Troisième prédication de l’Avent du p. Cantalamessa : La justification gratuite par la foi

Texte intégral

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ROME, Vendredi 9 décembre 2005 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la troisième prédication de l’Avent prononcée ce vendredi au Vatican, en présence du pape et de ses collaborateurs de la curie romaine, par le prédicateur de la Maison Pontificale, le père Raniero Cantalamessa, OFMCap.

Troisième prédication de l’Avent à la Maison Pontificale

La justice qui dérive de la foi en Jésus Christ
La foi en Jésus Christ de saint Paul

1. Justifiés par la foi dans le Christ

La fois précédente nous avons tenté de réchauffer notre foi dans le Christ au contact de celle de l’évangéliste Jean; cette fois, nous allons tenter de faire la même chose au contact de la foi de l’apôtre Paul.

Lorsque saint Paul, dans les années 57-58, écrivit, de Corinthe, l’Epître aux Romains, le souvenir du refus essuyé quelques années plus tôt à Athènes lors de son discours à l’Aréopage, devait encore être vivant et brûlant en lui. Et pourtant, au début de l’Epître il affirme être sûr d’avoir reçu la grâce de l’apostolat pour obtenir « l’obéissance de la foi parmi toutes les nations » (Rm 1, 5).

L’obéissance et, qui plus est, de toutes les nations! L’échec n’avait en rien entamé sa certitude que l’Evangile est « force de Dieu pour le salut de tout croyant » (Rm 1, 17). A ce moment-là, l’immense tâche de porter l’Evangile jusqu’aux extrémités du monde était encore entièrement devant lui. Cette tâche ne devait-elle pas sembler impossible et absurde ? Mais Paul disait : « Je sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) et deux mille ans ont donné raison à l’audace de sa foi. Je réfléchissais à cela la première fois que je suis allé à Athènes et à Corinthe et je me disais : « Si nous avions aujourd’hui un tout petit grain de cette foi de Paul, nous ne nous laisserions pas intimider par le fait que le monde est encore en grande partie à évangéliser et que celui-ci refuse même parfois, avec dédain, comme les membres de l’Aréopage, de se laisser évangéliser ».

La foi dans le Christ est tout, pour Paul. « Ma vie présente dans la chair – écrit-il en guise de testament, dans l’Epître aux Galates – je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20) (1).

Lorsque l’on parle de la foi dans saint Paul, on pense immédiatement au grand thème de la justification par la foi en Jésus Christ. Et c’est sur ce sujet que nous voulons concentrer notre attention, non pas pour y consacrer un énième débat, mais pour accueillir le message réconfortant qu’il contient. Je disais dans ma première méditation (cf. Zenit, 2 décembre), qu’aujourd’hui nous avons besoin d’une prédication kérygmatique, capable de susciter la foi là où elle n’existe pas encore, ou là où elle est morte. La justification gratuite par la foi dans le Christ est le cœur de cette prédication et il est dommage qu’elle soit en réalité pratiquement absente de la prédication ordinaire de l’Eglise.

Une chose étrange s’est produite à ce sujet. Le Concile de Trente avait donné une réponse catholique aux objections soulevées par les réformateurs, accordant une place à la foi et une autre aux bonnes œuvres, en respectant le domaine de chacune. On ne se sauve pas par les bonnes œuvres, mais on ne se sauve pas sans les bonnes œuvres. Mais en réalité, étant donné que les protestants insistaient de manière unilatérale sur la foi, la prédication et la spiritualité catholiques ont fini par accepter presque uniquement la tâche ingrate de rappeler la nécessité des bonnes œuvres et de l’apport personnel au salut. Le résultat a été qu’une très grande majorité de catholiques arrivaient à la fin de leur vie sans avoir jamais entendu une annonce directe de la justification gratuite par la foi, sans trop de « mais » et de « toutefois ».

