ROME, Mercredi 28 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous un article du cardinal Claudio Hummes, préfet de la Congrégation pour le Clergé sur « l’importance du célibat sacerdotal » publié dans L’Osservatore Romano en langue française du 6 mars 2007, à l’occasion du 40ème anniversaire de l’encyclique de Paul VI « Sacerdotalis Caelibatus ».
Cláudio Card. HUMMES
Préfet de la Congrégation pour le Clergé
A l’approche du XLe anniversaire de la publication de l’Encyclique «Sacerdotalis caelibatus», de Sa Sainteté Paul VI, la Congrégation pour le Clergé a considéré opportun de rappeler l’enseignement magistériel de cet important document pontifical.
Le célibat sacerdotal est véritablement un don précieux du Christ à son Eglise, un don qu’il faut toujours méditer et renforcer à nouveau, en particulier dans le monde d’aujourd’hui, profondément sécularisé.
En effet, les chercheurs indiquent que les origines du célibat sacerdotal nous ramènent aux temps apostoliques. Ignace de la Potterie écrit: «Les chercheurs s’accordent généralement pour dire que l’obligation du célibat ou du moins de la continence est devenu une loi canonique depuis le IVe siècle […]. Mais il est important d’observer que les législateurs des IVe et Ve siècles affirmaient que cette disposition canonique était fondée sur une tradition apostolique. Le Concile de Carthage (en 390) disait par exemple: “Il faut que ceux qui sont au service des mystères divins soient parfaitement continents (continentes esse in omnibus) afin que ce qu’ont enseigné les apôtres et a maintenu l’antiquité elle-même, nous l’observions nous aussi”» (1). Dans le même sens, A. M. Stickler parle d’arguments bibliques en faveur du célibat d’inspiration apostolique (2).
Le développement historique
Le Magistère solennel de l’Eglise répète de façon ininterrompue les dispositions sur le célibat ecclésiastique. Le Synode d’Elvira (300-303?) prescrit au canon 27: «Un Evêque, comme tout autre clerc, ne doit avoir auprès de lui qu’une sœur ou une vierge consacrée; il a été établi qu’il ne doit absolument pas avoir auprès de lui une étrangère»; et au canon 33: «Il a été décidé de façon générale l’interdiction suivante aux Evêques, aux prêtres et aux diacres, ainsi qu’à tous les clercs qui exercent un ministère: qu’ils s’abstiennent de leur épouse et n’engendrent pas d’enfants; ceux qui l’auront fait devront être éloignés de l’état clérical» (3).
Le Pape Sirice (384-399), dans la lettre à l’Evêque Imerius de Tarragone, en date du 10 février 385, affirmait: «Le Seigneur Jésus […] voulait que de la figure de l’Eglise, dont il est l’époux, émane la splendeur de la chasteté […] nous tous prêtres sommes liés en vertu de la loi indissoluble de ces dispositions […] afin qu’à partir du jour de notre ordination, nous confions tant nos cœurs que nos corps à la sobriété et à la pudeur, pour plaire au Seigneur notre Dieu dans les sacrifices que nous offrons chaque jour» (4).
Dans le premier Concile œcuménique du Latran de 1123, au canon 3, nous lisons: «Nous interdisons de la façon la plus absolue aux prêtres, aux diacres et aux sous-diacres, de vivre avec leur concubine ou épouse et d’habiter avec des femmes autres que celles avec lesquelles le Concile de Nicée (325) a permis de vivre» (5). De même, dans la XXIVe session du Concile de Trente, au canon 9, est rappelée l’impossibilité absolue de contracter un mariage pour les clercs constitués dans les Ordres sacrés ou les religieux qui ont fait le vœu solennel de chasteté; et avec elle, la nullité du mariage lui-même, unie au devoir de demander à Dieu le don de la chasteté dans une juste intention (6). A une époque plus récente, le Concile œcuménique Vatican II a répété dans la déclaration Presbyterorum ordinis (7) le lien étroit entre célibat et Royaume de Dieu, voyant dans le premier un signe qui annonce de façon radieuse le second, un début de vie nouvelle, au service duquel le ministre de l’Eglise est consacré.
Avec l’Encyclique du 24 juin 1967, Paul VI maintint une promesse faite aux Pères conciliaires deux ans auparavant. Il examine les objections soulevées relatives à la discipline du célibat et, plaçant l’accent sur ses fondements christologiques et faisant référence à l’histoire et à ce que les documents des premiers siècles nous enseignent à propos des origines du célibat-continence, en confirme pleinement la valeur.
