ROME, Vendredi 3 février 2006 ( HREF="http://www.zenit.org/">ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape a adressé au Tribunal de la Rote romaine, le samedi 28 janvier, à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire.
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Illustres Juges, Officiers et collaborateurs du Tribunal apostolique de la Rote romaine !
Presque une année s'est écoulée depuis la dernière rencontre de votre Tribunal avec mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II. Ce fut la dernière d'une longue série. De l'immense héritage qu'il nous a légué, également en matière de droit canonique, je voudrais aujourd'hui signaler en particulier l'Instruction
Dignitas connubii, sur la procédure à suivre dans les causes de nullité matrimoniale. Avec celle-ci, on a voulu rédiger une sorte de vademecum, qui rassemble non seulement les normes en vigueur dans ce domaine, mais les enrichit par des dispositions supplémentaires, nécessaires pour une correcte application des premières. La plus grande contribution de cette Instruction, que je souhaite voir appliquée intégralement par le personnel des tribunaux ecclésiastiques, consiste à indiquer dans quelle mesure et de quelle façon doivent être appliquées dans les causes de nullité matrimoniale les normes contenues dans les canons relatifs au jugement contentieux ordinaire, dans le respect des normes spéciales dictées pour les causes sur l'état des personnes et pour celles de bien public.
Comme vous le savez, l'attention consacrée aux procès de nullité matrimoniale dépasse toujours davantage le domaine des spécialistes. En effet, les sentences ecclésiastiques en cette matière influent sur la possibilité ou non de recevoir la Communion eucharistique de la part de nombreux fidèles. C'est précisément cet aspect, si décisif du point de vue de la vie chrétienne, qui explique pourquoi le thème de la nullité matrimoniale est apparu de manière répétée également au cours du récent Synode sur l'Eucharistie. A première vue, il pourrait sembler que la préoccupation pastorale qui se reflète dans les travaux du Synode et l'esprit des normes juridiques rassemblées dans
Dignitas connubii divergent profondément, allant presque jusqu'à s'opposer. D'une part, il semblerait que les Pères synodaux aient invité les tribunaux ecclésiastiques à se prodiguer afin que les fidèles qui ne sont pas mariés canoniquement puissent au plus tôt régulariser leur situation matrimoniale et participer à nouveau au banquet eucharistique. D'autre part, en revanche, la législation canonique et la récente Instruction sembleraient poser des limites à ce courant pastoral, comme si la principale préoccupation était celle de s'acquitter des formalités juridiques prévues, en risquant d'oublier la finalité pastorale du procès. Derrière cette façon de poser le problème se cache une prétendue opposition entre le droit et la pastorale en général. Je n'entends pas, à présent, reprendre de manière approfondie la question déjà traitée par Jean-Paul II à plusieurs reprises, en particulier dans l'allocution à la Rote romaine de 1990 (cf. AAS, 82 [1990], pp. 872-877). Au cours de cette première rencontre avec vous, je préfère me concentrer sur ce qui constitue le point de jonction fondamental entre le droit et la pastorale: l'amour pour la vérité. Par ailleurs, avec cette affirmation je me rattache en esprit à ce que mon vénéré prédécesseur lui-même vous a dit, précisément dans son allocution de l'année dernière (cf. AAS, 97 [2005], pp. 164-166).
Le processus canonique de nullité du mariage constitue essentiellement un instrument pour trouver la vérité sur le lien conjugal. Son but constitutif n'est donc pas de compliquer inutilement la vie aux fidèles et encore moins d'en exacerber l'esprit de litige, mais seulement de rendre un service à la vérité. Du reste, l'institution du procès en général n'est pas en soi un moyen pour satisfaire un intérêt quelconque, mais bien un instrument qualifié pour répondre au devoir de justice de donner à chacun ce qui lui est dû. Le procès, dans sa structure essentielle, est l'institution de la justice et de la paix. En effet, le but du procès est la déclaration de la vérité de la part d'un tiers impartial, après qu'aient été offertes aux parties des opportunités semblables de présenter des arguments et des preuves dans un cadre de discussion approprié. Cet échange d'avis est normalement nécessaire, afin que le juge puisse connaître la vérité et, en conséquence, décider de la cause selon la justice. Tout le système du procès doit donc tendre à assurer l'objectivité, la promptitude et l'efficacité des décisions des juges.
Dans cette matière également, le rapport entre raison et foi est d'une importance fondamentale. Si le procès répond à la juste raison, on ne peut pas s'étonner du fait que l'Eglise ait adopté l'institution du procès pour résoudre des questions intra-ecclésiales à caractère juridique. C'est ainsi que s'est désormais consolidée une tradition pluriséculaire, conservée jusqu'à aujourd'hui dans les tribunaux ecclésiastiques du monde entier. Il faut en outre se souvenir que le droit canonique a contribué de manière très importante, à l'époque du droit classique médiéval, à perfectionner les bases de ce même droit des procès. Son application dans l'Eglise concerne tout d'abord les cas où, la matière du contentieux étant disponible, les parties pourraient atteindre un accord qui résoudrait le litige, mais cela ne se produit pas pour divers motifs. Le recours au procès, en cherchant à déterminer ce qui est juste, vise non seulement à ne pas aggraver les conflits, mais à les rendre plus humains, en trouvant des solutions objectivement adaptées aux exigences de la justice. Naturellement, cette solution ne suffit pas à elle seule, car les personnes ont besoin d'amour, mais lorsqu'elle apparaît inévitable, elle représente un pas significatif accompli dans la juste direction. Les procès peuvent ensuite également porter sur des matières qui dépassent la capacité de disposer des parties, dans la mesure où ils concernent les droits de toute la communauté ecclésiale. C'est précisément dans ce cadre que s'inscrit le procès déclarant la nullité d'un mariage: en effet, le mariage, dans sa double dimension naturelle et sacramentelle, n'est pas un bien dont les conjoints peuvent disposer et, en raison de son caractère social et public, il n'est pas non plus possible de formuler l'hypothèse d'une forme quelconque d'auto-déclaration.