Après l’accord d’octobre 1999 entre l’Eglise catholique et la Fédération mondiale des Eglises luthériennes, sur cette question, la situation a changé au niveau des principes, mais a encore du mal à passer au domaine pratique. Dans le texte de cet accord est exprimé le souhait que la doctrine commune sur la justification passe à présent à la pratique, en devenant une expérience vécue par tous les croyants et plus seulement un objet de savantes disputes entre théologiens. C’est ce que nous nous proposons d’obtenir, au moins en petite partie, par cette présente méditation. Lisons tout d’abord le texte :

« Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu – et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus : Dieu l’a exposé, instrument de propitiation par son propre sang moyennant la foi ; il voulait montrer sa justice, du fait qu’il avait passé condamnation sur les péchés commis jadis au temps de la patience de Dieu ; il voulait montrer sa justice au temps présent, afin d’être juste et de justifier celui qui se réclame de la foi en Jésus » (Rm 3, 23-26).

On ne comprend rien à ce texte et celui-ci finirait même par susciter la frayeur au lieu du réconfort (comme ce fut d’ailleurs le cas pendant des siècles), si l’on n’interprétait pas correctement l’expression « justice de Dieu ». C’est Luther qui découvrit que la « justice de Dieu » n’indique pas ici son châtiment, ou pire, sa vengeance, vis-à-vis de l’homme, mais au contraire l’acte par lequel Dieu « rend » l’homme « juste ». (Il disait en réalité « déclare », non pas « rend », juste, car il pensait à une justification extrinsèque et légale, à une inculpation de justice, plus qu’à un réel être rendus justes).

J’ai dit « redécouvert » car bien avant lui, saint Augustin avait écrit : « La ‘justice de Dieu’ est la justice grâce à laquelle, par sa grâce, il fait de nous des justes (iustitia Dei, qua iusti eius munere efficimur), exactement comme le ‘salut du Seigneur’ (Ps 3, 9) est le salut par lequel Dieu fait de nous des sauvés » (2).

Le concept de « justice de Dieu » est expliqué ainsi dans l’Epître à Tite : « Mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, il ne s’est pas occupé des œuvres de justice que nous avions pu accomplir, mais, poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés » (Tt 3, 4-5). Dire « la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes apparurent », équivaut par conséquent à dire : la bonté de Dieu, son amour, sa miséricorde, sont apparues. Ce ne sont pas les hommes qui, à l’improviste ont changé de vie et de coutumes et se sont mis à faire le bien ; la nouveauté est que Dieu a agi, il a tendu le premier la main à l’homme pécheur et son action a accompli les temps.

C’est ici que réside la nouveauté qui distingue la religion chrétienne de toutes les autres. Toutes les autres religions tracent à l’homme un chemin de salut, moyennant des observances pratiques ou des spéculations intellectuelles, en lui promettant comme récompense finale, le salut ou l’illumination, mais en le laissant, au fond seul pour réaliser cette tâche. Le christianisme ne commence pas par ce que l’homme doit faire pour se sauver mais par ce que Dieu a fait pour le sauver. L’ordre est inversé.

Il est vrai qu’aimer Dieu de tout son coeur est « le premier et le plus grand des commandements »; mais l’ordre des commandements n’est pas le premier ordre, c’est le deuxième. Avant l’ordre des commandements vient celui du don, de la grâce. Le christianisme est la religion de la grâce ! Si l’on ne tient pas compte de cela, le dialogue interreligieux ne pourra qu’engendrer confusion et doutes dans le cœur de nombreux chrétiens.

2. Justification et conversion

Je voudrais maintenant mon
trer que la doctrine de la justification gratuite par la foi n’est pas une invention de Paul, mais l’enseignement pur de Jésus. Au début de son ministère Jésus proclamait : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1, 15). Ce que le Christ renferme dans l’expression « royaume de Dieu » – c’est-à-dire l’initiative salvifique de Dieu, son offre de salut à l’humanité – est appelé par saint Paul « justice de Dieu », mais il s’agit de la même réalité fondamentale. Jésus lui-même rapproche « royaume de Dieu » de « justice de Dieu » lorsqu’il dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice » (cf. Mt 6, 33). « Jésus, écrivait déjà saint Cyrille d’Alexandrie, appelle ‘royaume de Dieu’ la justification par la foi, la purification baptismale et la communion de l’Esprit » (3).

