La Turquie déchirée entre l’Etat islamique et le fondamentalisme laïc

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ROME, Mardi 3 juillet 2007 (ZENIT.org) – A l’approche de l’échéance électorale du 22 juillet, la Turquie semble osciller entre l’Etat islamique à l’iranienne ou le renforcement d’un fondamentalisme laïc sans garantie pour la sécurité des minorités.

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C’est ce qu’explique l’archevêque de Smyrne, Mgr Ruggero Franceschini, dans le dernier numéro du magazine « Oasis » (juin 2007).

« Oasis » a été créé par le cardinal Angelo Scola, patriarche de Venise. Le magazine est réalisé grâce à un comité scientifique international, qui s’intéresse essentiellement aux pays musulmans et dont l’objectif est de soutenir les minorités chrétiennes dans ces pays, en restant ouvert au dialogue avec l’islam.

L’archevêque de Smyrne dénonce les foyers de violence présents dans la société turque et affirme que derrière ces actes de violence et l’assassinat de chrétiens en Turquie, se cache « une culture d’exaltation de la race, et une fausse conception de la laïcité ».

« S’ils étaient vraiment ‘laïcs’, ils devraient respecter dans les écoles tous les croyants, quelle que soit leur religion. En revanche, nous sommes confrontés à de longues années d’enseignement scolaire qui n’exalte que la valeur de la Turquie, non pas sa valeur historique ou celle de ses paysages mais la valeur des conquêtes militaires et de la doctrine coranique, obligatoire dans toutes les écoles, très souvent enseignée par des personnes non préparées », souligne-t-il.

« Les enseignants s’évertuent surtout à nier la réalité du christianisme, ou à en diminuer sa valeur », traitant l’Evangile comme « un récit inventé », affirme Mgr Franceschini.

Il déplore à ce propos que « les médias, en Europe, soient si peu informés de ce fond d’endoctrinement, ‘prolongé dans le temps’, de haine, de violence, d’opposition, qui peut exploser à tout moment, puisqu’il n’existe aucune règle commune, pas même dans le droit civil et pénal ».

De plus, ajoute l’évêque de Smyrne, « il n’est pas vrai qu’il n’y a qu’1% de races et de religions différentes ».

« Beaucoup cachent leur appartenance religieuse ou leur appartenance ethnique, et acceptent de voir porter sur leur carte d’identité la mention : citoyen ‘turc-musulman’ ». « Seuls les plus courageux ne cachent pas leur identité » affirme-t-il.

« Nous pouvons donc dire que le pourcentage de ceux qui, en Turquie, ne sont ni musulmans sunnites, ni turcs, dépasse les 1% », précise-t-il.

La République turque, dont Mustafà Kemal Atatürk fut le fondateur et le premier président (de 1923 à 1938), compte 72 millions d’habitants dont 99% de musulmans, à majorité sunnite (75%) ; 25% sont alévis (une frange des chiites). En revanche, les catholiques sont environ 30.000 et représentent 0,04% de la population.

« Enfin, explique Mgr Franceschini, on pourrait en partie admettre que les violents et les fondamentalistes ne sont qu’une minorité, mais il ne faut pas oublier que ces minorités sont les instruments d’une multitude beaucoup plus large ».

Mgr Franceschini n’est pas convaincu que l’éventuelle entrée de la Turquie dans l’Union européenne servirait à garantir une meilleure protection des minorités, et des chrétiens en particulier.

« Si les règles d’entrée de la Turquie en Europe ne sont pas minutieusement respectées, l’Europe elle-même subira des dommages très graves sur le plan de la cohabitation et du respect religieux mutuel », a-t-il déclaré.

Une république pour les laïcs uniquement

Mustafa Akyol, musulman, éditorialiste au Turkish Daily News, souligne quant à lui le risque que la laïcité tant préconisée par l’Etat turc dérape vers un fondamentalisme laïciste.

