ROME, Dimanche 28 septembre 2008 (ZENIT.org) – Après la publication, jeudi dernier, d’un document sur la réforme des Instituts supérieurs de sciences religieuses, Mgr Bruguès revient pour Zenit sur ces instituts et le sens de la réforme qui est engagée. Il présente les adaptations voulues par la Congrégation pour l’éducation catholique afin de permettre à un maximum de laïcs de bénéficier d’une formation de qualité.
Zenit – Monseigneur Bruguès, quel est l’intérêt aujourd’hui des Instituts supérieurs de sciences religieuses face aux facultés de théologie ?
Mgr Bruguès – Il faut bien comprendre la situation : nous avons aujourd’hui dans l’Eglise un mouvement qui consiste à donner de plus en plus de responsabilités aux laïcs. Et il faut voir cela comme mouvement de confiance. Ce sont à la fois des activités traditionnelles externes à l’Eglise, telles que l’investissement dans le monde économique, le monde culturel… mais, et c’est tout nouveau, on demande de plus en plus de service à des laïcs à l’intérieur même de l’Eglise. Qui dit services et responsabilités, dit nécessairement formation. Il faut que ces laïcs soient en mesure de répondre aux attentes que l’on place en eux dans ces diverses activités.
Alors, il y a diverses formes de formation, chaque diocèse à toujours eu un petit quelque chose pour que ces laïcs puissent se former, mais ça n’avait pas de prétention à des titres. C’était simplement pour les mettre à niveau… Puis les laïcs se sont inscrits dans les facultés de théologie, puisque c’était les seules institutions qui prévoyaient un diplôme reconnu par l’Eglise et qui pouvaient ainsi leur assurer une transition géographique, car avec le même diplôme on peut aller ailleurs. On s’est alors rendu compte qu’on ne pouvait pas demander à des laïcs de se plier à la formation qui était, au point de départ, pour les clercs. Il y a toujours eu des laïcs dans les facultés, mais qui étaient en nombre simplement limité. Quand ce nombre de laïcs a commencé à prendre de l’importance, on a créé différents cycles au sein des facultés. Il s’agissait en d’autres termes de trouver une autre formation mieux adaptée.
ZENIT – Quelles ont été les modalités de cette adaptation de la formation ?
Mgr Bruguès – Par exemple, un laïc ne peut pas se mettre en absence de travail professionnel pendant trois ou quatre ans. Il a donc fallu concevoir une formation qui soit compatible avec leurs activités professionnelles. Il fallait aussi une formation compatible avec la vie familiale puisque la plupart des laïcs, pas tous bien sûr, mais la plupart, sont mariés et ont des enfants. Et on s’est alors aperçu qu’on ne pouvait pas demander à des séminaristes des cours du soir, car ils avaient les obligations du séminaire, et en même temps on ne pouvait pas demander à des laïcs des cours le matin. Donc on s’est dit qu’il fallait concevoir deux formations particulières.
Et cela s’est accentué quand on s’est dit qu’on ne pouvait pas demander non plus à des laïcs de suivre des cours qui seraient manifestement orientés vers la formation des clercs, je pense notamment au domaine de la sacramentaire, la célébration des sacrements. En revanche, on avait besoin pour des laïcs, de cours plus solides dans un certain nombre de domaines. Je parle par exemple du domaine qui était le mien, la théologie morale économique, la morale économique et politique,… il fallait développer ces cours. Donc il y a des considérations de méthodologie, et également de contenu. Mais il ne fallait pas que les laïcs croient, parce qu’on mettait à leur disposition des instituts, que ce soit une formation au rabais. C’est une formation qui vise aussi à l’excellence universitaire parce qu’un institut ne peut exister que sous la responsabilité d’une faculté de théologie, il ne peut exister par lui-même.
ZENIT – Et pourquoi, plutôt que de créer de nouveaux instituts, ne pas avoir transformé et conservé les cycles qui existaient dans les facultés ?
Mgr Bruguès – Tant qu’il s’agit de laïcs qui sont du diocèse ou du lieu où se trouve la faculté, il n’y a pas de problème. Mais n’oublions pas que nous avons des laïcs qui viennent de diocèses voisins, et que c’est compliqué pour eux. Donc on a dit qu’une faculté de théologie peut avoir autour d’elle des instituts. Il y a des pays comme l’Italie ou l’Espagne où ces instituts se sont multipliés : en Italie il y en a 74, et pour l’Espagne, autour de 30. En revanche, en France, ils ne se sont pas développés, même si récemment nous avons reçu des demandes de créations d’instituts. En fait, si je me mets à la place d’un doyen d’une faculté de théologie, plutôt que de me compliquer la vie à trouver plusieurs cycles à l’intérieur de ma faculté, je serais content d’avoir un institut qui dépendrait de la faculté, mais qui serait spécifique pour ces laïcs.
ZENIT – Combien de personnes seraient aujourd’hui concernées par ces instituts par rapport à ceux qui sont inscrits en faculté de théologie ?
