Benoît XVI rencontre le clergé de Rome (V)

Cinq dernières questions des prêtres au pape

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ROME, Lundi 5 mars 2007 (ZENIT.org) – Le jeudi 22 février, le pape Benoît XVI a rencontré le clergé du diocèse de Rome au Vatican. La rencontre s’est déroulée sous forme d’entretien. Voici une synthèse des cinq dernières questions posées par les prêtres et les réponses de Benoît XVI. (Pour les quatre premières questions, cf. Zenit du 27 février ; 28 février ; 1er mars ; 2 mars).

Le pape évoque entre autres, l’importance pour le prêtre de trouver un équilibre entre vie de prière et travail pastoral, la « réparation eucharistique », l’art sacré comme véritable catéchèse vivante.

5. Don Angelo Mangano, curé de « San Gelasio », paroisse confiée au soin pastoral de la Communauté « Missione Chiesa Mondo » depuis 2003, a parlé de manière significative de la pastorale en la fête de la Chaire de saint Pierre. Il a indiqué l’importance de développer une unité entre la vie spirituelle et la vie pastorale qui n’est pas une technique d’organisation mais qui coïncide avec la vie même de l’Eglise. Jésus lui-même se fait synthèse, a dit le prêtre qui a demandé au Saint-Père comment transmettre au Peuple de Dieu l’idée de la pastorale comme vie véritable de l’Eglise et comment faire pour que la pastorale se nourrisse toujours davantage de l’ecclésiologie conciliaire.

Benoît XVI : Il y a, me semble-t-il, plusieurs questions. Une question porte sur la manière d’inspirer la paroisse à travers l’ecclésiologie conciliaire, de faire vivre par les fidèles cette ecclésiologie ; l’autre porte sur la manière dont nous devons agir et en nous-mêmes rendre le travail pastoral spirituel. Commençons par cette deuxième question. Une certaine tension entre ce que je dois absolument faire et les réserves spirituelles que je dois conserver, demeure en permanence. Je le constate toujours quant à moi chez saint Augustin qui se lamente dans ses prédications. J’ai déjà cité : j’aimerais tant vivre avec la Parole de Dieu, mais du matin au soir je dois être avec vous. Augustin trouve toutefois cet équilibre en étant toujours à disposition, mais en se réservant également des moments de prière, de méditation de la Parole sacrée, car autrement il ne pourrait plus rien dire. Je voudrais souligner ici en particulier ce que vous avez dit sur le fait que la pastorale ne devrait jamais être une simple stratégie, un travail administratif, mais toujours demeurer un travail spirituel. Assurément, ces autres choses ne peuvent pas non plus totalement manquer, parce que nous sommes sur cette terre et que ces problèmes existent : comment bien administrer l’argent, etc. Cela aussi est un domaine qui ne peut pas être totalement absent.

Mais l’accent fondamental doit être précisément celui qu’être pasteur est en soi un acte spirituel. Vous avez à juste titre évoqué l’Evangile de Jean, chap. 10, où le Seigneur se définit comme le bon Pasteur. Et en tant que premier moment à caractère définitif, Jésus dit que le Pasteur précède. C’est-à-dire qu’il montre le chemin, il fait en premier ce que doivent faire les autres, il prend en premier le chemin qui est la voie pour les autres. Le Pasteur précède. Cela veut dire que lui-même vit tout d’abord la Parole de Dieu : il est un homme de prière, il est un homme de pardon, il est un homme qui reçoit et célèbre les Sacrements comme actes de prière et de rencontre avec le Seigneur. C’est un homme de charité, vécue et réalisée. Et ainsi, tous les actes simples de dialogues, de rencontres, tout ce qu’il faut faire, tous ces actes deviennent des actes spirituels en communion avec le Christ. Son pro omnibus devient notre pro meis.

Alors il précède, et il me semble que dans cette manière de précéder, on a déjà dit l’essentiel. Le chapitre 10 de saint Jean continue ensuite en rapportant que Jésus nous précède en s’offrant lui-même à la Croix. Et cela est également inévitable pour le prêtre. Cette offrande de soi-même est également une participation à la Croix du Christ et c’est grâce à cela que nous pouvons nous aussi réconforter de manière crédible les personnes qui souffrent, être aux côtés des pauvres, des laissés-pour-compte, etc.