Le Synode des Evêques de 1971, tant dans le document pré-synodal Ministerium presbyterorum (15 février) que dans le document final Ultimis temporibus (30 novembre), affirme la nécessité de conserver le célibat dans l’Eglise latine, en expliquant son fondement, la convergence de ses motifs et les conditions qui le favorisent (8).
La nouvelle codification de l’Eglise latine de 1983 réitère la tradition de toujours: «Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la continence parfaite et perpétuelle à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes (9).
C’est dans la même ligne que se place le Synode de 1990, dont découle l’exhortation apostolique du Serviteur de Dieu le Pape Jean-Paul II Pastores dabo vobis, dans laquelle le Souverain Pontife présente le célibat comme une exigence de radicalisme évangélique, qui favorise de façon particulière le style de vie sponsale et qui jaillit de la configuration du prêtre à Jésus Christ, à travers le sacrement de l’Ordre (10).
Le Catéchisme de l’Eglise catholique, publié en 1992 et qui recueille les premiers fruits du grand événement du Concile œcuménique Vatican II, répète la même doctrine: «Tous les ministres ordonnés de l’Eglise latine, à l’exception des diacres permanents, sont normalement choisis parmi les hommes croyants qui vivent en célibataires et qui ont la volonté de garder le célibat en vue du Royaume des Cieux» (11).
Dans le très récent Synode sur l’Eucharistie lui-même, selon la publication provisoire, officieuse et non officielle de ses propositions finales, autorisée par le Pape Benoît XVI, dans la proposition n. 11, en ce qui concerne le manque de clergé dans certaines parties du monde et sur la «faim eucharistique» du peuple de Dieu, on reconnaît «l’importance du don inestimable du célibat ecclésiastique dans la pratique de l’Eglise latine». Avec une référence au Magistère, en particulier au Concile œcuménique Vatican II et aux derniers Souverains Pontifes, les pères ont demandé d’illustrer de façon adéquate les raisons du rapport entre célibat et ordination sacerdotale, dans le plein respect de la tradition des Eglises orientales. Certains ont fait référence à la question des viri probati, mais cette hypothèse a été considérée comme une voie à ne pas parcourir.
Récemment, le 16 novembre dernier, le Pape Benoît XVI a présidé dans le Palais apostolique l’une des réunions régulières des chefs de dicastères de la Curie romaine. A cette occasion, a été réaffirmé la valeur du choix du célibat des prêtres, conformément à la tradition catholique ininterrompue, et a été répétée l’exigence d’une solide formation humaine et chrétienne, tant pour les séminaristes que pour les prêtres déjà ordonnés.
Les raisons du célibat sacré
Dans l’Encyclique «Sacerdotalis caelibatus», Paul VI présente tout d’abord la situation dans laquelle se trouvait à cette époque la question du célibat des prêtres, tant du point de vue de sa
reconnaissance que des objections à son égard. Ses premières paroles sont déterminantes et encore d’actualité: «Le célibat sacré, que l’Eglise garde depuis des siècles comme un joyau splendide, conserve toute sa valeur également à notre époque caractérisée par une transformation profonde des mentalités et des structures» (12). Paul VI révèle combien lui-même a médité, en s’interrogeant sur ce thème, pour pouvoir répondre aux objections, et il conclut: «Nous estimons donc que la loi du célibat actuellement en vigueur doit, encore de nos jours et fermement, être liée au ministère ecclésiastique; elle doit soutenir le ministre de l’Eglise dans son choix exclusif, définitif et total de l’amour unique et souverain du Christ, du dévouement au culte de Dieu et au service de l’Eglise, et elle doit qualifier son état de vie aussi bien dans la communauté des fidèles que dans la société profane» (13).
«Certes», ajoute le Pape, «comme l’a déclaré le second Concile du Vatican, la virginité n’est pas exigée par la nature même du sacerdoce, ainsi que le montrent la pratique de l’Eglise primitive et la tradition des Eglises d’Orient (Presb. ord., 16), mais le même saint Concile n’a pas hésité à confirmer solennellement la loi ancienne, sainte et providentielle du célibat sacerdotal, telle qu’elle existe actuellement, non sans exposer les motifs qui la justifient aux yeux de quiconque sait apprécier les dons divins en esprit de foi et avec la flamme intérieure de la générosité» (14).
