La persécution des chrétiens dans le monde (I)

Entretien avec Andrea Morigi, coordinateur du Rapport de l’AED

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ROME, Mercredi 25 juillet 2007 (ZENIT.org) – Cela fait plus de dix ans que le secrétariat italien de l’Œuvre internationale catholique de droit pontifical « Aide à l’Eglise en Détresse » (AED) publie chaque année un « Rapport sur la liberté religieuse dans le monde ». Ce rapport passe en revue les violations de la liberté religieuse et les persécutions dont sont victimes les chrétiens et d’autres groupes religieux à travers le monde.

Pour des raisons économiques, et malgré tout le travail d’analyse et de repérage concernant les cas de violations en matière de liberté religieuse dans les différents pays, l’édition de cette année (2007) ne sera sans doute pas publiée.

Pour une nouvelle mise à jour concernant la situation des chrétiens, victimes de vexation et d’intimidation, ZENIT a interrogé Andrea Morigi, journaliste du quotidien italien Libero, animateur de programme sur Radio Maria, et coordinateur du Rapport de l’AED depuis 1998.

Zenit – La plupart des musulmans dans le monde ne sont pas des fondamentalistes, et ne sont pas hostiles envers ceux qui pratiquent d’autres religions ou ne croient pas en Dieu. Pourtant, dans les pays à majorité islamique, les gestes d’intolérance se multiplient, même chez les plus modérés, contre les personnes qui ne croient pas au Coran… des cas de violation de la liberté religieuse sont signalées en Algérie, en Malaisie, au Pakistan, en Palestine, au Liban…. Pouvez-vous nous brosser un tableau de la situation ?

A. Morigi – Si nous considérons l’actualité, nous voyons que nous sommes tous les jours confrontés à de graves épisodes d’intolérance contre les soi-disant « infidèles » qui vivent en situation de minorité parmi les musulmans. L’exode continu des chrétiens de l’Irak risque d’entraîner la disparition définitive de certaines communautés très anciennes comme la communauté assyrienne. Il est vrai que les terroristes, plus ou moins liés au groupe al Qaeda, sont les vrais responsables de cette situation. Cela dit, aucune réaction populaire ne prend la défense des persécutés.

J’ignore si cette attitude est dictée par la peur, la peur de s’impliquer, après de longues années passées sous le régime de Saddam Hussein, lorsque les gens avaient l’habitude de ne pas se mêler des affaires des autres, pour une question essentiellement de survie, ou s’il s’agit plutôt d’une attitude idéologique proche du fondamentalisme. De fait, on assiste à un isolement, interne et surtout international, des victimes, alors que l’on trouve toujours quelqu’un disposé à « comprendre » les raisons des terroristes. Hommes politiques et diplomates, soucieux de se montrer plus sensibles, sont même arrivés à concevoir un plan qui créerait une sorte de « réserve indienne » dans le nord de l’Irak, pour abriter tous les chrétiens réputés en danger.

Mais aucun gouvernement ne s’estime en devoir d’intervenir à travers un geste d’ingérence humanitaire, comme cela a été le cas durant la guerre de Bosnie, car on considère encore la guerre sainte comme une conséquence de la lutte contre le terrorisme, et non comme un phénomène endogène lié à la nature même de l’islam. De la même manière, sous prétexte de ne pas susciter de réactions, on abandonne à leur destin tous ceux qui souffrent des effets de la loi islamique. Aucun pays n’échappe à cela, ni même les plus « libéraux », comme la Tunisie où les femmes musulmanes ont, malgré tout, interdiction d’épouser un non-musulman.

En Arabie Saoudite, il existe une police religieuse, la Muttawa, qui veille sur le comportement correct (conforme à la loi islamique) de la population, et entre de force dans les habitations d’immigrés philippins ou indiens, réunis pour réciter le chapelet ou lire la bible, une activité considérée, sur le territoire ‘sacré’ de l’islam, comme un très grave délit, passible de prison, de confiscation des biens et de rapatriement immédiat.

Ailleurs, la pression s’exerce de façon différente. La loi empêche toute conversion à d’autres religions ou limite, au plan administratif, la diffusion publique et privée du message évangélique. Ceux qui abandonnent l’islam risquent la peine de mort en Iran, au Soudan, en Mauritanie, alors qu’au Pakistan ils risquent de perdre la garde de leurs enfants et le droit d’hériter des biens de leurs parents musulmans. Ceci constitue un problème de violation de la liberté religieuse par les musulmans eux-mêmes. Un problème complètement ignoré au nom du relativisme culturel, selon lequel les us et coutumes doivent être respectés si l’on ne veut pas être accusé de vouloir imposer, dans un esprit colonial, les règles de la civilisation occidentale.

Zenit – Ces problèmes d’atteinte à la liberté religieuse et de sécurité personnelle en milieu musulmane existent également en Europe. Les femmes et les musulmans qui refusent et dénoncent le terrorisme et le fondamentalisme en sont les premières victimes. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

A. Morigi – Le même modèle multiculturel se répète partout. En Italie, le fait que ce soit un musulman, vivant sous escorte – le sous-directeur du Corriere della Sera Magdi Allam – qui ait été le premier à convoquer une manifestation pour la liberté religieuse au début du mois de juillet, n’est pas anodin. Et au procès qui se déroule à Brescia pour le meurtre d’Hina Saleem, la jeune fille pakistanaise décapitée le 11 août 2006 par ses parents pour avoir voulu enfreindre les règles de la sharia en vivant comme une occidentale, ce sont des femmes musulmanes qui ont demandé à se constituer partie civile, donnant ainsi un signe d’espoir à toutes les épouses et à toutes les filles d’immigrés victimes de ségrégation. La seule et unique député à s’être jointe à elles fut Daniela Santanchè, du parti Alleanza Nazionale. Et ceux qui n’ont pas bougé le petit doigt pour exprimer leur solidarité aux victimes de la violence ont eu le courage de l’accuser d’avoir instrumentalisé cette affaire.

