Le père Franco Incampo, recteur de l’église « Santa Lucia del Gonfalone », a présenté l’expérience de la lecture intégrale de la Bible que sa communauté effectue avec l’Eglise vaudoise. « Nous nous sommes mis à l’écoute de la Parole, a-t-il dit. Il s’agit d’un vaste projet. Quelle est la valeur de la Parole dans la communauté ecclésiale ? Pourquoi connaissons-nous aussi peu la Bible ? Comment promouvoir la connaissance de la Bible, afin que le Parole forme la communauté également pour suivre un chemin œcuménique ? »
Benoît XVI : Vous avez certainement une expérience plus concrète dans la manière de procéder pour cela. Je peux tout d’abord dire que le prochain Synode sera sur la Parole de Dieu. J’ai déjà pu voir les Lineamenta élaborés par le Conseil du Synode et je pense que les différentes dimensions de la présence de la Parole dans l’Eglise apparaîtront bien.
Naturellement, la Bible, dans son intégralité, est quelque chose d’immense, qu’il faut découvrir peu à peu. Car si nous prenons les parties séparément, il est souvent difficile de comprendre qu’il s’agit de la Parole de Dieu : je pense à certaines parties des Livres des Rois rapportant les récits historiques avec l’extermination des peuples existant en Terre Sainte. Beaucoup d’autres choses sont difficiles. Le Qohélet (l’Ecclésiaste) peut lui aussi être isolé et peut sembler très difficile : il semble précisément théoriser le désespoir, car rien ne demeure et, à la fin, le sage meurt lui aussi avec les sots. Nous venons d’en avoir la lecture dans le Bréviaire.
Un premier point me semble précisément celui de lire l’Ecriture Sainte dans son unité et son intégralité. Chacune des parties appartient à un chemin et ce n’est qu’en les voyant dans leur intégralité, comme un chemin unique, où une partie explique l’autre, que nous pouvons le comprendre. Restons par exemple dans Qohélet. Il y avait auparavant la Parole de la sagesse, selon laquelle celui qui est bon vit également bien. C’est-à-dire que Dieu récompense celui qui est bon. Puis vient Job et l’on voit qu’il n’en est rien, et que c’est précisément celui qui vit bien qui souffre le plus. Il semble véritablement oublié de Dieu. Puis viennent les Psaumes de cette époque, où il est dit : Dieu, mais que fais-tu ? Les athées, les superbes vivent bien, sont florissants, se nourrissent bien et rient de nous et disent : mais où est Dieu ? Il ne s’intéresse pas à nous et nous avons été vendus comme des brebis destinées à l’abattoir. Que fais-tu de nous, pourquoi en est-il ainsi ? Le moment arrive où le Qohélet dit : mais, à la fin, toute cette sagesse, où reste-t-elle ? Il s’agit d’un Livre presque existentialiste, dans lequel on affirme que tout est vain. Ce premier chemin ne perd pas de sa valeur, mais il s’ouvre à la nouvelle perspective qui, à la fin, conduit à la croix du Christ, « le Saint de Dieu », comme le dit saint Pierre au sixième chapitre de l’Evangile de Jean. Il finit avec la Croix. C’est précisément ainsi qu’est démontrée la sagesse de Dieu, que nous décrira ensuite saint Paul.
Et ce n’est donc que si nous envisageons le tout comme un unique chemin, pas à pas, et si nous apprenons à lire l’Ecriture dans son unité, que nous pouvons également réellement accéder à la beauté et à la richesse de l’Ecriture Sainte. Donc tout lire, mais en gardant toujours présente à l’esprit la totalité de l’Ecriture Sainte, où une partie explique l’autre, un pas du chemin explique l’autre. Sur ce point, l’exégèse moderne peut également beaucoup apporter. Prenons, par exemple, le Livre d’Isaïe, lorsque les exégètes découvrirent qu’à partir du chapitre 40 l’auteur est un autre — le « Deutéro-Isaïe », comme on l’a appelé à l’époque. Il y eut pour la théologie catholique un moment de grande terreur. Certains pensèrent que l’on détruisait ainsi Isaïe et qu’à la fin, dans le chapitre 53, la vision du serviteur de Dieu n’était plus celle de l’Isaïe qui avait vécu il y a presque 800 ans avant le Christ. Que devons-nous faire, se demanda-t-on ? Nous avons à présent compris que tout le Livre est un chemin de relectures toujours nouvelles, où l’on entre toujours davantage dans le mystère proposé au début et où l’on ouvre toujours plus ce qui était initialement présent, mais encore fermé. Nous pouvons précisément comprendre dans un Livre tout le chemin de l’Ecriture Sainte, qui est une relecture permanente, une meilleure compréhension de ce qui a été dit auparavant. Pas à pas, la lumière s’allume et le chrétien peut comprendre ce que le Seigneur a dit aux disciples d’Emmaüs, en leur expliquant que tous les prophètes avaient parlé de Lui. Le Seigneur nous ouvre la dernière relecture, le Christ est la clef de tout et ce n’est qu’en s’unissant sur le chemin aux disciples d’Emmaüs, ce n’est qu’en marchant avec le Christ, en relisant tout dans sa lumière, avec Lui qui est crucifié et ressuscité, que nous entrons dans la richesse et dans la beauté de l’Ecriture Sainte.
