ROME, Mercredi 24 septembre 2008 (ZENIT.org) – « Les Saintes Ecritures sont essentielles pour connaître le Christ » explique dans cet entretien, un des biblistes contemporains les plus prestigieux, le cardinal Albert Vanhoye, à quelques jours du Synode des évêques sur la Parole de Dieu qui s’ouvrira à Rome en octobre.
Le père jésuite, ancien recteur de l’Institut pontifical biblique et ancien secrétaire de la Commission pontificale biblique, est né le 24 juillet 1923 à Hazebrouck, dans le diocèse de Lille, dans le nord de la France, à la frontière avec la Belgique.
Depuis 1963, il était professeur à l’Institut pontifical biblique de Rome, où il exerçait une intense activité didactique, enseignant l’exégèse du Nouveau Testament jusqu’en 1998, tenant des cours d’exégèse sur la lettre aux Hébreux et les Epîtres de saint Paul, et dirigeant des cours de méthodologie, de théologie biblique et des séminaires sur les Evangiles, les Epîtres et l’Apocalypse.
Il a pris une part active à la rédaction de documents de la Commission biblique dans la ligne d’un travail déjà commencé par le concile Vatican II comme : « L’interprétation de la Bible dans l’Église » (1993), et « Le peuple juif et ses saintes Ecritures dans la Bible chrétienne » (2001).
En guise de reconnaissance pour son service rendu à l’Eglise dans ce domaine, Benoît XVI l’a créé cardinal lors du consistoire du 24 mars 2006. Le pape l’a également nommé membre du prochain synode des évêques qui se tiendra à Rome en octobre sur le thème « La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise ».
Dans cet entretien accordé à ZENIT, il explique ce qu’est pour lui la Bible et ce qu’il attend de l’assemblée des évêques. Nous publions ci-dessous la première partie de cet entretien.
ZENIT – Comment et quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’étude de la Parole de Dieu ?
Card. Vanhoye – Mon intérêt pour la Parole de Dieu a certainement commencé dès mon enfance, mais il s’est surtout accru et développé en étudiant la théologie. Ma passion pour l’Evangile de Jean est née alors que je préparais mon ordination sacerdotale. J’étais prêt à ces études car avant la théologie, j’ai dû pendant deux ans enseigner le grec classique à de jeunes jésuites qui préparaient leurs diplômes à la Sorbonne de Paris. Un enseignement de haut niveau. J’étais donc en contact direct avec le texte grec du Nouveau Testament et les textes grecs de l’Ancien Testament.
J’ai en particulier étudié le thème de la foi dans l’Evangile de Jean, un thème évidemment fondamental. Pour Jean, la foi consiste à croire en Jésus Christ le Fils de Dieu, ce qui ne veut pas simplement dire adhérer à des vérités révélées, mais adhérer avant tout à une personne, une personne qui est le Fils de Dieu, qui fait l’œuvre du Père, en union avec le Père et qui nous invite nous aussi à faire son œuvre.
ZENIT – Puis vous êtes devenu l’un des plus grands spécialistes de la Lettre aux Hébreux …
Card. Vanhoye – De cette étude de Saint Jean sont sortis quelques articles. Mais pour des raisons de temps, vu que j’ai dû aussitôt me mettre à enseigner, je n’ai pu continuer mon travail. En même temps, je me suis rendu compte que j’avais trouvé des choses très intéressantes dans la Lettre aux Hébreux et que je pouvais donc profiter des quelques mois dont je disposais par an pour préparer une thèse sur cet écrit, encore peu étudié. Aussi mon intérêt s’est-il concentré sur la Lettre aux Hébreux qui est un texte très profond, une synthèse de christologie sous l’aspect sacerdotal.
J’admire toujours la profondeur de cette lettre qui est en réalité une homélie, où le mystère du Christ est présenté dans toutes ses dimensions, de sa dimension la plus haute de Fils de Dieu, splendeur de la gloire de Dieu, empreinte de sa substance jusqu’à celle du Christ, notre frère, qui a pris sur lui toute notre misère, et s’est abaissé au niveau des condamnés à mort pour y mettre justement tout son amour et ouvrir une voie allant jusqu’à Dieu.
D’autre part, la Lettre aux Hébreux manifeste une connaissance vraiment extraordinaire de l’Ancien Testament, et le sens de l’accomplissement de l’Ancien Testament avec les trois dimensions de correspondance, de rupture de certains aspects et puis naturellement de dépassement, d’achèvement complet. La Providence a permis que je puisse me consacrer toute ma vie au développement de l’Ecriture et en faire profiter tant d’étudiants de chaque nation. Je remercie donc beaucoup le Seigneur de m’avoir donné ce privilège.
ZENIT – Etudier la Bible supposait quoi pour vous au départ ? Quelles étaient les prémisses ?
Card. Vanhoye – Mes prémisses sont clairement des prémisses de foi. La bible est un texte qui exprime la foi. Pour l’accueillir de façon sérieuse et profonde il faut être dans le courant qui l’a produite. Il est donc essentiel d’aborder le texte inspiré, dans une attitude de foi. Il y a d’autre part la conviction que la Bible est aussi un livre historique, non une parole purement théorique ; une révélation avec des faits, des événements ; une réalité existentielle qui doit donc être accueillie sous cet aspect-là.
