ROME, Mardi 21 février 2006 (ZENIT.org) – Marc Fromager, directeur national de l’Aide à l’Eglise en détresse a répondu aux questions de France Catholique à propos de la Turquie, au lendemain de la mort de don Andrea Santoro, prêtre « fidei donum » du diocèse de Rome au service de la petite communauté catholique de Trabzon (Trébisonde) dans le Nord Est du pays. Il invite à « rester très présents aux côtés de nos frères chrétiens en Turquie ».
FC – Pouvez-vous nous rappeler ce qui s’est passé à Trabzon ?
Marc Fromager – Le dimanche 5 février, le père Andrea Santora, missionnaire de Charles de Foucauld, âgé de 60 ans, est assassiné par balles, alors qu’il priait dans l’église Sainte-Marie, de la ville de Trabzon, sur la Mer Noire. Son assassin, un jeune homme de 17 ans, a hurlé « Allah O Akbar (Dieu est grand), confirme le nonce apostolique en Turquie, Mgr Giacomo Lucibello. La police a admis le lien avec l’affaire des caricatures danoises. Le prêtre était pourtant un ardent promoteur du dialogue entre chrétiens et musulmans. Il avait écrit : « J’ai senti combien il est important et possible que se réalise un échange de dons spirituels entre l’Orient et l’Occident. Le Moyen Orient, grande « terre sainte » où Dieu a décidé de se communiquer de façon spéciale à l’homme, a ses richesses et sa capacité, grâce à la lumière que Dieu y a toujours mise, d’éclairer notre monde occidental. Mais le Moyen Orient a ses obscurités, ses problèmes souvent tragiques, et ses « vides ». Il a donc besoin à son tour, écrivait encore le père Santoro, que cet Evangile, qui est parti de là, y soit semé à nouveau et que cette présence que le Christ y a réalisée y soit de nouveau proposée ». Ce souhait, il l’a payé de sa vie, par amour pour le Christ.
Le cardinal Camillo Ruini, Président de la Conférence épiscopale italienne, a très logiquement annoncé, lors des funérailles, l’ouverture d’un procès en béatification pour le prêtre italien martyrisé tout en soulignant le « courage qu’il faut pour affirmer dans la situation historique actuelle, le droit à la liberté de religion, mère de toute liberté, comme valide concrètement partout dans le monde ».
FC – Ce crime est-il un cas isolé ?
Marc Fromager – Le jeudi 9 février, un prêtre slovène, le père Martin Kmetec, ofm, a été agressé dans son église de Sainte Hélène à Izmir par un groupe de jeunes au cri de : « Nous te tuerons ». « Grâce à Dieu, tout passera, mais j’ai encore un peu peur, reconnaît le père Martin, car mon nom a été publié partout et si quelqu’un désire se venger, il sait où je suis ».
Le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, est inquiet des menaces qui pèsent sur tous les chrétiens. Il rappelle que des pétitions circulent, demandant « le transfert du patriarcat à l’étranger : Nos célébrations liturgiques sont interprétées comme des manifestations de force, et nos visites pastorales comme des entreprises missionnaires ».
En juin 2005, le nonce apostolique en Turquie, Mgr Edmond Fahrat, complétait ces propos en parlant de « christianophobie institutionnelle » et en estimant que les résistances à l’application de la liberté religieuse « font penser à une stratégie pour ne pas accorder aux chrétiens la même liberté que celle dont jouissent les religions non chrétiennes en Europe ».
FC – La Turquie est pourtant candidate à l’Union Européenne…
Marc Fromager – La Commission Européenne a justement constaté, dans son rapport de suivi du 22 novembre 2005, que les déclarations du gouvernement pour un rétablissement du respect des droits religieux des chrétiens ne sont pas suivies d’effets, bien qu’il soit une condition préliminaire à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Le 8 décembre dernier, la Conférence épiscopale française réclamait pour l’Église catholique en Turquie la possibilité de bénéficier d’une reconnaissance juridique pour elle-même, le droit d’acquérir des biens, de construire ou de rénover des églises, de créer un enseignement catholique et pour l’Église orthodoxe comme pour l’Église arménienne, le droit notamment de rouvrir leurs séminaires respectivement fermés en 1971 et 1970.
FC – Que peuvent faire les catholiques à la veille de la visite du Pape ?
Marc Fromager – « Prier, je ne sais pas que dire d’autre », répond le père Martin Kmetec, reconnaissant que la situation en Turquie est complexe. Le prêtre franciscain est convaincu que seule une nouvelle « législation de l’Etat » peut changer les choses. Il craint une « instrumentalisation » de la visite du Pape, du 28 au 30 novembre « en prévision des élections présidentielles de l’an prochain ». Il précise que « la moitié du Parlement a voté contre la décision d’inviter le pape en Turquie ».
FC – Quel sera l’enjeu de cette visite ?
Marc Fromager – La visite de Benoît XVI en Turquie pour la fête de saint André a en effet été confirmée par le Saint-Siège et par le gouvernement turc. Cette confirmation a été rendue publique au lendemain du meurtre du père Andrea Santoro, ce n’est pas indifférent. Mais le voyage aura surtout une dimension œcuménique. On se souvient que le 30 novembre dernier, en la fête de l’apôtre saint André, frère de saint Pierre, et patron du patriarcat œcuménique de Constantinople, le Pape avait adressé un message à Bartholomée Ier.
« L’Eglise catholique, écrivait le Pape, est engagée de façon irrévocable dans la promotion de toute initiative utile pour fortifier la charité, la solidarité et le dialogue théologique ». Il disait en outre espérer que les chrétiens arrivent à « une communion toujours plus profonde, pour dépasser les obstacles qui demeurent encore », afin de « pouvoir célébrer ensemble la Sainte Eucharistie, sacrifice du Christ pour la vie du monde ».
Dans son message, le Pape exprimait sa hâte en soulignant qu’il aurait voulu être présent à Istanbul pour cette fête en 2005 !
Rappelons que, si Pierre et Paul sont les saints protecteurs de l’Eglise de Rome, André est le saint protecteur de l’Eglise de Constantinople, qui conserve ses reliques depuis le IVe s. Il a subi le martyre sur une croix en « X « , probablement en 62, peut-être en Grèce, à Patras.
La Turquie sera donc au cœur de l’actualité religieuse cette année même si malheureusement, cette actualité commence de manière dramatique. Nous devons donc rester très présents aux côtés de nos frères chrétiens en Turquie, par la prière et lorsque c’est possible, par le partage. Pour l’Aide à l’Eglise en Détresse, la Turquie sera une priorité de tous les instants.