Par conséquent, dans ce programme que vous avez développé, la spiritualisation du travail quotidien de la pastorale est fondamentale. Cela est plus facile à dire qu’à faire, mais nous devons essayer. Et pour pouvoir spiritualiser notre travail, nous devons à nouveau suivre le Seigneur. Les Evangiles nous disent que le jour il travaillait, et la nuit il était sur la montagne avec le Père et il priait. Je dois confesser ici ma faiblesse. De nuit, je ne peux pas prier, la nuit, je voudrais dormir. Mais, toutefois, un peu de temps libre pour le Seigneur est réellement nécessaire : que ce soit pour la célébration de la messe, pour la prière de la liturgie des Heures, et la méditation quotidienne, même brève, en suivant la liturgie, le rosaire. Mais ce dialogue personnel avec la Parole de Dieu est important. Et c’est uniquement de cette manière que nous pouvons acquérir des réserves pour répondre aux exigences de la vie pastorale.

Deuxième point : vous avez à juste titre souligné l’ecclésiologie du Concile. Il me semble que nous devons encore bien davantage intérioriser cette ecclésiologie, aussi bien celle de Lumen gentium que celle de Ad gentes, qui est également un document ecclésiologique, ainsi que celle des Documents mineurs, et enfin celle aussi de Dei Verbum. Et, en intériorisant cette vision nous pouvons également attirer notre peuple vers cette vision, pour qu’il comprenne que l’Eglise n’est pas simplement une grande structure, une de ces organisations supranationales qui existent. L’Eglise, tout en étant un corps, est le corps du Christ et donc un corps spirituel, comme le dit saint Paul. Elle est une réalité spirituelle. Cela me semble très important : que les personnes puissent voir que l’Eglise n’est pas une organisation supranationale, n’est pas un corps administratif ou de pouvoir, n’est pas une institution sociale, bien qu’elle accomplisse un travail social et supranational, mais qu’elle est un corps spirituel.

Il me semble que notre prière avec le peuple, le fait d’écouter avec le peuple la Parole de Dieu, de célébrer avec le peuple de Dieu les Sacrements, d’agir avec le Christ dans la charité etc. c’est surtout dans les homélies que nous devons diffuser cette vision. Il me semble, en ce sens, que l’homélie demeure une occasion merveilleuse d’être proches des personnes et de communiquer la spiritualité enseignée par le Concile. Et ainsi il me semble que si l’homélie a grandi dans la prière, dans l’écoute de la Parole de Dieu, elle est une communication du contenu de la Parole de Dieu. Le Concile parvient réellement à notre peuple. Non ces fragments de commentaires journalistiques qui ont donné une image erronée du Concile. Mais la vraie réalité spirituelle du Concile. Et ainsi, nous devons apprendre la Parole de Dieu toujours et à nouveau avec le Concile et dans l’esprit du Concile, en intériorisant sa vision, apprendre la Parole de Dieu. En faisant cela nous pouvons également communiquer avec notre peuple et accomplir ainsi réellement un travail pastoral et spirituel.

6. Don Alberto Pacini, recteur de la Basilique Sainte-Anastasie, a parlé de l’adoration eucharistique perpétuelle – en particulier de la possibilité d’organiser des adorations nocturnes – et a demandé au pape d’expliquer le sens et la valeur de la réparation eucharistique face aux vols, aux actes sacrilèges et aux sectes sataniques

Benoît XVI : Nous
ne parlons plus en général de l’adoration eucharistique, qui a réellement pénétré dans nos cœurs et qui pénètre dans le cœur du peuple. Vous avez posé cette question spécifique sur la réparation eucharistique. Il s’agit d’un discours qui est devenu difficile. Je me souviens, quand j’étais jeune, qu’à l’occasion de la fête du Sacré-Cœur, nous disions une belle prière de Léon XIII, puis une autre de Pie XI, dans laquelle la réparation occupait une place particulière, précisément en référence, déjà à cette époque, aux actes sacrilèges qui devaient être réparés.

Il me semble que nous devons aller au fond des choses, parvenir au Seigneur lui-même qui a offert la réparation pour le péché du monde, et nous efforcer de réparer : disons qu’il faut équilibrer le surplus de mal et le surplus de bien. Ainsi, dans la balance du monde, nous ne devons pas laisser ce grand surplus au négatif, mais accorder un poids au moins équivalent au bien.

Cette idée fondamentale s’appuie sur ce qui a été fait par le Christ. Tel est, pour autant que je comprenne, le sens du sacrifice eucharistique. Contre ce grand poids du mal qui existe dans le monde, le Seigneur place un autre poids plus grand, celui de l’amour infini qui entre dans ce monde. Tel est le point important : Dieu est toujours le bien absolu, mais ce bien absolu entre précisément dans le jeu de l’histoire ; le Christ devient ici présent, il souffre et subit jusqu’au bout les souffrances du mal, créant ainsi un contrepoids d’une valeur absolue. Le surplus du mal, qui existe toujours si nous ne considérons de façon empirique que les proportions, est dépassé par le surplus immense du bien, de la souffrance du Fils de Dieu.