Mgr Bruguès – Cela dépend énormément des pays et des lieux. Alors puisque vous parlez de chiffres, notre document qui a été présenté jeudi dernier précise qu’habituellement un institut ne peut pas avoir moins de 75 inscrits. Evidemment, on a vu des instituts se créer avec quelques personnes, mais ce n’était pas significatif. Un minimum de 75 inscrits, mais également un minimum obligatoire de quatre professeurs stables entièrement députés à l’institut, s’il n’y a que le premier cycle, et cinq professeurs s’il y a aussi le second cycle. Donc c’est sérieux, ce n’est pas une formation au rabais, d’ailleurs les diplômes sont délivrés au nom de la faculté, par les professeurs de faculté, qui vont donner un enseignement de même qualité, simplement adapté. Pour répondre à votre question, il faudrait considérer la situation de chacune des facultés de théologie. En France, j’imagine tout à fait que l’Institut Catholique de Paris et peut être aussi la Faculté Notre Dame aient la possibilité de créer plusieurs instituts, qui pourraient être à Paris ou à l’extérieur.
ZENIT – Le but de la formation est plus pastoral dans ces instituts ?
Mgr Bruguès – Non, on ne peut pas nécessairement le dire. Ce qu’on vise, c’est une formation adaptée au mode de vie et à l’activité des laïcs. Les activités ne sont pas nécessairement pastorales. Les laïcs ont toujours eu la mission de témoigner de l’évangile là où ils étaient, dans la famille, la vie professionnelle, mais aujourd’hui cette mission se trouve renouvelée, c’est une nouvelle évangélisation. Alors comment les aider dans cette nouvelle évangélisation ? Il y a du pastoral mais ce n’est pas strictement du pastoral, il nous faut penser la nouvelle évangélisation confiée à des laïcs. Elle n’est pas confiée qu’à des laïcs mais principalement à eux. Alors comment les former ?
ZENIT – Et ces instituts seraient spécialisés dans un domaine particulier ?
Mgr Bruguès – On peut l’imaginer. Il y aurait nécessairement une formation théologique, qui serait à la fois synthétique et organique, avec l’ambition de mettre des laïcs au niveau théologique, mais on peut très bien imaginer des instituts qui se spécialiseraient dans un domaine. J’ai évoqué les activités qui seraient demandées à des laïcs comme la vie économique, la vie professionnelle, le domaine politique, mais aussi les communications et un domaine qui me paraît très important, d’où l’on attend beaucoup, la culture.
ZENIT – Peut-on dire qu’avec ce document commence la réforme des textes normatifs relatifs à la formation universitaire, comme Sapientia Christiana qui date de 1979 ?
Mgr Bruguès – Vous donnez une date qui montre que
nous sommes une génération après. Et maintenant, en 25 ans, il se passe beaucoup de choses, d’une génération à l’autre. Notre congrégation est bien convaincue qu’il faut refaire des textes non pas à partir de zéro, mais un aggiornamento, à la fois pour les facultés et pour les instituts. Le document qui a été présenté jeudi dernier fait partie de cet aggiornamento parce qu’on s’est aperçu que ces instituts qui s’étaient vraiment multipliés manquaient de critères communs.
ZENIT – En créant ces instituts et en y envoyant des laïcs, ne va-t-on pas vider les facultés de théologie là où elles sont parfois fragiles ?
Mgr Bruguès – C’est pour cela qu’il faut étudier chaque situation ! Si dans une faculté de théologie vous n’avez pas de clerc en formation on ne va pas faire d’institut puisque les laïcs sont là. En revanche, quand vous avez une faculté où la présence des clercs est dominante, il vaut mieux créer un institut pour des laïcs. En fait, ces instituts existent depuis 20 ans. Il n’y a rien de nouveau dans cela.
ZENIT – Et le risque n’existe-t-il pas de séparer la formation des clercs et celle des laïcs en en faisant une formation plus théorique parce que faite en semaine et à temps complet d’un côté face à une formation qui serait plus légère ?
Mgr Bruguès – Je ne crois pas, maintenant tout dépend de la manière dont ce sera réalisé. Mais la faculté de théologie devient institutionnellement le garant de la qualité de l’enseignement qui est dispensé. Le fait que les professeurs soient communs est aussi une preuve de ce sérieux. Et je n’imagine pas qu’une faculté de théologique ne se contente que d’une formation théorique, s’il y a des clercs, il faut aussi les former pastoralement. Ça fait parti de leur mission.
ZENIT – Est-ce que c’est le rôle d’un ensemble où la faculté serait rattachée au séminaire ?
Mgr Bruguès – Je dirais de l’ensemble. Je ne conçois pas un enseignement théologique pour des clercs qui serait absolument détaché des questions pastorales, ce n’est pas possible.
ZENIT – Donc le souci pastoral et la visée du ministère confié aux laïcs ou aux clercs formatent leur formation ?
Oui bien sûr.
Propos recueillis par Stéphane Lemessin