Le pape dresse un bilan de l’année 2006 : Discours à la curie romaine (I)

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ROME, Vendredi 22 décembre 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous la première partie du discours que le pape a prononcé en présence des cardinaux et des membres de la Famille pontificale et de la Curie romaine qu’il a reçus dans la salle Clémentine du Palais apostolique pour leur présenter ses vœux de Noël. Dans ce discours, que nous publierons en trois volets, le pape dresse un bilan de l’année écoulée. Dans cette première partie il évoque son voyage en Pologne et la Journée mondiale des Familles, à Valence.

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Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs!

C’est avec une grande joie que je vous rencontre aujourd’hui et que j’adresse à chacun de vous mon salut cordial. Je vous remercie de votre présence à ce rendez-vous traditionnel, qui a lieu à l’approche du Saint Noël. Je remercie en particulier le cardinal Angelo Sodano des paroles avec lesquelles il s’est fait l’interprète des sentiments de toutes les personnes présentes, en s’inspirant du thème central de l’Encyclique Deus caritas est. En cette circonstance significative, je désire lui renouveler l’expression de ma gratitude pour le service que, pendant tant d’années, il a rendu au pape et au Saint-Siège, en particulier en qualité de secrétaire d’Etat, et je demande au Seigneur de le récompenser pour le bien qu’il a accompli avec sa sagesse et son zèle pour la mission de l’Eglise. Dans le même temps, je suis heureux de renouveler mes vœux particuliers au cardinal Tarcisio Bertone pour la nouvelle tâche que je lui ai confiée. J’étends volontiers ces sentiments à ceux qui, au cours de cette année, sont entrés au service de la Curie romaine ou du Gouvernorat, alors que nous rappelons avec affection et gratitude ceux que le Seigneur a rappelé à lui de cette vie.

L’année qui touche à son terme – comme vous l’avez dit, Eminence – reste marquée dans notre mémoire par la profonde empreinte des horreurs de la guerre qui s’est déroulée près de la Terre Sainte, ainsi que, en général, du danger d’un affrontement entre cultures et religions — un danger qui pèse encore de manière menaçante sur notre période historique. Le problème des chemins vers la paix est ainsi devenu un défi de première importance pour tous ceux qui ont le souci de l’homme. Cela vaut en particulier pour l’Eglise dont les débuts ont été accompagnés par une promesse signifiant à la fois une responsabilité et un devoir : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance » (Lc 2, 14).