C’est vrai. Le célibat est un don que le Christ offre aux appelés au sacerdoce. Ce don doit être accueilli avec amour, joie et gratitude. Ainsi, il sera une source de bonheur et de sainteté.
Les raison du célibat sacré, présentées par Paul VI, sont au nombre de trois: sa signification christologique, sa signification ecclésiologique, sa signification eschatologique.
Commençons par la signification christologique. Le Christ est nouveauté. Il réalise une nouvelle création. Son sacerdoce est nouveau. Il renouvelle toutes les choses. Jésus, Fils unique du Père, envoyé dans le monde, «s’est fait homme pour que l’humanité, sujette au péché et à la mort, soit régénérée et, par une nouvelle naissance, entre dans le Royaume des cieux. S’étant consacré tout entier à la volonté de son Père, Jésus accomplit par son ministère pascal cette création nouvelle, introduisant dans le temps et dans le monde une forme nouvelle, sublime, divine, de vie qui transforme la condition terrestre elle-même de l’humanité» (15).
Le mariage naturel lui-même, béni par Dieu dès sa création, mais blessé par le péché, fut renouvelé par le Christ qui «l’a élevé à la dignité de sacrement et de signe mystérieux de sa propre union avec l’Eglise» […]. Mais le Christ, Médiateur d’une Alliance plus haute (cf. He 8, 6), a ouvert un autre chemin où la créature humaine, s’attachant totalement et directement au Seigneur, exclusivement préoccupée de Lui et de ce qui Le concerne, manifeste de façon plus claire et plus complète la réalité profondément novatrice de la Nouvelle Alliance» (16).
Cette nouveauté, ce nouveau chemin est la vie dans la virginité, que Jésus Lui-même a vécue, en harmonie avec sa nature de médiateur entre le ciel et la terre, entre le Père et le genre humain. «En pleine harmonie avec cette mission, le Christ est resté durant toute sa vie dans l’état de virginité, qui signifie son dévouement total au service de Dieu et des hommes» (17). Service de Dieu et des hommes signifie amour total et sans réserves, qui a marqué la vie de Jésus parmi nous. Virginité par amour du Royaume de Dieu!
A présent, le Christ, appelant ses prêtres à être ministres du salut, c’est-à-dire de la nouvelle création, les appelle à être et à vivre en nouveauté de vie, unis et semblables à Lui dans la forme la plus parfaite possible. C’est de cela que découle le don du célibat sacré, comme configuration plus complète avec le Seigneur Jésus et prophétie de la nouvelle création. Il a appelé ses apôtres «amis». Il les a appelés à Le suivre de très près, en tout, jusqu’à la Croix. Et la Croix les conduira à la résurrection, à la nouvelle création accomplie. C’est pourquoi, nous savons que le suivre avec fidélité dans la virginité, qui inclut un sacrifice, nous conduira au bonheur. Dieu n’appelle personne au malheur, mais au bonheur. Toutefois, le bonheur va toujours de pair avec la fidélité. C’est ce qu’a dit le regretté Jean-Paul II aux époux réunis autour de Lui lors de la IIe Rencontre mondiale des Familles, à Rio de Janeiro.
C’est ainsi que ressort le thème de la signification eschatologique du célibat, en tant que signe et prophétie de la nouvelle création, c’est-à-dire du Royaume définitif de Dieu dans la Parousie, lorsque tous, nous ressusciterons de la mort.
«L’Eglise [..] forme de ce royaume le germe et le commencement sur la terre», comme nous l’enseigne le Concile Vatican II (18). De ces «derniers temps», la virginité, vécue par amour du Royaume de Dieu, constitue un signe particulier, car le Seigneur a annoncé qu’«à la résurrection, […] on ne prend ni épouse ni époux, mais l’on est comme des anges de Dieu au ciel» (19).
Dans un monde comme le nôtre, monde de spectacle et de plaisirs faciles, profondément fasciné par les choses terrestres, en particulier par le progrès des sciences et des technologies — rappelons les sciences biologiques et les biotechnologies — l’annonce d’un au-delà, c’est-à-dire d’un monde futur, d’une parousie, comme avènement définitif d’une nouvelle création, est déterminant et, dans le même temps, libère des ambiguïtés des apories, des vacarmes, des souffrances et des contradictions, au profit des biens véritables et des nouvelles et profondes connaissances que le progrès humain actuel porte avec lui.