Dans ce sens, la réparation est alors nécessaire. Il me semble qu’aujourd’hui, il est un peu difficile de comprendre ces choses. Lorsque l’on voit le poids du mal dans le monde, qui augmente en permanence, qui semble exercer une domination absolue dans l’histoire, on pourrait – comme le dit saint Augustin dans une méditation – véritablement désespérer. Mais l’on constate qu’il y a un surplus encore plus grand dans le fait que Dieu lui-même est entré dans l’histoire, a participé à l’histoire et a souffert jusqu’au bout. Tel est le sens de la réparation. Ce surplus du Seigneur est pour nous un appel à nous ranger de son côté, à entrer dans ce grand surplus de l’amour et à le rendre présent, même avec nos faiblesses. Nous savons que pour nous aussi, ce surplus est nécessaire, car dans notre vie aussi, il y a le mal. Nous vivons toujours grâce au surplus du Seigneur. Mais il nous fait ce don afin que, comme le dit la Lettre aux Colossiens, nous puissions nous associer à son abondance et, disons, faire grandir encore plus cette abondance de façon concrète à notre époque historique.

Il me semble que la théologie devrait faire davantage pour faire comprendre encore mieux cette réalité de la réparation. Il y avait également de fausses idées dans l’histoire. Ces derniers jours, j’ai lu les discours théologiques de saint Grégoire de Nazianze, qui, à un certain moment, parle de cet aspect et se demande à qui le Seigneur a offert son sang. Il dit : le Père ne voulait pas du sang du Fils, le Père n’est pas cruel, il n’est pas nécessaire d’attribuer cela à la volonté du Père ; mais c’est l’histoire qui le voulait, ce sont les nécessités et les déséquilibres de l’histoire qui le voulaient. L’on devrait entrer dans ces déséquilibres et là, recréer le véritable équilibre. Cela est véritablement éclairant. Mais il me semble que nous ne disposons pas du langage nécessaire pour comprendre ce fait et le faire également comprendre aux autres. Il ne faut pas offrir à un Dieu cruel le sang de Dieu. Mais Dieu lui-même, par son amour, doit entrer dans les souffrances de l’histoire pour créer non pas un équilibre, mais un surplus d’amour qui est plus fort que l’abondance du mal qui existe. C’est ce à quoi le Seigneur nous invite.

Cela me semble une réalité typiquement catholique. Luther dit : nous ne pouvons rien ajouter. Et cela est vrai. Puis il dit : donc, nos œuvres ne comptent pas. Et cela n’est pas vrai. Car la générosité du Seigneur se révèle précisément dans le fait qu’il nous invite à entrer et accorde également une valeur au fait que nous soyons avec Lui. Nous devons mieux apprendre tout cela et ressentir également la grandeur, la générosité du Seigneur et la grandeur de notre vocation. Le Seigneur veut nous associer à son grand surplus. Si nous commençons à le comprendre, nous serons heureux que le Seigneur nous invite à cela. Ce sera la grande joie d’être pris au sérieux par l’amour du Seigneur.

7. La septième intervention a été celle de Don Francesco Tedeschi, professeur à la Faculté de Missiologie de l’Université pontificale urbanienne, qui réalise son service pastoral dans la basilique Saint Bartholomée sur l’Ile Tibérine, lieu de mémoire des nouveaux martyrs du XXe siècle. Plus qu’une question, Don Tedeschi a présenté une réflexion sur l’exemple et le pouvoir d’attraction que représentent les figures des martyrs à l’égard des jeunes en particulier. Ils dévoilent la beauté de la foi chrétienne et témoignent au monde qu’il est possible de répondre au mal par le bien en fondant leur vie sur la force de l’espérance. Le pape n’a pas voulu ajouter de commentaires à cette réflexion.

Benoît XVI : Les applaudissements que nous avons entendus montrent que vous avez vous-mêmes déjà apporté toutes les réponses… C’est pourquoi, à votre question, je pourrais simplement répondre : oui, il en est bien ainsi, comme vous l’avez dit. Et méditons vos paroles.

8. Puis le père Krystzof Wendlik, vicaire paroissial des Saints Urbain et Laurent à Prima Porta, a parlé du problème du relativisme dans la culture contemporaine et a demandé au pape une parole d’explication sur le rapport entre unité de foi et pluralisme en théologie.

