ROME, Vendredi 30 mars 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile de ce dimanche proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Un regard d’historiens sur la Passion du Christ
Le dimanche des Rameaux, nous écoutons dans sa totalité le récit de la passion selon saint Luc. C’est pour répondre à la question cruciale que nous nous posons, que les Evangiles ont été écrits : pourquoi un tel homme a-t-il fini sur la croix ? Quelle est la raison et qui sont les responsables de la mort de Jésus ?
Selon une théorie qui a commencé à circuler suite à la tragédie de la Shoah des juifs, la responsabilité de la mort du Christ est attribuée principalement, peut-être même exclusivement à Pilate et aux autorités romaines, ce qui indique que sa motivation est davantage d’ordre politique que religieux. Les évangiles ont disculpé Pilate et accusé les chefs juifs pour calmer les autorités romaines sur leur compte et en faire des amies.
Cette thèse est née d’une préoccupation juste que tous partagent aujourd’hui : supprimer à la racine tout prétexte à l’antisémitisme qui a fait tant de mal au peuple juif de la part des chrétiens. Mais le plus grand tort que l’on puisse faire à une cause juste est de la défendre avec des arguments erronés. Il faut donner un fondement plus solide à la lutte contre l’antisémitisme qu’une interprétation discutable (et discutée) des récits de la Passion.
L’absence de responsabilité du peuple juif en tant que tel dans la mort du Christ repose sur une certitude biblique que les chrétiens ont en commun avec les juifs, mais qui a été étrangement oubliée pendant de nombreux siècles : « Celui qui a péché, c’est lui qui mourra ! Un fils ne portera pas la faute de son père ni un père la faute de son fils » (Ez 18, 20). La doctrine de l’Eglise ne connaît qu’un seul péché qui se transmet de façon héréditaire de père en fils, le péché originel, aucun autre.
Après avoir clairement établi le refus de l’antisémitisme, je voudrais expliquer pourquoi on ne peut accepter la thèse de l’absence totale de responsabilité des autorités juives dans la mort du Christ et donc du caractère essentiellement politique de celle-ci. Dans la plus ancienne de ses lettres, écrite autour de l’an 50, Paul donne la même version fondamentale de la condamnation du Christ que les évangiles. Il dit que les juifs ont mis à mort Jésus le Seigneur (cf. 1 Th 2, 15), et il devait être mieux informé que nous aujourd’hui sur les faits survenus à Jérusalem peu de temps auparavant, ayant lui-même à une époque, approuvé et défendu « avec acharnement » la condamnation du Nazaréen.
On ne peut lire les récits de la Passion en ignorant tout ce qui les précède. Les quatre évangiles attestent, on peut le dire à toutes les pages, une opposition religieuse croissante entre Jésus et un groupe influent de juifs (pharisiens, docteurs de la loi, scribes) sur l’observance du sabbat, sur l’attitude envers les pécheurs et les publicains, sur le pur et l’impur.
Une fois que l’on a démontré l’existence de cette opposition, comment peut-on penser que celle-ci n’ait joué aucun rôle au moment du règlement de compte final et que les autorités juives aient décidé de dénoncer Jésus à Pilate uniquement par peur d’une intervention armée des Romains, presque à contrecoeur ?
Pilate n’était pas une personne sensible à des raisons de justice au point de se préoccuper du sort d’un juif inconnu ; c’était une personne dure et cruelle, prête à réprimer dans le sang le moindre signe de révolte. Tout cela est véridique. Cependant, il ne tente pas de sauver Jésus par compassion envers la victime mais uniquement par entêtement contre ses accusateurs avec lesquels il était secrètement en guerre depuis son arrivée en Judée. Cela n’atténue bien sûr en rien la responsabilité de Pilate dans la condamnation du Christ qui retombe autant sur lui que sur les chefs juifs.
Au-delà de tout, il ne sert à rien de vouloir être « plus juif que les juifs ». Les nouvelles sur la mort de Jésus présentes dans le Talmud et dans d’autres sources juives (même si elles sont tardives et se contredisent sur le plan historique) font ressortir le fait que la tradition juive n’a jamais nié une participation des autorités religieuses de l’époque à la condamnation du Christ. Elle ne s’est pas défendue en niant le fait mais tout au plus en niant que le fait, du point de vue des juifs, puisse constituer un délit et que sa condamnation ait été une condamnation injuste.
Après toutes les recherches et alternatives proposées, à la question : « Pourquoi Jésus fut-il condamné à mort ? », il faut par conséquent encore donner la réponse que donnent les évangiles. Il a été condamné pour un motif essentiellement religieux, qui fut cependant habilement formulé en termes politiques pour mieux convaincre le procureur romain. Le titre de Messie sur lequel était basée l’accusation du Sanhédrin dans le procès devant Pilate devient « Roi des juifs » et ce sera le titre de condamnation qui sera accroché à la croix : « Jésus de Nazareth Roi des juifs ». Jésus avait lutté toute sa vie pour éviter cette confusion mais à la fin c’est précisément cette confusion qui décidera de son sort.
La question reste ainsi ouverte sur l’utilisation que l’on fait des récits de la Passion. Dans le passé ils ont souvent été utilisés de manière impropre (par exemple dans certaines représentations théâtrales de la Passion), avec des interprétations antisémites forcées. Ceci est aujourd’hui fermement condamné par tout le monde même s’il reste peut-être encore quelque chose à faire pour supprimer de la célébration chrétienne de la Passion tout ce qui peut offenser la sensibilité de nos frères juifs. Jésus fut et reste, malgré tout, le plus grand don que le judaïsme ait fait au monde. Un don qu’il a entre autre payé cher…
La conclusion que nous pouvons tirer des considérations historiques que nous venons de faire est donc que le pouvoir religieux et le pouvoir politique, les chefs du sanhédrin et le procureur romain, participent ensemble, pour des raisons diverses, à la condamnation du Christ. Il faut ajouter immédiatement que l’histoire ne dit pas tout, ni même l’essentiel sur ce point. Sur le plan de la foi, c’est nous tous qui avons, par nos péchés, mis Jésus à mort.
Laissons maintenant de côté les questions historiques et consacrons quelques instants à Le contempler. Comment se comporte Jésus lors de la Passion ? Dignité surhumaine, patience infinie. Pas un seul geste, une seule parole, qui démente ce qu’il avait prêché dans son évangile, spécialement dans les Béatitudes. Il meurt en demandant le pardon pour ceux qui l’ont crucifié.
Et pourtant, il n’y a rien en lui qui ressemble au mépris orgueilleux de la souffrance du stoïque. Sa réaction à la souffrance et à la cruauté est profondément humaine : il tremble et sue du sang à Gethsémani, il voudrait que le calice passe loin de lui, il cherche le soutien de ses disciples, il crie sa désolation sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
Dans la passion, il y a surtout un trait de cette grandeur surhumaine du Christ qui me fascine : son silence. « Mais Jésus se taisait » (Mt 26, 63). Il se tait devant Caïphe, il se tait devant Pilate que son silence agace, il se tait devant Hérode qui espérait le voir faire un miracle (cf. Lc 23, 8). « Insulté il ne rendait pas l’insulte, souffrant il ne menaçait pas » dit de Lui la première Lettre de Pierre (2, 23).
Il ne rompt le silence qu’un instant avant sa mort, par ce « grand cri » qu’il pousse en expirant sur la croix et qui arr
ache au centurion romain la confession : « Vraiment, celui-ci était fils de Dieu ».