Enfin, la signification ecclésiologique du célibat nous conduit plus directement à l’activité pastorale du prêtre.
L’Encyclique affirme: «La virginité consacrée des ministres sacrés manifeste en effet l’amour virginal du Christ pour l’Eglise et la fécondité virginale et surnaturelle de cette union» (20). Semblable au Christ et dans le Christ, le prêtre épouse de façon mystique l’Eglise, aime l’Eglise d’un amour exclusif. Ainsi, se consacrant totalement aux choses du Christ et de son Corps mystique, le prêtre jouit d’une ample liberté spirituelle pour se placer au service aimant et total de tous les hommes, sans distinction.
«Ainsi en va-t-il du prêtre: en mourant quotidiennement à lui-même, en renonçant, par amour du Seigneur et de son règne, à l’amour légitime d’une famille qui ne soit qu’à lui, il trouvera la gloire d’une vie pleine et féconde dans le Christ, puisque, comme Lui et en Lui, il aime tous les enfants de Dieu et se donne à eux» (21).
L’Encyclique ajoute également que le célibat fait croître l’aptitude du prêtre à écouter la Parole de Dieu et à prier, de même qu’il lui permet de déposer sur l’autel toute sa vie marquée des signes du sacrifice (22).
La valeur de la chasteté et du célibat
Avant d’être une disposition canonique, le célibat est un don de Dieu à son Eglise, c’est une question liée au dévouement total au Seigneur. Même dans la distinction entre la discipline du célibat des séculiers et l’expérience religieuse de la consécration et de l’émission des vœux, il ne fait aucun doute qu’il n’existe pas d’autre interprétation et justification du célibat ecclésiastique en dehors du dévouement total au Seigneur, dans un rapport qui soit, également du point vue vue affectif, exclusif; cela présuppose un profond rapport personnel et communautaire avec le Christ, qui transforme le cœur de ses disciples.
Le choix du célibat de l’Eglise catholique de rite latin s’est développé, depuis les temps apostoliques, précisément dans la ligne de la relation du prê
tre avec son Seigneur, ayant comme grande icône le «M’aimes-tu plus que ceux-ci?» (23) que Jésus ressuscité adressa à Pierre.
Les raisons christologiques, ecclésiologiques et eschatologiques du célibat, toutes enracinées dans la communion particulière avec le Christ à laquelle le prêtre est appelé, peuvent donc être déclinées de diverses façons selon ce qui est affirmé avec autorité par Sacerdotalis caelibatus.
Avant tout, le célibat est «signe et stimulant de la charité pastorale» (24). Celle-ci représente le critère suprême pour juger de la vie chrétienne sous tous ses aspects; le célibat est une voie de l’amour, même si Jésus lui-même, comme le rapporte l’Evangile selon Matthieu, affirme que tous ne peuvent pas comprendre cette réalité: «Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c’est donné» (25).
Une telle charité se décline dans le double aspect classique d’amour envers Dieu et envers les frères: «En gardant la virginité ou le célibat pour le Royaume des cieux, les prêtres se consacrent au Christ d’une manière nouvelle et privilégiée, il leur est plus facile de s’attacher à lui sans que leur cœur soit partagé» (26). Saint Paul, dans le passage que l’on évoque ici, présente le célibat et la virginité comme «moyens de plaire au Seigneur» sans partage (27): en d’autres termes, une «voie de l’amour» qui présuppose assurément une vocation particulière, et en ce sens c’est un charisme, et qui est en soi excellente, tant pour le chrétien que pour le prêtre.
L’amour radical à l’égard de Dieu devient à travers la charité pastorale amour à l’égard des frères. Dans Presbyterorum ordinis, nous lisons que les prêtres «sont plus libres pour se consacrer, en lui et par lui, au service de Dieu et des hommes, plus disponibles pour servir son royaume et l’œuvre de la régénération surnaturelle, plus capables d’accueillir largement la paternité dans le Christ» (28). L’expérience commune confirme qu’il est plus simple d’ouvrir le cœur à ses frères pleinement et sans réserves pour ceux qui ne sont pas liés par d’autres liens affectifs, aussi légitimes et saints soient-ils, en dehors de celui à l’égard du Christ.