A ce point, la deuxième observation va de soi. Aucun procès n’est strictement contre l'autre partie, comme s'il s'agissait de lui infliger un dommage injuste. L'objectif n'est pas d'ôter un bien à quelqu'un, mais d'établir et de sauvegarder l'appartenance des biens aux personnes et aux institutions. A cette considération, valable pour chaque procès, s'en ajoute une autre plus spécifique dans l'hypothèse de nullité matrimoniale. Il n'y a là aucun bien disputé entre les parties qui doive être attribué à l'un ou à l'autre. L'objet du procès est en revanche de déclarer la vérité à propos de la validité ou de l'invalidité d'un mariage concret, c'est-à-dire à propos d'une réalité qui fonde l'institution de la famille et qui concerne au plus haut point l'Eglise et la société civile. En conséquence, on peut affirmer que, dans ce genre de procès, le destinataire de la demande de déclaration est l'Eglise elle-même. En raison de la présomption naturelle de validité du mariage formellement contracté, mon prédécesseur, Benoît XIV, éminent canoniste, imagina et rendit obligatoire la participation du défenseur du lien à ces procès (cf. Cons. apost. Dei miseratione, 3 novembre 1741). De cette façon, on garantit davantage la dialectique du procès visant à découvrir la vérité.
Le critère de la recherche de la vérité, de même qu'il nous guide pour comprendre la dialectique du procès, peut également nous servir pour saisir l'autre aspect de la question: sa valeur pastorale, qui ne peut pas être séparée de l'amour pour la vérité. Il peut en effet se produire que la charité pastorale soit parfois contaminée par des attitudes complaisantes envers les personnes. Ces attitudes peuvent sembler pastorales, mais en réalité elles ne répondent pas au bien des personnes et de la communauté ecclésiale elle-même; en évitant la confrontation avec la vérité qui sauve, elles peuvent même avoir un effet contraire en ce qui concerne la rencontre salvifique de chacun avec le Christ. Le principe de l'indissolubilité du mariage, réaffirmé avec force par Jean-Paul II en ce lieu (cf. les discours du 21 janvier 2000, in AAS, 92 [2000], pp. 35-355; et du 28 janvier 2002 in AAS, 94 [2002], pp. 340-346), appartient à l'intégrité du mystère chrétien. Aujourd'hui, il nous est malheureusement donné de constater que cette vérité est parfois voilée dans les consciences des chrétiens et des personnes de bonne volonté. C'est précisément pour cette raison que le service que l'on peut offrir aux fidèles et aux conjoints non chrétiens en difficulté, en renforçant en eux, ne serait-ce qu'implicitement, la tendance à oublier l'indissolubilité de leur propre union, est trompeur. De cette façon, l'intervention éventuelle de l'institution ecclésiastique dans les causes de nullité risque d'apparaître comme la simple constatation d'un échec.
Toutefois, la vérité recherchée dans les procès de nullité matrimoniale n'est pas une vérité abstraite, étrangère au bien des personnes. C'est une vérité qui s'inscrit dans l'itinéraire humain et chrétien de chaque fidèle. Il est donc important que sa déclaration arrive dans des délais raisonnables. La Providence divine sait bien sûr tirer le bien du mal, même s’il arrivait aux institutions ecclésiastiques de négliger leur devoir ou de commettre des erreurs. Mais c’est une grave obligation que de rendre l'œuvre institutionnelle de l'Eglise dans les tribunaux toujours plus proche des fidèles. En outre, la sensibilité pastorale doit conduire à chercher à prévenir les nullités matrimoniales, lors de l'admission au mariage, et à tout mettre en oeuvre afin que les conjoints résolvent leurs éventuels problèmes et trouvent la voie de la réconciliation. Cette même sensibilité pastorale face aux situations réelles des personnes doit cependant conduire à sauvegarder la vérité et à appliquer les normes prévues pour la protéger au cours du procès.
Je souhaite que ces réflexions servent à mieux faire comprendre comment l'amour pour la vérité rattache l'institution du procès canonique de nullité matrimoniale à l'authentique sens pastoral qui doit animer ces procès. Selon cette clef de lecture, l'Instruction
Dignitas connubii et les préoccupations qui sont apparues pendant le dernier Synode se révèlent tout à fait convergentes. Très chers amis, réaliser cette harmonie est la tâche difficile et fascinante pour l'accomplissement discret de laquelle la communauté ecclésiale vous est si reconnaissante. Avec le vœu cordial que votre activité judiciaire contribue au bien de tous ceux qui s'adressent à vous et favorise leur rencontre personnelle avec la Vérité qui est le Christ, je vous bénis avec reconnaissance et affection.
[Texte original : italien – Traduction réalisée par Zenit]