Benoît XVI : C’est une question importante ! Lorsque j’étais membre de la Commission théologique internationale, nous avons étudié pendant un an ce problème. J’étais le rapporteur, donc je m’en souviens assez bien. Et pourtant, je reconnais que je suis incapable d’expliquer la question en quelques mots. Je voudrais simplement dire que la théologie a toujours été multiple. Pensons aux Pères, au Moyen-âge l’école franciscaine, l’école dominicaine, puis à la fin du Moyen-âge, et ainsi de suite. Comme nous l’avons dit, la Parole de Dieu est toujours plus grande que nous. C’est pourquoi nous ne pouvons jamais venir à bout du rayon d’action de cette Parole et c’est pourquoi diverses approches, divers types de réflexions sont nécessaires.

Je voudrais simplement dire: il est important que le théologien, d’une part, dans sa responsabilité et dans sa capacité professionnelle, s’efforce de trouver des pistes qui répondent aux exigences et aux défis de notre temps ; et, d’autre part, qu’il soit toujours conscient que tout cela est fondé sur la foi de l’Eglise et doit donc toujours retourner à la foi de l’Eglise. Je pense que si un théologien demeure personnellement et profondément dans la foi et comprend que son travail est une réflexion sur la foi, il réussira à concilier unité et pluralité.

9. La dernière intervention a été celle de Don Luigi Veturi, curé de Saint Jean-Baptiste des Florentins, qui a consacré sa question au thème de l’art sacré, en demandant au pape si celui-ci ne devrait pas être mieux valorisé comme moyen de communication de la foi.

Benoît XVI : La réponse pourrait être très simple : oui ! Je suis arrivé parmi vous avec un peu de retard, car je me suis rendu auparavant dans la Chapelle pauline, qui fait l’objet depuis plusieurs années de travaux de restauration. On m’a dit qu’ils dureront encore deux ans. J’ai pu voir entre les échafaudages un peu de cet art miraculeux. Et cela vaut la peine d
e bien la restaurer, afin qu’elle soit rendue à sa splendeur originelle et qu’elle soit une catéchèse vivante.

Avec cela, je voulais rappeler que l’Italie est particulièrement riche d’art, et l’art est un trésor de catéchèse inépuisable, incroyable. C’est également un devoir pour nous de le connaître et de mieux le comprendre. Je ne sais pas comment font parfois les historiens de l’art, pour l’interpréter uniquement de façon formelle, selon la technique artistique. Nous devons au contraire entrer dans le contenu et faire revivre le contenu qui a inspiré ce grand art. Cela me semble réellement un devoir – également dans la formation des futurs prêtres – de connaître ces trésors et d’être capables de transformer en catéchèse vivante ce qui est présent en eux et nous parle aujourd’hui. Ainsi, l’Eglise pourra elle aussi apparaître comme un organisme non pas d’oppression ou de pouvoir – comme certains voudraient le faire croire – mais d’une fécondité spirituelle unique dans l’histoire ou du moins, oserais-je dire, qui n’a pas d’égal en dehors de l’Eglise catholique. C’est également un signe de la vitalité de l’Eglise qui, avec toutes ses faiblesses et également ses péchés, est toujours restée une grande réalité spirituelle, une source d’inspiration qui nous a donné toute cette richesse.

C’est donc un devoir pour nous d’entrer dans cette richesse et d’être capables de devenir les interprètes de cet art. Cela vaut tant pour la peinture et la sculpture, que pour la musique sacrée, qui est un domaine de l’art qui mérite d’être vivifié. Je dirais que l’Evangile vécu de façon différente représente aujourd’hui encore une puissante source d’inspiration qui nous donne et qui nous donnera l’art. Il existe également aujourd’hui surtout de très belles sculptures, qui démontrent que la fécondité de la foi et de l’Evangile ne s’est pas éteinte ; il existe aujourd’hui aussi des compositions musicales… Il me semble que l’on peut souligner une situation, disons, contradictoire de l’art, une situation même un peu désespérée de l’art. Aujourd’hui aussi l’Eglise inspire, car la foi et la Parole de Dieu sont inépuisables. Et cela nous donne du courage à tous. Cela nous donne l’espérance que le monde à venir également aura une nouvelle vision de la foi, et, dans le même temps, la certitude que les deux mille ans d’art chrétien déjà écoulés sont toujours vivants et sont toujours un « aujourd’hui » de la foi.

Voilà, merci de votre patience et de votre attention. Je vous présente tous mes vœux de bon Carême !

© Copyright du texte original en italien : Librairie Editrice Vaticane
Traduction réalisée par Zenit

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ZENIT Staff

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