Le célibat est l’exemple que le Christ lui-même nous a laissé. Il a voulu être célibataire. L’Encyclique explique encore: «Le Christ est resté toute sa vie dans l’état de virginité, qui signifie son dévouement total au service de Dieu et des hommes. Ce lien profond qui, dans le Christ, unit la virginité et le sacerdoce, se reflète en ceux à qui il échoit de de participer à la dignité de la mission du Médiateur et Prêtre éternel, et cette participation sera d’autant plus parfaite que le ministre sacré sera affranchi de tout lien de la chair et du sang» (29).
L’existence historique de Jésus Christ est le signe le plus évident que la chasteté assumée de façon volontaire par Dieu est une vocation solidement fondée tant sur le plan chrétien que sur celui de la raison humaine.
Si la vie chrétienne commune ne peut se déclarer légitimement telle si elle exclut la dimension de la Croix, l’existence sacerdotale serait d’autant plus incompréhensible si elle était privée de l’optique du Crucifié. La souffrance, et parfois les difficultés et même l’échec, ont leur place dans l’existence d’un prêtre, même si, en dernière analyse, elle n’est pas déterminée par ceux-ci. En choisissant de suivre le Christ dès le premier instant, l’on s’engage à aller avec Lui au Calvaire, conscient que l’acceptation de sa propre croix est l’élément qui qualifie la radicalité de la sequela.
Enfin, comme on l’a dit, le célibat est un signe eschatologique. Dans l’Eglise est présent dès maintenant le Royaume futur: non seulement celle-ci l’annonce, mais elle le réalise de façon sacramentelle en contribuant à la «création nouvelle» jusqu’à ce que Sa gloire se manifeste pleinement.
Tandis que le sacrement du mariage enracine l’Eglise dans le présent, la plongeant totalement dans l’ordre terrestre qui devient ainsi lui-même lieu de sanctification possible, la virginité renvoie immédiatement à l’avenir, à la perfection intégrale de la création qui ne sera réalisée pleinement qu’à la fin des temps.
Les moyens d’être fidèles au célibat
La sagesse bimillénaire de l’Eglise, experte en humanité, a constamment identifié dans le temps certains éléments fondamentaux et indispensables pour favoriser la fidélité de ses fils au charisme surnaturel du célibat.
Parmi ceux-ci ressort, également dans le récent Magistère, l’importance de la formation spirituelle du prêtre appelé à être «témoin de l’Absolu». Pastores dabo vobis affirme: «Se former au sacerdoce signifie s’entraîner à donner une réponse personnelle à la question fondamentale du Christ: “M’aimes-tu?”. La réponse, pour le futur prêtre, ne peut être que le don total de sa vie» (30). Dans ce sens, les années de la formation sont absolument fondamentales, tant celles éloignées, vécues en famille, que celles futures, au cours des années du Séminaire, véritable école d’amour dans laquelle, comme la communauté apostolique, les jeunes séminaristes se rassemblent autour de Jésus en attente du don de l’Esprit pour la mission. «La relation du prêtre avec Jésus Christ et, en lui, avec son Eglise s’inscrit dans l’être même du prêtre, en vertu de sa consécration ou de l’onction sacramentelle, et dans son agir, c’est-à-dire dans sa mission ou dans son ministère» (31). Le sacerdoce n’est autre qu’une «vie intimement unie à Jésus Christ» (32), dans une relation de communion intime qui est décrite «avec une nuance d’amitié» (33). La vie du prêtre est, au fond, une forme d’existence qui serait inconcevable s’il n’y avait pas le Christ. C’est précisément en cela que consiste la force de son témoignage: la virginité pour le Royaume de Dieu est une donnée réelle, elle existe car le Christ existe et la rend possible.
L’amour pour le Seigneur est authentique lorsqu’il tend à être total: aimer le Christ signifie avoir une connaissance profonde de Lui, fréquenter Sa personne, partager et assimiler Sa pensée et, enfin, accueillir sans réserves les exigences radicales de l’Evangile. On ne peut être témoins de Dieu que si l’on fait une expérience profonde du Christ; de la relation avec le Seigneur dépend l’existence sacerdotale tout entière, la qualité de son expérience de martyria, de son témoignage.
