ROME, Mardi 5 décembre 2006 (ZENIT.org) – Dans sa réflexion sur les origines du célibat sacerdotal, le P. Cochini invite à faire à nouveau « graviter la discipline du célibat autour de son vrai centre, qui est la personne même du Christ ».
« Les Origines apostoliques du célibat ecclésiastique », c’est le titre de l’étude du P. Christian Cochini, sj, publiée aux éditions Ad Solem (www.ad-solem.com) et présentée ce soir à Rome, au séminaire français. Nous publions le second volet de cet entretien accordé à Zenit dont la première partie a été publiée hier (Zenit du 4 décembre).
Rappelons que le P. Christian Cochini est né à Marseille en 1929. Il est entré dans la Compagnie de Jésus en 1958 et il a soutenu sa thèse de théologie en 1969 devant le Jury de la Faculté de théologie de Paris présidé par le cardinal Daniélou. Il est actuellement en Chine, à Macau, engagé dans le dialogue interreligieux avec les communautés bouddhistes du continent chinois.
Zenit : P. Cochini, les évêques sont toujours choisis dans l’Eglise orthodoxe qui admet aussi au sacerdoce des hommes mariés, parmi des moines. Pourquoi ?
P. Cochini : Le fait que l’Eglise orthodoxe choisisse les évêques exclusivement parmi les célibataires est significatif. Il témoigne de ce que la discipline du célibat remonte à une très haute antiquité, car les Pères orientaux du concile in Trullo ont maintenu cette obligation pour les évêques malgré leur lecture originale du concile de Carthage, qui aurait dû normalement les conduire à autoriser l’usage du mariage non seulement pour les prêtres mais pour tous les ministres de l’autel, à commencer par les évêques. Ils ne l’ont pas fait, signe que la tradition du célibat pour les évêques était à leurs yeux un patrimoine intangible. Cette convergence importante avec la discipline de l’Eglise latine est d’un poids décisif en faveur de l’origine apostolique du célibat-continence. Quant à la question de savoir pourquoi l’Eglise orthodoxe choisit les candidats à l’épiscopat parmi les moines, et non parmi d’autres catégories de célibataires, ni parmi des hommes pratiquant la continence avec leur épouse (comme c’était le cas dans le monde romain), ou parmi des veufs, la réponse est sans doute à chercher dans la législation de l’empereur Justinien. Le « droit justinien », compilé en 533, décréta en effet que les évêques seraient recrutés parmi les moines, c’est-à-dire parmi des clercs n’ayant pas d’héritiers, afin de ne pas aliéner les biens d’Eglise, qui constituaient alors la plus grande fortune de Byzance. La tradition s’est conservée jusqu’à nos jours, bien que la situation financière du clergé orthodoxe, il va sans dire, ne soit plus la même !
Zenit : Le pape Benoît XVI vient –après examen du cas Milingo- de réaffirmer la « valeur » du célibat sacerdotal. Comment définir cette « valeur » ?
P. Cochini : Il est fréquent d’entendre critiquer le célibat comme étant une cause de déséquilibres psychiques et générateur de scandales. Le récent scandale des prêtres pédophiles n’a fait hélas (!) qu’alimenter davantage ce courant d’opinion. Sans nier les échecs, il serait toutefois injuste de faire de la pathologie du célibat un critère d’évaluation d’une discipline qui a fait ses preuves pendant 20 siècles en donnant à l’Eglise et au monde d’innombrables prêtres admirables, vivant leur engagement dans la fidélité, et dont l’amour puisé à la source eucharistique a vivifié le ministère. Parler de la « valeur » du célibat sacerdotal, c’est évoquer des figures aussi exemplaires que le curé d’Ars, St Jean Bosco, St François Xavier, le Père Chevrier, et des milliers d’autres, qui ont vécu leur don comme un épanouissement de leur liberté et une réserve inépuisable d’énergie spirituelle. Qui veut approfondir la spiritualité du célibat n’a que l’embarras du choix, entre les ouvrages des auteurs spirituels, les textes de Vatican II sur le ministère des prêtres, ou les