C’est pourquoi je dirais que l’important est de ne pas fractionner l’Ecriture Sainte. C’est précisément la critique moderne, comme nous le voyons à présent, qui nous a fait comprendre qu’il s’agit d’un chemin permanent. Et nous pouvons aussi voir qu’il s’agit d’un chemin qui possède une direction et que le Christ est réellement le point d’arrivée. En commençant par le Christ, nous pouvons reprendre tout le chemin et entrer dans la profondeur de la Parole.
Je dirais, pour résumer, que la lecture de l’Ecriture Sainte doit toujours être une lecture dans la lumière du Christ. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons lire et comprendre l’Ecriture Sainte, également dans notre contexte actuel, et en recevoir réellement une lumière. Nous devons comprendre que l’Ecriture Sainte est un chemin qui possède une direction. Celui qui connaît le point d’arrivée peut également, encore à nouveau, accomplir tous les pas et apprendre ainsi de manière plus profonde le mystère du Christ. En comprenant cela nous avons également compris l’aspect ecclésial de l’Ecriture Sainte, car ces chemins, ces pas du chemin, sont les pas d’un peuple. C’est le peuple de Dieu qui va de l’avant. Le véritable propriétaire de la Parole est toujours le Peuple de Dieu, guidé par l’Esprit Saint, et l’inspiration est un processus complexe : l’Esprit Saint guide, le peuple reçoit.
C’est donc le chemin d’un peuple, du peuple de Dieu. L’Ecriture Sainte doit toujours être lue avec attention. Mais cela ne peut se faire que si nous marchons au sein de ce sujet qui est le peuple de Dieu qui vit, qui est renouvelé, qui est fondé à nouveau par le Christ, mais qui conserve toujours son identité.
Je dirais donc qu’il existe trois dimensions reliées entre elles. La dimension historique, la dimension christologique et la dimension ecclésiologique – du peuple en marche – s’interpénètrent. Une lecture complète est celle dans laquelle les trois dimensions sont présentes. C’est pourquoi la liturgie – la lecture commune, en prière, du peuple de Dieu – reste le lieu privilégié pour la compréhension de la Parole, également car c’est précisément là que la lecture devient prière et s’unit avec la prière du Christ dans la prière eucharistique.
Je voudrais encore ajouter un élément qu’ont souligné tous les Pères de l’Eglise. Je pense surtout à un très beau texte de saint Ephrém et à un autre de saint Augustin qui dit : si tu as peu compris, accepte-le, et ne pense pas avoir tout compris. La Parole reste toujours plus grande que ce que tu as pu comprendre. Et cela doit à présent être dit de manière critique à l’égard d’une certaine partie de l’exégèse moderne, qui pense avoir tout compris et qu’après l’interprétation qu’elle a élaborée, on ne peut désormais rien ajouter de plus. Ceci n’est pas vrai. La Parole est toujours plus grande que l’exégèse des Pères et que l’exégèse critiqu
e, car celle-ci aussi ne comprend qu’une partie, je dirais même une partie minime. La Parole est toujours plus grande, cela est d’un grand réconfort pour nous. D’une part, il est bien de savoir que l’on n’a compris qu’un peu. Il est bon de savoir qu’il y a encore un trésor intarissable et que chaque nouvelle génération redécouvrira de nouveaux trésors et ira de l’avant avec la grandeur de la Parole de Dieu, qui est toujours devant nous, qui nous guide et qui est toujours plus grande. C’est en étant conscient de cela que l’on doit lire l’Ecriture.
Saint Augustin a dit : le lièvre et l’âne boivent à la fontaine. L’âne boit davantage, mais chacun boit selon ses capacités. Que nous soyons des lièvres ou des ânes, nous sommes reconnaissants que le Seigneur nous fasse boire de son eau.
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Traduction réalisée par Zenit