la présentation à l’Université des relations internationales de Moscou (MGIMO) d’un livre, traduit en russe, sur la doctrine sociale de l’Eglise, écrit par le cardinal secrétaire d’Etat Tarcisio Bertone et préfacé par le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad, président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou.
Le recteur de l’université ainsi que Mgr Mark d’Egorievsk, vice-président du Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, Mgr Antonio Mennini, nonce apostolique, un représentant de l’archevêque catholique de la Mère de Dieu à Moscou, Mgr Paolo Pezzi, et de nombreuses personnalités orthodoxes et catholiques participaient à la présentation.
Dans la préface du livre écrit par le cardinal Bertone, le métropolite Cyrille relève de « nombreux points communs » entre la doctrine catholique et la doctrine sociale de l’Eglise orthodoxe russe. Ceci pourrait, selon lui, relancer le dialogue entre les deux Eglises.
En ce sens, le métropolite explique les nœuds essentiels de la pensée orthodoxe dans ce domaine, en particulier la vision du concept de bien commun comme « fraternité », un aspect sur lequel il est d’accord avec le cardinal Bertone.
Il s’agit d’un concept parfaitement compatible avec la pensée orthodoxe, explique-il dans sa préface, publiée le 25 septembre par « L’Osservatore Romano ».
Le concept orthodoxe de bien commun, relève-t-il, ne s’intéresse « pas seulement au bien matériel, pas seulement à la paix et à l’harmonie dans la vie terrestre, mais avant tout à l’aspiration de l’homme et de la société humaine à la vie éternelle qui est le bien suprême pour chaque chrétien ».
Cela ne veut pas dire que l’orthodoxie « nie l’aspect matériel de l’existence humaine », mais qu’elle invite « à déterminer correctement les priorités »: « les biens matériels ne sont pas une condition inaliénable pour le salut et donc leur acquisition ne peut devenir une fin en soi ».
« L’histoire montre clairement que seule l’aspiration à une fin supérieure, la capacité de sacrifier les biens terrestres au profit des biens du ciel, la capacité de se donner des tâches d’ordre supérieur, spirituel, rendent la société humaine vitale et donnent du sens à la vie de chaque individu », souligne-t-il.
Dans le contexte culturel russe, ajoute le métropolite, « la priorité des valeurs spirituelles sur les valeurs matérielles est implicite. Néanmoins, cette tradition ascétique se mêle à une autre puissante tradition : celle d’un rapport de soin et de sollicitude envers les biens matériels, qui nous donnent la possibilité d’accomplir de bonnes actions ».
Selon la pensée orthodoxe, « celui qui travaille honnêtement et multiplie les biens matériels accomplit une œuvre divine ».
« L’argent n’est qu’un moyen pour atteindre un objectif que l’on s’est fixé. Il doit toujours être en mouvement, en circulation. Le travail, authentique, totalement passionnant, voilà la vraie richesse du chef d’entreprise ! L’absence du culte de l’argent émancipe l’homme, le rend libre intérieurement », estime-t-il.
Récupérer la « gratuité »
Pour sa part, le cardinal Bertone explique dans son livre que, pour les catholiques, le concept de bien commun ne se limite pas aux idées de justice et de solidarité, propres à l’utilitarisme philosophique, mais qu’il faut introduire l’idée de « réciprocité » qui permet une vision plus large des relations sociales.
En ce sens, explique-t-il, la grande contribution de la pensée catholique consiste à introduire dans le schéma philosophique utilitariste qui considère les relations sociales comme un échange entre le « je » et le « tu », basé sur un contrat, l’idée d’un « tiers », basée sur le concept de « fraternité ».
« Alors que le principe de solidarité est un principe d’organisation sociale qui tend à rendre égaux ceux qui sont différents, le principe de fraternité permet aux égaux d’affirmer leur propre diversité », a-t-il expliqué.
Cette société fraternelle postulée par la doctrine sociale, a poursuivi le cardinal Bertone, va au-delà de la justice et de la solidarité, car elle y ajoute « la dimension de gratuité et donc la possibilité de l’espérance ».
Les sociétés modernes, souligne-t-il, ont besoin de « trois principes autonomes pour pouvoir se développer de manière harmonieuse et ainsi pouvoir s’ouvrir à l’avenir : l’échange de valeurs équivalentes (à travers le contrat), la redistribution des richesses (à travers le système fiscal) et la réciprocité (à travers les œuvres qui font acte de charité dans les faits) ».
« Pour le chrétien, un horizon politique où ne sont déclinés que les principes et règles devant régir une société libre, voire même une société juste, ne suffit pas », a-t-il ajouté car « le chrétien vise une société fraternelle ».
Selon le cardinal, l’Europe « ne serait pas comme nous la connaissons aujourd’hui, au plan de son seul profil social et économique, sans les mouvements bénédictin et franciscain ». « Les charismes sociaux de tant de fondateurs d’ordres religieux entre le XVIII et le XIX siècle, qui ont donné naissance à des hôpitaux, écoles, œuvres de charité, ont marqué la naissance et le développement de l’Etat social moderne ».
De la même manière, il a évoqué l’existence des institutions bancaires catholiques, surtout la carte de crédit et les Monts de piété, comme de grandes contributions du christianisme à la société.
Le défi d’aujourd’hui est, selon le cardinal Bertone, d’ouvrir des espaces au « don » dans les sociétés modernes. Un don basé sur la gratuité, ce qui aujourd’hui n’existe pas, à la faveur d’une « solidarité » fondée sur la dépense sociale.
En ce sens, a poursuivi le cardinal, l’encyclique « Deus caritas est » de Benoît XVI invite à « rendre le principe de gratuité à la sphère publique ».
« Le message central que l’encyclique de Benoît XVI nous adresse est celui de penser à la gratuité, autrement dit à la fraternité, comme point de référence de la condition humaine et donc de voir dans l’exercice du don la condition indispensable pour qu’Etat et marché puissent fonctionner en ayant comme visée le bien commun ».
La traduction russe de l’ouvrage du cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, « L’éthique du bien commun dans la doctrine sociale de l’Eglise », a été préparée conjointement par l’association italienne « Sofia: idea russa, idea dell’Europa », et par l’Université des relations internationales de Moscou (MGIMO).
Traduit de l’italien par Isabelle Cousturié