documents pontificaux de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. Une mine de réflexions, infiniment plus substantielles que les commentaires trop souvent déprimants de l’actualité sur des épisodes malheureux, est à la disposition de ceux qui veulent prendre le temps de les lire, et de les méditer. En étudiant l’histoire des premiers siècles, j’ai été frappé, pour ma part, par le témoignage de tous ces évêques, prêtres et diacres mariés qui acceptaient, à partir de leur ordination, de mener une vie de continence parfaite avec leur épouse. Beaucoup d’entre eux étaient des hommes d’expérience, ayant une situation en vue, des chefs de famille heureux… et pourtant, ils ont fait le pas, renoncé à tout, pour répondre à l’appel du sacerdoce. Comme le négociant de l’évangile qui vend tout ce qu’il a pour acquérir une perle fine. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, quand on parle du sacerdoce : une dignité supérieure à toute autre, car elle vient d’en-haut, et élève un homme pour qu’il élève à son tour ses frères humains jusqu’à Dieu. Je crois qu’il faut se libérer du sentiment malsain d’infériorité qui s’insinue parfois dans la conscience de certains prêtres, et retrouver le grand souffle qui animait les Pères de l’Eglise quand ils parlaient du sacerdoce. Relire les grands traités qui ont formé des générations de prêtres, comme la « Regula pastoralis » de St Grégoire le Grand, le « de Sacerdotio» de St Jean Chrysostome, ou le « de Fuga sua », de St Grégoire de Nazianze. Structuré intérieurement par une spiritualité sacerdotale authentique, et conscient d’être ancré sur une tradition venue des apôtres, le prêtre d’aujourd’hui peut vivre son célibat dans la joie et dans la liberté. Il découvre, et fait découvrir autour de lui, que le célibat n’est pas un « moins », mais un « plus ». Un amour qui rayonne, qui parle d’amour à ceux qui n’y croient plus, et qui purifie. Car la « valeur » du célibat du prêtre, il faut avoir l’audace de l’affirmer, est de disposer le coeur du prêtre à révéler aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui, époux ou célibataires, le sens profond de l’amour humain.
Zenit : Le Siège apostolique accorde cependant certaines dispenses, comme dans le cas de prêtres anglicans qui rejoignent l’église catholique : leur ordination est valide ? En raison de la succession apostolique ?
P. Cochini : Je ne suis pas spécialiste des questions concernant l’Eglise anglicane. Voici ce que je crois savoir : En 1896, dans sa Lettre « Apostolicae Curae », Léon XIII avait déclaré nulles et non avenues les ordinations anglicanes. Vatican II, au contraire, reconnut à l’Eglise Anglicane une « place particulière » parmi les Eglises issues de la Réforme, en raison des structures et des traditions catholiques qu’elle a retenues. En 1966, Paul VI reconnut implicitement l’ordination de Mgr. Ramsey archevêque de Cantorbéry, en l’invitant à bénir la foule romaine. En 1980, l’archevêque catholique de Westminster assista à l’intronisation de Robert Runcie, primat de l’Eglise Anglicane, et en 1984, Runcie assista à la messe pour l’unité célébrée par l’archevêque de Lyon. Il semble que Rome avait envisagé en 1986 la levée de l’invalidation des ordinations anglicanes, mais que la décision récente d’ordonner des femmes dans l’Eglise anglicane ait eu pour conséquence d’ajourner cette mesure. Quoi qu’il en soit, l’ordination des prêtres anglicans reçus chez les catholiques n’est faite, canoniquement, que « sous condition ».
Zenit : Dans de nombreuses cultures, le célibat n’est pas une valeur, mais au contraire le mariage et la procréation. Dans ces cas, on
entend souvent l’objection : pourquoi ne pas envisager dans ces cultures l’ordination d’ « hommes mariés », plutôt que d’admettre au sacerdoce des hommes qui se trouvent alors en contradiction parfois même intérieure avec leur culture ? Cela « éviterait des scandales », dit-on.