Le journaliste estime en effet que « la séduisante laïcité de la Turquie, une version beaucoup plus radicale que celle du système français », montre comment le fondamentalisme laïc peut devenir une menace pour la démocratie, pour la liberté et pour la sécurité, de la même manière que le fondamentalisme musulman.

« Le modèle américain de la laïcité garantit la liberté religieuse de chacun, alors que le modèle turc garantit le droit de l’Etat de dominer la religion et d’en supprimer la pratique avec les moyens qu’il estime nécessaire », relève-t-il.

Le journaliste explique qu’il s’agit d’un « culte de l’Etat comme une fin en soi, une entité pour laquelle toutes les autres valeurs peuvent et doivent être sacrifiées. Sans compter cette hostilité que l’élite laïciste turque ressent pour la religion en général ».

De là l’idée que « le pouvoir politique doit rester entre les mains de l’élite laïciste. Il ne s’agit donc plus d’une ‘république laïque’ mais d’une ‘république des laïcs’ qui n’est pas celle de tous les citoyens ».

Dernièrement, a-t-il expliqué, « les partis islamiques rencontrent davantage de consensus », notamment « le parti de la Justice et du Développement, un dérivé libéral de ces partis, connu sous ses initiales AKP, qui est arrivé au pouvoir en 2002, refusant son propre passé islamiste et se définissant un parti ‘conservateur’ ».

Mais les musulmans du parti AKP cherchent davantage à « libéraliser » leur pays qu’à islamiser l’Etat. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui en Turquie le parti AK soutient l’effort pour permettre l’entrée du pays dans l’Union européenne, dans un système démocratique, du libre échange et de la liberté individuelle.

C’est aussi la raison qui a poussé leurs détracteurs politiques à embrasser une « idéologie anti-occidentale, anti-religieuse et anti-libérale ».

Entre démocratie et dogmes de l’Etat

Enfin, Boghos Levon Zekiyan, professeur de langue et littérature arménienne à Venise, apporte son éclairage sur les origines de la démocratie et de la laïcité « à la turque ». Il explique que, sous le règne d’Atatürk, la fondation de la République, « n’a fait qu’accentuer […] cette conscience de l’identité islamique, et ce sens de détachement par rapport aux autres peuples musulmans ».

En ce qui concerne le concept de laïcité kémaliste, « dans les dispositions légales, celui-ci avait davantage l’aspect d’un laïcisme exaspéré que d’une séparation équilibrée entre sphère religieuse et sphère politique ».

« On sait d’ailleurs […] que le fondateur de la république n’avait aucune sympathie pour l’islam. C’est pourtant aux années de sa présidence que remontent, avant d’être renforcées ensuite par ses successeurs, toutes les mesures visant à priver les non-musulmans (gayrimüslim) de l’accès aux fonctions administratives de l’Etat, ce qui n’était pas le cas sous l’Empire ottoman », a-t-il déclaré.

Dans son analyse, Boghos Levon Zekiyan souligne un autre aspect critique relatif au concept même de démocratie. La preuve en est, selon lui, que « ni du vivant de Mustafa Kemal, ni sous son successeur (Ismet Inönü) il n’y eut de démocratie institutionnelle en Turquie ».

« Les institutions démocratiques furent un effet de l’entrée de la Turquie dans le système de la défense atlantique, après la seconde guerre mondiale. Mais ce qui constitue l’âme et l’esprit de ces institutions ne pénétra pas dans les structures profondes du système politique du pays ».

Boghos Levon Zekiyan explique que ces vingt dernières années en revanche « le processus de démocratisation a commencé timidement à se mettre en place », « sous la présidence de Turgut Özal puis sous la poussée des ‘paquets’ de réformes européennes ».

Mais au cours des dernières décennies, c’est surtout avec l’arrivée au pouvoir du parti de la Justice et du Développement, que l’on commence peut-être à entrevoir quelque changement, conclut-il.

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ZENIT Staff

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