Le témoin de l’Absolu est uniquement celui qui a véritablement Jésus comme ami et Seigneur, celui qui jouit de Sa communion. Le Christ n’est pas seulement objet de réflexion, de thèses théologiques ou mémoire historique; Il est le Seigneur présent, il est vivant car ressuscité et nous ne sommes vivants que dans la mesure où nous participons toujours plus profondément à Sa vie. C’est sur cette foi explicite que se fonde l’existence sacerdotale tout entière. C’est pourquoi l’Encyclique affirme: «Le prêtre doit s’appliquer avant tout à développer avec tout l’amour que la grâce lui inspire son intimité avec le Christ, s’efforçant d’en explorer l’inépuisable et béatifiant mystère; il doit acquérir un sens toujours plus profond du mystère de l’Eglise, en dehors duquel son état de vie risquerait de lui apparaître déraisonnable et sans fondement» (34).
Outre la formation et l’amour du Christ, l’élément essentiel pour préserver le célibat est la passion pour le Royaume de Dieu, qui signifie la capacité de travailler avec zèle et sans ménager ses efforts afin que le Christ soit connu, aimé et suivi. Comme le paysan qui, ayant trouvé la perle précieuse, vend tout pour acheter le champ, ainsi, celui qui trouve le Christ et consacre toute son existence avec Lui et pour Lui, ne peut s’empêcher de vivre en œuvrant afin que les autres puissent Le rencontrer.
Sans cette perspective claire, tout «sursaut missionnaire» est voué à l’échec
, les méthodologies se transforment en techniques de conservation d’un système, et les prières elles-même pourraient devenir des techniques de méditation et de contact avec le sacré dans lesquelles se dissolvent tant le moi humain que le Toi de Dieu.
Une occupation fondamentale et nécessaire du prêtre, comme exigence et comme devoir, est la prière qui, en fait, est irremplaçable dans la vie chrétienne et, par conséquent, dans la vie sacerdotale. Il faut y réserver une attention particulière: la célébration eucharistique, l’Office divin, la confession fréquente, le rapport affectueux avec la Très Sainte Vierge Marie, les Exercices spirituels, la récitation quotidienne du Rosaire, constituent quelques-uns des signes spirituels d’un amour qui, s’il était absent, risquerait inexorablement d’être remplacé par les succédanés, souvent néfastes, de l’image, de la carrière, de l’argent, de la sexualité.
Le prêtre est homme de Dieu car il est appelé par Dieu à l’être et il vit cette identité personnelle dans l’appartenance exclusive à son Seigneur, qui s’exprime également dans le choix du célibat. C’est un homme de Dieu parce qu’il vit de Lui, il Lui parle, il discerne et décide avec Lui, dans une obéissance filiale, les étapes de son existence chrétienne. Plus les prêtres seront radicalement des hommes de Dieu, à travers une existence entièrement centrée sur Dieu, comme l’a souligné le Saint-Père Benoît XVI dans les vœux de Noël à la Curie Romaine le 22 décembre dernier, plus leur témoignage sera efficace et fécond et leur ministère riche de fruits de conversion. Il n’existe pas d’opposition entre la fidélité à Dieu et la fidélité à l’homme mais, au contraire, la première est la condition qui permet la seconde.
Conclusion: une vocation sainte
Pastores dabo vobis, en parlant de la vocation du prêtre à la sainteté, après avoir souligné l’importance du rapport personnel avec le Christ, exprime une autre exigence: le prêtre, appelé à la mission de l’annonce, se voit confier la Bonne Nouvelle pour en faire don à tous. Toutefois, il est appelé à accueillir l’Evangile avant tout comme don offert à son existence, à sa personne et comme événement salvifique qui l’engage à une vie sainte.
Dans cette perspective, Jean-Paul II a parlé du radicalisme évangélique qui doit caractériser la sainteté du prêtre; il est donc possible d’indiquer dans les conseils évangéliques traditionnellement proposés par l’Eglise et vécus dans les états de vie consacrée les itinéraires d’un radicalisme vital auquel, à sa façon, le prêtre est également appelé à être fidèle.
L’exhortation affirme: «Les différents “conseils évangéliques” que Jésus propose dans le Discours sur la montagne sont l’expression privilégiée du radicalisme évangélique. Parmi ces conseils, intimement coordonnés entre eux, se trouvent l’obéissance, la chasteté et la pauvreté. Le prêtre est appelé à les vivre selon les modalités et, plus encore, selon les finalités et le sens original qui découlent de l’identité du prêtre et l’expriment» (35).