P. Cochini : Je ne parlerai, si vous voulez bien, que de la culture chinoise, que je connais mieux, pour avoir passé de nombreuses années en Chine. Confucius disait que le plus grave des manquements à la piété filiale était de ne pas engendrer de fils (ou de fille). Cette conception a marqué profondément la civilisation chinoise, jusqu’à l’époque moderne. Rien se semblait donc plus opposé à la mentalité chinoise que l’idée d’un célibat, qu’il fût volontaire ou obligatoire. Les Bouddhistes furent les premiers à relever le défi, qui paraissait un obstacle insurmontable. Ils y parvinrent cependant, et réussirent si bien que moines et nonnes ont été à toutes les époques, et sont encore aujourd’hui, des personnes entourées d’un grand respect. Du côté de l’Eglise catholique, le célibat des prêtres, -peut-être en raison du précédent créé par les moines Bouddhistes-, a été reçu sans difficulté d’ordre culturel. Certes, le départ d’un fils pour le séminaire n’a pas toujours été approuvé sans drame par les parents, mais d’une manière générale le sacerdoce, précisément à cause du célibat, jouit auprès des Chrétiens chinois de l’estime générale. La crise qui a secoué l’Occident dans les années 70, avec le départ de nombreux prêtres, n’a pratiquement pas touché l’Eglise de Chine. Les Chrétiens chinois ne sont pas encore à la veille de demander des « prêtres mariés » pour leurs diocèses. On peut dire, sans risque de se tromper, que le célibat sacerdotal est depuis longtemps « inculturé » en Chine, et ne pose pas pour l’instant de problème au niveau institutionnel.
Zenit : Votre enquête vous a-t-elle fait découvrir des éléments nouveaux sur l’origine du célibat sacerdotal ?
P. Cochini : Je crois que le retour aux sources, c’est-à-dire aux temps apostoliques, est l’élément le plus neuf de mon enquête sur les origines du célibat sacerdotal. Mutatis mutandis, je dirais que c’est un peu une sorte de révolution copernicienne, en ce sens qu’elle fait à nouveau graviter la discipline du célibat autour de son vrai centre, qui est la personne même du Christ. L’exemple du Christ vierge, et des apôtres qui l’ont imité, est le foyer qui a donné naissance à la tradition, d’abord non-écrite, puis formulée dans les décisions canoniques à partir du 4ème siècle, demandant aux ministres de l’autel, évêques, prêtres et diacres, de s’abstenir du commerce sexuel avec leur épouse. Comme je l’ai suggéré tout à l’heure, cette conviction de se soumettre à une discipline remontant à l’âge apostolique a été un facteur d’équilibre psychologique et de stabilité en profondeur qui a fait ses preuves aux premiers siècles de l’Eglise et a solidement structuré à toutes les époques la personnalité des prêtres célibataires. Il est souhaitable qu’elle le reste de nos jours encore, car la crise qui a malheureusement provoqué l’abandon de trop de prêtres dans l’après-concile est due en grande partie à ce que j’appellerai une absence d’ancrage. La discipline du célibat est ancrée sur le roc des apôtres, et c’est ce qui explique ce que les contestataires n’arrivent pas à s’expliquer, à savoir la pérennité de l’institution à travers les siècles en dépit des violents séismes qui ont tenté à plusieurs reprises de l’ébranler.
Je voudrais terminer cet entretien, si vous le permettez, sur une réflexion du pape Sirice dans une lettre aux évêques des Gaules :
« Comment un évêque ou un prêtre oserait-il prêcher à une veuve ou à une vierge la continence ou l’intégrité, ou encore (comment oserait-il) exhorter les époux à la chasteté du lit conjugal, si lui-même s’est plus préoccupé d’engendrer des enfants pour le monde que d’en engendrer pour Dieu ? » L’idée que les pasteurs de l’Eglise sont responsables de la chasteté, sous toutes ses formes, — de la chasteté conjugale des époux comme de la chasteté parfaite des vierges —, peut aussi aider à comprendre pourquoi la discipline de la continence sacerdotale à pu être conçue dès les origines comme une priorité d’où dépendait la perfection du peuple chrétien. Ce n’est pas un hasard si la plupart des traités patristiques sur la virginité, qui ont tant fait pour l’essor de la vie religieuse, ont été composés par des évêques (saint Cyprien, Méthode d’Olympe, saint Athanase, Basile d’Ancyre, saint Augustin…). « Gardiens de la pureté », les chefs de l’Eglise avaient la conviction qu’ils devaient prêcher d’exemple et exhorter sans cesse (126), afin d’entraîner les fidèles sur la voie royale, mais étroite, qui conduit au Christ. Exactement comme l’avaient fait les Apôtres. La voix de l’Eglise, aujourd’hui, est celle des conciles d’Afrique de jadis, où se faisait entendre aussi le grand saint Augustin : « Ce que les apôtres ont enseigné, faisons en sorte, nous aussi, de l’observer ».