ROME, Lundi 26 mars 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a adressé samedi 24 mars aux participants au Congrès promu par la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE).
Pour célébrer le 50e anniversaire du traité fondateur de l’Union européenne, la COMECE a en effet organisé, du 23 au 25 mars 2007, en partenariat avec des mouvements et organisations catholiques, un Congrès européen sur le thème « Valeurs et perspectives pour l’Europe de demain, les 50 ans du Traité de Rome ». A l’issue de la rencontre, les participants ont adressé un « Message de Rome » à l’attention des chefs d’Etat et de gouvernements réunis au Conseil européen de Berlin le 25 mars 2007.
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Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l’épiscopat,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous recevoir en si grand nombre à cette audience, qui a lieu à la veille du cinquantième anniversaire de la signature des Traités de Rome, advenue le 25 mars 1957. Une étape importante se réalisait alors pour l’Europe, sortie exsangue du second conflit mondial et désireuse d’édifier un avenir de paix et de plus grand bien-être économique et social, sans éliminer ni nier les diverses identités nationales. Je salue Mgr Adrianus Herman van Luyn, Evêque de Rotterdam, Président de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne, et je le remercie des paroles aimables qu’il m’a adressées. Je salue les autres prélats, les éminentes personnalités, ainsi que tous ceux qui prennent part au Congrès promu ces jours-ci par la COMECE pour réfléchir sur l’Europe.
Depuis le mois de mars d’il y a cinquante ans, ce continent a parcouru un long chemin, qui a conduit à la réconciliation des deux « poumons » — l’Occident et l’Orient — liés par une histoire commune, mais séparés de façon arbitraire par un rideau d’injustice. L’intégration économique a encouragé l’intégration politique et a favorisé la recherche, encore péniblement en cours, d’une structure institutionnelle adéquate pour une Union européenne qui compte désormais 27 pays et aspire à devenir un acteur international dans le monde.
Au cours des dernières années, l’on a ressenti toujours plus l’exigence d’établir un équilibre sain entre la dimension économique et la dimension sociale, à travers des politiques capables de produire des richesses et d’accroître la compétitivité, sans toutefois négliger les attentes légitimes des pauvres et des exclus. Sous l’aspect démographique, on doit malheureusement constater que l’Europe semble avoir emprunté une voie qui pourrait la conduire à disparaître de l’histoire. Outre le fait de menacer la croissance économique, cela peut également provoquer d’immenses difficultés à la cohésion sociale, et surtout, favoriser un individualisme dangereux, qui n’est pas attentif aux conséquences pour l’avenir. On pourrait presque penser que le continent européen perd effectivement confiance dans son avenir. En outre, en ce qui concerne, par exemple, le respect de l’environnement ou l’accès réglementé aux ressources et aux investissements en matière d’énergie, la solidarité a du mal à être promue, non seulement dans le domaine international, mais également dans celui strictement national. Le processus d’unification européenne lui-même n’est pas partagé par tous, en raison de l’impression diffuse que divers « chapitres » du projet européen ont été « écrits » sans tenir suffisamment compte des attentes des citoyens.
Tout cela fait apparaître clairement que l’on ne peut pas penser édifier une authentique « maison commune » européenne en négligeant l’identité propre des peuples de notre continent. Il s’agit en effet d’une identité historique, culturelle et morale, avant même d’être géographique, économique ou politique; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles, que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle non seulement historique, mais fondateur à l’égard de l’Europe. Ces valeurs, qui constituent l’âme du continent, doivent demeurer dans l’Europe du troisième millénaire comme un « ferment » de civilisation. Si elles devaient disparaître, comment le « vieux » continent pourrait-il continuer de jouer le rôle de « levain » pour le monde entier?
Si, à l’occasion du 50e anniversaire des Traités de Rome, les gouvernements de l’Union désirent se « rapprocher » de leurs citoyens, comment pourraient-ils exclure un élément essentiel de l’identité européenne tel que le christianisme, auquel une vaste majorité d’entre eux continue de s’identifier?
N’est-il pas surprenant que l’Europe d’aujourd’hui, tandis qu’elle vise à se présenter comme une communauté de valeurs, semble toujours plus souvent contester le fait qu’il existe des valeurs universelles et absolues. Cette forme singulière d’« apostasie » d’elle-même, avant même que de Dieu, ne la pousse-t-elle pas à douter de sa propre identité ? De cette façon, on finit par répandre la conviction selon laquelle la « pondération des biens » est l’unique voie pour le discernement moral et que le bien commun est synonyme de compromis. En réalité, si le compromis peut constituer un équilibre légitime d’intérêts particuliers différents, il se transforme en mal commun chaque fois qu’il comporte des accords qui nuisent à la nature de l’homme.