Ce salut de l’ange aux pasteurs au cours de la nuit de la naissance de Jésus à Bethléem révèle un lien indissoluble entre la relation des hommes avec Dieu et leur relation réciproque. On ne peut trouver la paix sur la terre sans la réconciliation avec Dieu, sans l’harmonie entre le ciel et la terre. Cette corrélation entre le thème de « Dieu » et le thème de la « paix » a été l’aspect déterminant des quatre voyages apostoliques de cette année: c’est à ces derniers que je voudrais revenir en mémoire maintenant. Il y a tout d’abord eu la visite pastorale en Pologne, le pays natal de notre bien-aimé pape Jean-Paul II. Le voyage dans sa patrie a représenté pour moi un profond devoir de gratitude pour tout ce que, au cours du quart de siècle de son service, il m’a donné, à moi personnellement mais surtout à l’Eglise et au monde. Son don le plus grand pour nous tous a été sa foi inébranlable et le caractère radical de son dévouement. « Totus tuus » était sa devise : dans celle-ci se reflétait tout son être. Oui, il s’est donné sans réserve à Dieu, au Christ, à la Mère du Christ, à l’Eglise : au service du Rédempteur et à la rédemption de l’homme. Il n’a rien conservé, il s’est laissé consumer jusqu’au bout par la flamme de la foi. Il nous a ainsi montré comment, en tant qu’hommes de notre temps, on peut croire en Dieu, dans le Dieu vivant qui s’est fait proche de nous dans le Christ. Il nous a montré qu’un dévouement définitif et radical de toute sa vie est possible et que, précisément lorsqu’on se donne, la vie devient grande, vaste et féconde. En Pologne, partout où je me suis rendu, j’ai trouvé la joie de la foi. « La joie de Yahvé est votre forteresse » — on a pu faire dans ce pays l’expérience, comme une réalité, de cette parole que, face à la misère du nouveau début, le scribe Esdras adresse au peuple d’Israël à peine revenu de l’exil (Ne 8, 10). J’ai été profondément frappé par la grande cordialité avec laquelle j’ai été partout accueilli. Les gens ont vu en moi le Successeur de Pierre à qui est confié le ministère pastoral de toute l’Eglise. Ils voyaient celui à qui, malgré toute la faiblesse humaine, s’adresse, aujourd’hui comme alors, la parole du Seigneur ressuscité : « Pais mes brebis » (cf. Jn 21, 15-19) ; ils voyaient le Successeur de celui à qui Jésus dit, aux environs de Césarée : « Tu est Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18). Pierre, en soi, n’était pas un roc, mais un homme faible et inconstant. C’est pourtant précisément de lui que le Seigneur voulut faire la pierre et démontrer que, à travers un homme faible, Il soutient lui-même solidement son Eglise et la conserve dans l’unité. Ainsi, la visite en Pologne a été pour moi, au sens le plus profond, une fête de la catholicité. Le Christ est notre paix qui réunit ceux qui sont séparés : au-delà de toutes les différences des époques historiques et des cultures, Il est la réconciliation. A travers le ministère pétrinien, nous faisons l’expérience de cette force unifiante de la foi qui, à partir des nombreux peuples édifie toujours à nouveau l’unique peuple de Dieu. C’est avec joie que nous avons réellement fait l’expérience que, provenant de nombreux peuples, nous formons l’unique peuple de Dieu, sa sainte Eglise. C’est pourquoi le ministère pétrinien peut être le signe visible qui garantit cette unité et qui forme une unité concrète. Je voudrais remercier encore une fois de manière explicite et de tout cœur l’Eglise qui est en Pologne de cette expérience touchante de la catholicité.

La visite à Auschwitz-Birkenau, sur le lieu de la barbarie la plus cruelle — de la tentative d’effacer le peuple d’Israël, de rendre ainsi vaine l’élection faite par Dieu, de bannir Dieu lui-même de l’histoire, ne pouvait pas manquer dans mes déplacements en Pologne. Ce fut pour moi un motif de grand réconfort de voir à ce moment-là un arc-en-ciel apparaître dans le ciel, alors que devant l’horreur de ce lieu, dans l’attitude de Job, j’invoquais Dieu, ébranlé par la frayeur de son absence apparente et, dans le même temps, soutenu par la certitude que, malgré son silence, il ne cesse d’être et de demeurer avec nous. L’arc-en-ciel a été comme une réponse : oui, je suis là, et les paroles de la promesse, de l’Alliance, que j’ai prononcées après le déluge, sont valables aujourd’hui également (cf. Gn 9, 12-17).

