Discours du nouvel ambassadeur de France près le Saint-Siège

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M. Kessedjian souligne la « convergence » de point de vue

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ROME, Mardi 20 décembre 2005 (ZENIT.org) – M. Bernard Kessedjian souligne la « convergence toujours renouvelée et féconde sur l’essentiel » entre le Saint-Siège et la France, « à savoir la dignité et la centralité de la personne humaine ».

L’ambassade de France près le Saint-Siège publie en effet sur son site Internet (http://www.france-vatican.org/actu.php) ce discours du nouvel ambassadeur, M. Kessedjian, qui a présenté hier, 19 décembre, ses lettres de créance à Benoît XVI.

Très Saint-Père,

Les relations entre le Saint-Siège et la France héritent d’une longue histoire et je mesure l’honneur qui m’est fait de prendre la suite des quelques deux cents ambassadeurs qui ont contribué à leur vitalité. Car si cette histoire a été parfois, au cours des siècles, celle d’un débat difficile sur les frontières entre Etat, société civile et religion, elle a surtout été celle d’une convergence toujours renouvelée et féconde sur l’essentiel, à savoir la dignité et la centralité de la personne humaine: «Dignitatis Humanae», c’est sur ces mots que s’ouvrait la déclaration solennelle du Concile Vatican II sur la liberté religieuse.

Vous savez quelle empreinte profonde a laissée en France la personnalité de votre prédécesseur. Le courage avec lequel il a assumé sa charge jusqu’à la limite de ses forces, son action en faveur de la paix, du respect du droit international, de la solidarité entre les Nations et des droits de l’homme, en ont fait pour nous tous à jamais, comme le soulignait le Président de la République, «un pasteur inspiré, défenseur inlassable de la dignité de l’Homme».

C’est aussi avec beaucoup d’attention et, je crois pouvoir le dire, de bienveillance, que sont suivis en France les premiers actes de Votre pontificat. Je pense en particulier à Votre volonté de poursuivre sans relâche le dialogue avec les représentants des religions juives et musulmanes si clairement illustrée à Cologne lors des journées mondiales de la Jeunesse et qui donne tout leur sens aux célébrations du 40e anniversaire de la Déclaration conciliaire «Nostra Aetate». Je pense également au Synode des Evêques consacré à l’Eucharistie au cours duquel nombre de questions importantes pour l’avenir de l’Eglise ont été débattues. Dans toutes ces occasions, c’est Votre écoute attentive et Votre appel à l’échange des idées qui ont marqué les esprits.

En ajoutant à ce trait de Votre personnalité, l’intimité de Votre relation avec la pensée et la culture françaises qui Vous ont valu de devenir membre étranger de l’Académie des Sciences morales et politiques, nous avons l’assurance de pouvoir compter sur Votre intelligence des réalités françaises et de l’action de mon pays dans le monde. Nous nous souvenons à cet égard de Vos nombreuses visites en France. En juin 2004, vous représentiez Jean-Paul II aux cérémonies du 60e anniversaire du débarquement et vous avez prononcé un discours resté dans les mémoires où vous abordiez, dans la perspective historique de l’après-guerre, le thème, qui vous est cher, des relations entre raison, morale et religion.

Le 13 novembre dernier, de hautes personnalités représentant le gouvernement français et de très nombreux compatriotes ont participé aux cérémonies de béatification de Charles de Foucauld. Au-delà même la communauté de tous ceux qu’il a inspirés à travers le monde, c’est l’invitation du «frère universel» à considérer l’humanité dans son unité et à se soumettre à l’exigence d’une fraternité en acte qui, à un siècle de distance, fait de l’ermite de Tamanrasset une figure éminemment actuelle. La présence, lors de ces cérémonies, des évêques d’Algérie comme d’une délégation algérienne officielle et des représentants des populations touaregs, montrent que les ferments de respect mutuel et d’écoute de l’autre sont toujours actifs.

L’évocation de la fraternité universelle de Charles de Foucauld, nous remet en mémoire l’invitation que Jean-Paul II lançait à la Nation française, lors d’un voyage à Reims en 1996 à l’occasion du 1500e anniversaire du baptême de Clovis: «Faire progresser les idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité qu’elle a su présenter au monde». Cet appel retentit avec une vigueur particulière au moment où les manifestations de violence que mon pays a connues dans la périphérie de ses villes ont mis à l’épreuve les principes sur lesquels s’est construite notre collectivité nationale depuis plus de deux siècles. Au-delà du souci immédiat d’assurer la sécurité des personnes et des biens, le Président de la République a voulu tirer les leçons de ces événements en rappelant que «l’adhésion à la loi et aux valeurs de la République passe nécessairement par la justice, la fraternité, la générosité» et en réitérant la volonté des autorités françaises de lutter contre toutes les formes de discrimination.

Parmi les fondements du pacte national, qui doit être constamment actualisé, figure la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Son centenaire a été l’occasion pour mon pays d’engager, dans un esprit d’ouverture, une réflexion sur ce texte qui montre, après bien des interprétations erronées, combien la laïcité est aujourd’hui une idée moderne. En assurant la neutralité de l’espace public, la laïcité met en son centre les principes de liberté de conscience et de liberté religieuse. Loin de cantonner les convictions spirituelles et religieuses de chacun dans la sphère privée, elle est garante du rôle que celles-ci sont appelées à jouer dans le débat public, mais aussi du respect qui leur est dû, dans un esprit de dialogue et de tolérance. C’est cet esprit qui préside au dialogue institutionnel mis en place par les autorités françaises depuis février 2002 et que le Pape Jean-Paul II avait bien voulu saluer dans sa lettre aux Evêques de France le 11 février dernier.