Une communauté qui se construit sans respecter la dignité authentique de l’être humain, en oubliant que chaque personne est créée à l’image de Dieu, finit par n’accomplir le bien de personne. Voilà pourquoi il apparaît toujours plus indispensable que l’Europe se garde d’adopter un comportement pragmatique, aujourd’hui largement diffusé, qui justifie systématiquement le compromis sur les valeurs humaines essentielles, comme si celui-ci était l’inévitable acceptation d’un prétendu moindre mal. Ce pragmatisme, présenté comme équilibré et réaliste, au fond ne l’est pas, précisément parce qu’il nie la dimension de valeur et d’idéal qui est inhérente à la nature humaine. De plus, lorsque s’ajoutent à ce pragmatisme des tendances et des courants laïcistes et relativistes, on finit par nier aux chrétiens le droit même d’intervenir en tant que tels dans le débat public ou, tout au moins, on dévalorise leur contribution en les accusant de vouloir sauvegarder des privilèges injustifiés. A l’époque historique actuelle, et face aux nombreux défis qui la caractérisent, l’Union européenne, pour être le garant valide de l’Etat de droit et le promoteur efficace de valeurs universelles, ne peut manquer de reconnaître avec clarté l’existence certaine d’une nature humaine stable et permanente, source de droits communs à toutes les personnes, y compris celles-là mêmes qui les nient. Dans ce contexte, il faut sauvegarder le droit à l’objection de conscience, chaque fois que les droits humains fondamentaux sont violés.
Chers amis, je sais combien il est difficile pour les chrétiens de défendre inlassablement cette vérité de l’homme. Mais ne vous lassez pas et ne vous découragez pas ! Vous savez que vous avez le devoir de contribuer à édifier, avec l’aide de Dieu, une nouvelle Europe, réaliste mais non pas cynique, riche d’idéaux et libre de toute illusion ingénue, inspirée par la vérité éternelle et vivifiante de l’Evangile. Pour cela, soyez présents de façon active dans le débat public européen, conscients que celui-ci fait désormais partie intégrante du débat national, et unissez à cet engagement une action culturelle efficace. Ne vous pliez pas à la logique du pouvoir pour lui-même ! Que l’avertissement du Christ soit pour vous un encouragement et un soutien constant : si le sel vient à s’affadir, il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens (cf
. Mt 5, 13). Que le Seigneur rende fécond chacun de vos efforts et qu’il vous aide à reconnaître et à valoriser les éléments positifs présents dans la civilisation actuelle, en dénonçant toutefois avec courage tout ce qui est contraire à la dignité de l’homme.
Je suis certain que Dieu ne manquera pas de bénir l’effort généreux de tous ceux qui, dans un esprit de service, œuvrent pour construire une maison commune européenne où chaque contribution culturelle, sociale et politique vise au bien commun. A vous, qui participez déjà de diverses façons à cette importante entreprise commune, j’exprime mon soutien et j’adresse mon plus vif encouragement. Et surtout, je vous assure de mon souvenir dans la prière et, tandis que j’invoque la protection maternelle de Marie, Mère du Verbe incarné, je vous donne de tout cœur, ainsi qu’à vos familles et communautés, une Bénédiction affectueuse.
Pour célébrer le 50e anniversaire du traité fondateur de l’Union européenne, la COMECE a organisé, du 23 au 25 mars 2007, en partenariat avec des mouvements et organisations catholiques, un Congrès européen sur le thème « Valeurs et perspectives pour l’Europe de demain, les 50 ans du Traité de Rome ». Au cours de cette rencontre, plus de 400 participants de toute l’Europe étaient présents, dont de nombreuses personnalités religieuses et politiques. Celle-ci a eu pour objectif de permettre aux chrétiens d’identifier et d’affirmer les valeurs qui ont soutenu le projet européen depuis ses débuts et qui doivent aujourd’hui être revivifiées. En amont de ce Congrès, les évêques membres de la COMECE ont mis en place un Comité des sages, composé de 25 personnalités européennes issues de 20 pays membres. Ce Comité a rédigé un rapport sur les fondements éthiques de l’Union européenne, qui a servi de base à la réflexion des participants au Congrès. A l’issue de la rencontre, les participants ont adressé un « Message de Rome » à l’attention des chefs d’Etat et de gouvernements réunis au Conseil européen de Berlin le 25 mars 2007.