ZENIT – Durant toutes ces années passées à étudier la Parole de Dieu, qu’est-ce qui vous a incité à aller plus loin dans vos recherches, malgré les difficultés du milieu exégétique ou du travail lui-même ? Quelles sont vos motivations profondes ?
Card. Vanhoye – Certainement la conviction que la Sainte Ecriture est essentielle pour connaître le Christ, pour examiner toutes les dimensions du mystère du Christ. Le lien étroit entre la recherche exégétique, l’approfondissement de la foi et de la vie spirituelle. C’est cela qui a fait que je n’ai jamais hésité à étudier, à faire des recherches, à dépenser toute mon énergie et mes capacités dans une étude qui est d’une importance fondamentale pour la vie de l’Eglise.
ZENIT – Quels ont été les fruits les plus précieux pour votre vie sacerdotale et qui dérivent de votre contact avec la Parole?
Card. Vanhoye – La Parole de Dieu a nourri ma vie spirituelle de manière très féconde. Par exemple, durant mes années d’études à l’Institut pontifical biblique, j’ai étudier deux phrases de l’Evangile de Jean qui expriment ce lien entre l’œuvre de Jésus et l’œuvre du Père. Le don des œuvres a été fait à Jésus. En deux phrases Jésus parle des œuvres que le Père lui a données. J’ai vu l’insistance : « Mon Père est à l’œuvre jusqu’à présent et j’œuvre moi aussi » (Jn 5, 17). Un thème très important pour l’approfondissement de la vie spirituelle non seulement de manière spéculative mais spécialement dans le fait même d’œuvrer. Tout comme le Père a donné ses œuvres à Jésus, Jésus nous donne nos œuvres. Ceci est un point qui me nourrit : je dois toujours faire avec le Seigneur l’œuvre du Seigneur.
Et j’ai d’autre part compris que pour faire avec le Seigneur l’œuvre du Seigneur, il est essentiel d’être unis au cœur du Seigneur car l’œuvre du Seigneur n’est pas une œuvre administrative que l’on peut faire avec un certain détachement, mais une œuvre d’amour. Ceci constitue pour moi une orientation que je reprends en permanence, belle, profonde et exigeante. C’est lui l’auteur principal, moi je suis un pauvre et modeste assistant, mais qui doit s’appliquer, car l’œuvre est importante, une belle œuvre que fait le Seigneur. Ceci est l’exemple principal de mon rapport avec les Ecritures.
ZENIT – Que manque-t-il aujourd’hui dans l’Eglise pour que l’Ecriture influe davantage sur la vie spirituelle des fidèles ?
Card. Vanhoye – Il manque deux choses principales : d’une part les moyens, les instruments, le matériel qui puis
sent aider les fidèles à bien accueillir la Parole de Dieu ; et de l’autre la méditation des fidèles sur des textes de la Bible. Il s’agit de deux choses bien présentes, par la grâce de Dieu, dans la vie de l’Eglise, et qui le sont encore plus grâce au concile Vatican II. Néanmoins il reste encore des progrès à faire : d’une part éduquer les fidèles à bien accueillir la Parole de Dieu et à l’accueillir pas seulement mentalement, mais dans leur cœur et dans leur vie. Ceci est clair. Il faut éduquer les fidèles à faire cela.
D’autre part, pour cela, il est indispensable que les fidèles méditent la Parole de Dieu, qu’ils y repensent, qu’ils y réfléchissent. Ainsi leur vie sera peu à peu transformée par la puissance de la Parole de Dieu.
ZENIT – Dans ce but, comme l’a affirmé le pape Benoît XVI à plusieurs reprises, la Lectio Divina peut être un moyen très adapté…
Card. Vanhoye – La Lectio Divina est certes une méthode d’approfondissement très sérieuse de l’Ecriture inspirée. Mais pour qu’elle influe sur la vie des fidèles il faut que le dernier pas concerne son application dans la vie. Qu’une Lectio Divina se contente d’être uniquement une considération attentive du texte, puis une méditation, est possible. Mais elle doit être accompagnée de l’engagement du fidèle à l’appliquer, à recevoir vraiment dans sa vie la Parole de Dieu, à la rendre non seulement présente mais agissante.
Cette méthode a le grand mérite de porter d’abord l’attention sur le texte biblique en tant que tel, sur sa signification exacte, puis de centrer ses efforts sur le texte même, avant de partir en spéculations qui pourraient n’avoir aucun rapport avec le texte. La Lectio Divina part de la lectio proprement dite, d’une lecture attentive. Le cardinal Martini insistait sur ce point quand il faisait, à la cathédrale de Milan, ses grands rassemblements de Lectio Divina. On cherche alors ensuite à méditer, à faire le rapport avec la situation actuelle des croyants, tout en cherchant à adopter des attitudes spirituelles de contemplation, d’union à Dieu, etc. Mais comme je disais, il faut aussi prolonger la Lectio Divina, dans le sens d’une transformation de la vie.
Propos recueillis par le P. Lucas Teixeira, L.C.
[Fin de la première partie]