L’Union européenne, qui met la dignité et la liberté de l’homme mais aussi la paix au centre de son modèle de société, constitue pour la France et les Français un idéal qui continue d’inspirer notre politique étrangère. Si l’élargissement de cette Union aux Etats d’Europe centrale et orientale reste un défi à relever pour les institutions communes, il a déjà permis un travail d’intégration qui constitue un acquis irréversible. Le rejet, par les référendums français et néerlandais, du projet constitutionnel nous a tous invités à faire retour sur le demi-siècle au cours duquel s’est peu à peu construite, sur le terrain de la réconciliation franco-allemande, cette Union d’Etats et de peuples autour de valeurs partagées, dans le respect des traditions et identités nationales. Dans la fidélité à cet héritage, mon pays est déterminé à surmonter les interrogations actuelles. Nous savons pouvoir compter sur l’attention que Vous portez au devenir du continent européen.

Les questions globales et les questions éthiques occupent une part croissante dans l’agenda international: développement durable, lutte contre le réchauffement climatique, lutte contre la faim et contre les pandémies, bioéthique. Qu’il s’agisse du rôle joué par le Saint-Siège dans le tournant qu’a constitué pour l’approche internationale des droits de l’Homme l’adoption de l’Acte final d’Helsinki ou du rôle précurseur joué par Jean-Paul II dans la prise de conscience de la situation dramatique des pays du Sahel, la France est attentive à la voix du Saint-Siège sur ces questions qui s’exprime au nom de l’homme et de son universelle dignité. Nous nous réjouissons d’autant plus de constater une grande convergence d’analyse sur la plupart de ces sujets mais aussi une vision partagée d’un système international pleinement multilatéral reposant sur des règles universellement acceptées et sur le caractère central des Nations unies.

La France plaide, Vous le savez, en faveur d’une meilleure appréhension de ces défis globaux par la Communauté internationale et pour la mise en place des prémices d’une gouvernance mondiale. C’est le sens de ses propositions en faveur d’une organisation mondiale de l’environnement dans le cadre des Nations unies, de son action en faveur du Protocole de Kyoto, de l’appel qu’elle lance avec d’autres pays pour la mise en place de mécanismes innovants de financement du développement, seuls à même de permettre à la Communauté internationale de tenir les engagements pris dans le cadre des objectifs du millénaire, en particulier concernant l’Afrique. Sur tous ces sujets nous souhaitons une concertation encore plus étroite avec le Saint-Siège.

Il en va de même concernant la non-prolifération aujourd’hui essentielle à la préservation de la sécurité internationale. C’est dans cet esprit que nous demandons à l’Iran de prendre les décisions nécessaires au rétablissement de la confiance de la Communauté internationale.

La situation au Moyen-Orient reste, pour le Saint-Siège comme pour la France, un sujet de préoccupation constant, qu’il s’agisse du conflit israélo-palestinien, de l’Irak, où nous appelons de nos vœux la poursuite du processus politique engagé dans le respect de l’unité du pays et des droits des différentes composantes de la population, y compris ceux de la minorité chrétienne. Le Liban traverse une période déterminante de son histoire. Il a plus que jamais besoin de la sollicitude du Saint-Siège dans les efforts qui sont les siens pour préserver son indépendance et sa souveraineté. Dans cette région comme ailleurs, la France et le Saint-Siège s’accordent à refuser la fatalité d’un «choc des civilisations» qui ne pourrait qu’alimenter les manifestations de haine et la violence aveugle du terrorisme.

A l’Ambassade de France auprès du Saint-Siège incombent plusieurs missions que j’aurais à cœur de poursuivre: être attentif à la vie de l’Eglise française et universelle, entretenir un dialogue régulier sur les grands enjeux internationaux ­ je pense en particulier aux consultations qui réunissent régulièrement nos experts sur l’Afrique et sur le Moyen-Orient ­, assurer enfin le rayonnement de la présence française dans la Rome pontificale. Le Centre culturel Saint-Louis fondé il y a tout juste 60 ans par Jacques Maritain, y contribue par les liens étroits noués avec les Universités pontificales comme par la promotion du débat d’idées et de la langue française, qui participe à la vocation universelle du Saint-Siège.

Ce rayonnement repose aussi sur la présence de congrégations françaises à Rome et sur un patrimoine artistique et culturel qui a fait l’objet, ces dernières années, d’un considérable effort de restauration.

L’installation l’été prochain des Fraternités monastiques de Jérusalem à la Trinité-des-Monts, où elles succéderont aux sœurs du Sacré-Cœur qui lui ont fait bénéficier de près de deux siècles de présence, est un symbole de continuité et de renouvellement qui mobilisera toute mon attention. La signature d’un Avenant aux conventions diplomatiques de 1828 conclu le 12 juillet dernier entre la France et le Saint-Siège confirme la convergence de nos soutiens.

Très Saint-Père,

Soyez assuré que je ne ménagerai aucun effort pour mener à bien la haute mission que m’a confiée le Président de la République, dont Vous connaissez l’attachement au développement des relations entre la France et le Saint-Siège qui, disait-il en accueillant Jean-Paul II à Lourdes le 14 août 2004, «se rejoignent dans ce combat pour un monde qui place l’homme au cœur de tout projet».

M. Bernard Kessedjian
Ambassadeur de France près le Saint-Siège

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ZENIT Staff

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