Le voyage en Espagne — à Valence — s’est entièrement déroulé à l’enseigne du thème du mariage et de la famille. Il a été beau d’écouter, devant l’assemblée de personnes de tous les continents, le témoignage d’époux qui — bénis par de nombreux enfants — se sont présentés devant nous et ont parlé de leurs chemins respectifs dans le sacrement du mariage et au sein de leurs familles nombreuses. Ils n’ont pas caché le fait d’avoir également vécu des jours difficiles, d’avoir dû traverser des périodes de crise. Mais c’est précisément dans la difficulté de devoir se supporter réciproquement jour après jour, précisément en s’acceptant toujours à nouveau dans le creuset des difficultés quotidiennes, en vivant et en souffrant jusqu’au bout le oui initial — justement sur ce chemin où l’on « se perd soi-même » de manière évangélique, qu’ils avaient mûri, qu’ils s’étaient eux-mêmes trouvés et qu’ils étaient devenus heureux. Le oui qu’ils s’étaient donnés réciproquement, dans la patience du chemin et dans la force du sacrement avec lequel le Christ les avait liés ensemble, était devenu un grand oui face à eux-mêmes, aux enfants, au Dieu Créateur et au Rédempteur Jésus Christ. Ainsi, du témoignage de ces familles, nous arrivait une vague de joie, non pas une allégresse superficielle et pauvre qui se dissipe rapidement, mais une joie mûrie également dans la souffrance, une
joie qui va au plus profond et qui rachète vraiment l’homme. Devant ces familles et leurs enfants, devant ces familles dans lesquelles les générations se serrent la main et où l’avenir est présent, le problème de l’Europe, qui en apparence ne désire plus avoir d’enfants, est entré profondément en mon âme. Pour un étranger, cette Europe semble lasse, elle semble même vouloir prendre congé de l’histoire. Pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Telle est la grande question. Les réponses sont sûrement très complexes. Avant de chercher ces réponses notre devoir est d’adresser un remerciement aux nombreux époux qui aujourd’hui aussi, en Europe, disent oui à l’enfant et acceptent les difficultés que cela comporte : les problèmes sociaux et financiers, ainsi que les préoccupations et les fatigues jour après jour ; le dévouement nécessaire pour ouvrir aux enfants le chemin vers l’avenir. En mentionnant ces difficultés, apparaissent peut-être également de manière claire les raisons pour lesquelles le risque d’avoir des enfants apparaît trop grand pour un grand nombre de personnes. L’enfant a besoin d’une attention pleine d’amour. Cela signifie : nous devons lui donner un peu de notre temps, du temps de notre vie. Mais cette « matière première » essentielle de la vie — le temps — semble précisément manquer toujours davantage. Le temps que nous avons à disposition suffit à peine pour notre propre vie ; comment pourrions-nous le céder, le donner à quelqu’un d’autre ? Avoir du temps et donner du temps — cela représente pour nous une manière très concrète d’apprendre à se donner soi-même, à se perdre pour se trouver. A ce problème s’ajoute le calcul difficile : de quelles normes sommes-nous débiteurs à l’égard de l’enfant pour qu’il suive le juste chemin et, en faisant cela, comment devons-nous, en faisant cela, respecter sa liberté ? Le problème est devenu particulièrement difficile également parce que nous ne sommes plus sûrs des normes à transmettre ; parce que nous ne savons plus quel est le juste usage de la liberté, quelle est la juste façon de vivre, ce qui constitue moralement un devoir et ce qui est en revanche inadmissible. L’esprit moderne a perdu l’orientation, et ce manque d’orientation nous empêche d’être pour les autres des indicateurs du juste chemin. La problématique va même encore plus loin. L’homme d’aujourd’hui est incertain à propos de l’avenir. Est-il admissible d’envoyer quelqu’un dans cet avenir incertain ? En définitive, est-ce une bonne chose d’être un homme ? Cette profonde insécurité sur l’homme lui-même — à côté de la volonté de posséder toute la vie pour soi — est peut être la raison la plus profonde pour laquelle le risque d’avoir un enfant apparaît à de nombreuses personnes comme un risque qui n’est pratiquement plus envisageable. De fait, nous ne pouvons transmettre la vie de manière responsable que si nous sommes en mesure de transmettre quelque chose de plus que la simple vie biologique, c’est-à-dire un sens qui tienne également dans les crises de l’histoire à venir et une certitude dans l’espérance qui soit plus forte que les nuages qui assombrissent l’avenir. Si nous ne réapprenons pas les fondements de la vie — si nous ne découvrons pas de manière nouvelle la certitude de la foi – nous aurons également toujours plus de mal à confier aux autres le don de la vie et la tâche d’un avenir inconnu. Le problème des décisions définitives est, enfin, lié à cela : l’homme peut-il se lier pour toujours ? Peut-il dire un oui pour toute la vie ? Oui, il le peut. Il a été créé pour cela. C’est précisément ainsi que se réalise la liberté de l’homme et ainsi que se crée aussi le domaine sacré du mariage qui s’élargit en devenant une famille et qui construit l’avenir.

Fin de la première partie

© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana
Traduction réalisée par Zenit

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ZENIT Staff

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