Et encore, reprenant la dimension ontologique sur laquelle le radicalisme évangélique est fondé: «L’Esprit, en consacrant le prêtre et en le configurant à Jésus Christ, Tête et Pasteur, crée un lien dans l’être même du prêtre; ce lien doit être assumé et vécu d’une manière personnelle, c’est-à-dire consciente et libre, par une vie de communion et d’amour toujours plus riche et un partage toujours plus grand et radical des sentiments et des attitudes de Jésus Christ. Dans ce lien entre le Seigneur Jésus et le prêtre, lien ontologique et psychologique, sacramentel et moral, résident le fondement en même temps que la force nécessaire de cette “vie dans l’Esprit” et de ce “radicalisme évangélique”, auquel chaque prêtre est appelé et que favorise la formation permanente sous son aspect spirituel» (36).
Le caractère nuptial du célibat ecclésiastique, précisément en raison du rapport entre le Christ et l’Eglise que le prêtre est appelé à interpréter et à vivre, devrait en élargir l’esprit, en illuminant sa vie et en enflammant son cœur. Le célibat doit être une oblation heureuse, un besoin de vivre avec le Christ, afin qu’Il reverse chez le prêtre les effusions de sa bonté et de son amour qui sont ineffablement pleines et parfaites.
A ce propos, les paroles du Saint-Père Benoît XVI sont éclairantes: «Le véritable fondement du célibat ne peut être contenu que dans la phrase: “Dominus pars” (mea) — tu es ma terre. Il ne peut être que théocentrique. II ne peut signifier être privés d’amour, mais il doit signifier se laisser gagner par la passion pour Dieu, et apprendre ensuite, grâce à une présence plus intime à ses côtés, à servir également les hommes. Le célibat doit être un témoignage de foi: la foi en Dieu devient concrète dans cette forme de vie qui a un sens uniquement à partir de Dieu. Placer sa vie en Lui, en renonçant au mariage et à la famille signifie que j’accueille et que je fais l’expérience de Dieu comme réalité et que je peux donc l’apporter aux hommes» (37).
Notes
1)Cf. I. de la Potterie, Le fondement biblique du célibat sacerdotal, dans Solo per amore. Riflessioni sul celibato sacerdotale, Cinisello Balsamo, 1993, pp. 14-15.
2)Cf. A. M. Stickler, in Ch. Cochini, Origines apostoliques du Célibat sacerdotal, Préface, n. 6.
3)Cf. H. Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, ed., P. Hünermann, Bologne, 1995; nn. 118-119, p. 61.
4Id., op. cit., n. 185, p. 103.
5)Id., op. cit., n. 711, p. 405.
6)Id., op cit., n. 1809, p. 739.
7)Conc. Vat. II, Décr. Presbyterorum ordinis, n. 16.
8)Enchiridion du Synode des Evêques 1.1965-1988, ed. Secrétariat général du Synode des Evêques, Bologne, 2005, nn. 755-855; 1068-1114, en particulier nn. 1100-1105.
9)Codex Iuris canonici, can. 277, § 1.
10)Jean-Paul II, Exhortation apost. Pastores dabo vobis, 25 mars 1992, n. 44; cf. ORLF n. 15 du 14 avril 1992.
11)Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1579.
12)Paul VI, Lettre enc. Sacerdotalis caelibatus, n. 1; cf. ORLF n. 26 du 30 juin 1967.
13)Id., n. 14.
14)Id., n. 17.
15)Id., n. 19.
16)Id., n. 20.
17)Id., n. 21.
18)Cf. Concile Vatican II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 5.
19)Ibid.
20)Paul VI, Lett. enc. Sacerdotalis caelibatus, n. 26.
21)Id., n. 30.
22)Cf Id., nn. 27-29.
23)Jn 21, 15.
24)Paul VI, Lett. enc. Sacerdotalis caelibatus, n. 24.
25)Mt 19, 11.
26)Conc. Vat. II, Déc. Presbyterorum ordinis, n. 16.
27)Cf. 1 Co 7, 32-33.
28)Conc. Vat. II, Déc. Presbyterorum ordinis, n. 16.
29)Paul VI, Lett. enc. Sacerdotalis caelibatus, n. 21.
30)Jean-Paul II, Pastores dabo vobis, n. 42.
31)Id., n.16.
32)Id., n. 46.
33)Ibid.
34)Paul VI, Lett. enc. Sacerdotalis caelibatus, n. 75.
35)Jean-Paul II, Pastores dabo vovis, n. 27.
36)Id., n. 72.
37)Benoît XVI, Discours à la Curie romaine lors de la présentation des vœux de Noël, 22 décembre 2006; cf. ORLF n. 1 du 2 janvier 2007.