Alors, je vous dis: si ces instrumentalisations servent à dévoiler la réalité des viols et des esclavages qui se cache derrière et à l’intérieur des mosquées, elles sont les bienvenues. Quand on pense qu’au lendemain de la manifestation devant le Tribunal de Brescia, Dounia Ettaib, la représentante du groupe des femmes marocaines à la manifestation, s’est faite agressée dans une rue à deux pas de l’Institut culturel islamique de Milan. Deux hommes lui ont intimé l’ordre de ne pas salir l’Islam. Ils l’ont physiquement menacée. Cette femme est une immigrée mais elle a également la citoyenneté italienne. Ceci veut dire que, même chez nous, dans notre propre pays, où nous sommes nés et avons grandi, les espaces de liberté se resserrent de plus en plus, comme si la cohabitation civile et les institutions démocratiques cédaient peu à peu le pas à des zones franches, où la souveraineté nationale serait remplacée par la loi du Coran.

Zenit – Il existe des mesures contre l’activité missionnaire des chrétiens aussi au Tadjikistan et en Ouzbékistan, n’est-ce pas ?

A. Morigi – Les séquelles de l’héritage soviétique n’ont pas encore disparu. Les régimes soviétiques ont écrasé, pendant 70 ans, toute possibilité de témoignage religieux et aujourd’hui les Etats successeurs traitent la question religieuse comme un problème d’ordre public. Il est clair que, dans les pays frontaliers de l’Afghanistan, la menace terroriste liée au fondamentalisme existe, et qu’elle est concrète, mais la solution n’est pas dans le dirigisme confessionnel ou en imposant des limites aux religions
non islamiques. Au Tadjikistan, un récent projet de loi rendra pratiquement impossible la vie des catholiques, des protestants et des baha’i, qui protestent en vain sans que personne, au niveau international, ne veuille bien les écouter, si ce n’est l’OSCE ( l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

Tout ceci pour étouffer les protestations des musulmans auxquels a été fixé un nombre limité de mosquées et qui ont l’interdiction de former des partis confessionnels. Entre temps, au Turkménistan, les témoins de Jéhovah Nuryagdy Gayyrov et Bayram Ashirgeldyyev ont été arrêtés alors que des fidèles de l’Eglise baptiste ont été condamnés à une peine de trois ans de travaux forcés pour avoir simplement dit qu’ils étaient des objecteurs de conscience, comme cela est arrivé à Vyacheslav Kalataevsky ou pour des raisons purement religieuses, comme ce fut le cas de Yevgeny Potolov. Une attitude répressive à laquelle l’ancien mufti Nasrullah ibn Ibadullah n’a lui-même pas échappé.

Par ailleurs, en Ouzbékistan, on assiste à un véritable déchaînement contre certaines minorités, comme l’Eglise pentecôtiste de l’amour de Dieu, contre des musulmans et des adeptes de la secte Hare Krishna : livres et vidéos sont confisqués, des personnes sont arrêtées, des procès ouverts sous prétexte – aussi paradoxal que cela puisse paraître – d’atteinte aux lois sur la liberté religieuse. Signalons pour finir, bien que le sujet soit sans fin, le cas en Biélorussie des 19 catholiques et protestants, dont deux jeunes filles Feodora Andreyevskaya, 16 ans, et Yuliya Kosheleva, 14 ans, emprisonnées du 5 au 7 juillet, après avoir présenté une pétition demandant à ce que la loi 2002 sur la liberté religieuse soit modifiée. Pourtant, dans la Constitution de Minsk, les pétitions sont tout à fait légales.

Zenit – Les années passées, le « Rapport de l’organisation Aide à l’Eglise en Détresse » ne s’occupait pas seulement du sort des catholiques mais aussi de celui des membres d’autres confessions et des nouveaux mouvements religieux. Pourquoi ?

A. Morigi – Agir autrement n’aurait pas été catholique. Ce n’est pas par souci politique ou œcuménique que nous dressons la liste des violations commises contre les membres d’autres religions, mais parce que le droit à la liberté religieuse est un droit que le Concile Vatican II, dans sa déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, reconnaît comme étant un droit qui appartient avant tout à chaque individu et ensuite à la communauté. Ceci tendant, me semble-t-il, à signifier que notre Seigneur Jésus Christ s’est incarné et qu’il est ressuscité pour chaque homme, au plan individuel. Nous trouvons en ce document une toute première reconnaissance officielle des droits de l’homme, qui ne s’assimilent ni ne se superposent à la Libertas ecclesiae. Et ceci, bien entendu, n’enlève rien au fait que le Rédempteur ait établi sur la terre une unique Eglise et que c’est en elle que « demeurent à jamais tous les éléments institués par le Christ lui-même », comme vient de le rappeler la Congrégation pour la doctrine de la Foi, « cette Eglise, constituée et organisée en ce monde comme une société, subsiste dans l’Eglise catholique ».

[Fin de la première partie]

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ZENIT Staff

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