Lorsque Jésus disait : « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile », il enseignait donc déjà la justification par la foi. Avant lui, se convertir signifiait toujours « revenir en arrière » (comme l’indique le terme utilisé, en hébreu shub, pour cette action) ; cela signifiait revenir à l’alliance violée, à travers une observance renouvelée de la loi.

La conversion a, par conséquent, un sens essentiellement ascétique, moral et pénitentiel et se réalise en changeant de manière de vivre. La conversion est vue comme condition pour le salut ; le sens est : convertissez-vous et vous serez sauvés ; convertissez-vous et le salut viendra jusqu’à vous. Dans la bouche de Jésus, cette signification morale passe au deuxième plan (au moins au début de sa prédication), par rapport à une signification nouvelle, jusqu’alors inconnue.

Se convertir ne signifie plus revenir en arrière, à l’ancienne alliance et à l’observance de la loi ; cela signifie plutôt faire un saut en avant, entrer dans la nouvelle alliance, saisir ce Royaume qui est apparu, y entrer. Et y entrer par la foi. L’expression « convertissez-vous et croyez » ne signifie pas deux choses différentes et successives, mais la même action : convertissez-vous, c’est-à-dire, croyez ; convertissez-vous en croyant ! « Prima conversio ad Deum fit per fidem », écrit saint Thomas d’Aquin : « La première conversion à Dieu consiste dans le fait de croire » (4).

« Convertissez-vous et croyez » signifie donc : passez de l’ancienne alliance basée sur la loi, à la nouvelle alliance basée sur la foi. L’Apôtre dit la même chose avec la doctrine de la justification par la foi. La seule différence est due à ce qui s’est produit, entre temps, entre la prédication de Jésus et celle de Paul : le Christ a été rejeté et mis à mort pour les péchés des hommes. La foi « dans l’Evangile » (« croyez à l’Evangile »), se présente maintenant comme foi « en Jésus Christ », « dans son sang » (Rm 3, 25).

3. La foi-appropriation

Tout dépend donc de la foi. Mais nous savons qu’il existe différents types de foi : il y a la foi-assentiment de l’intelligence, la foi-confiance, la foi-stabilité, comme l’appelle Isaïe (7, 9). De quelle foi s’agit-il, lorsque l’on parle de la justification « par la foi » ? Il s’agit d’une foi très spéciale : la foi-appropriation. Je ne me lasse pas de citer à ce propos un texte de saint Bernard :

« Moi, ce que je ne peux pas obtenir de moi-même, je me l’approprie (je l’usurpe !) avec confiance en puisant au côté transpercé du Seigneur, car il est plein de miséricorde. Mon mérite, par conséquent, est la miséricorde de Dieu. Je ne serai certes pas pauvre en mérites tant que lui sera riche en miséricorde. Si les miséricordes du Seigneur sont sans mesure (cf. Ps 119, 156), j’abonderai aussi en mérites. Et qu’en est-il de ma justice ? Ô Seigneur, je ne me souviendrai que de ta justice. Celle-ci est en effet également la mienne, car tu es pour moi justice de la part de Dieu » (5).

Il est écrit en effet : « … le Christ Jésus qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et rédemption » (1 Co, 1, 30). « Pour nous », non pour lui-même ! Car nous appartenons au Christ plus qu’à nous-mêmes, puisqu’il nous a rachetés au prix fort (1 Co 6, 20), et inversement ce qui appartient au Christ nous appartient davantage que si c’était à nous. J’appelle cela le coup d’audace, ou le coup d’aile, dans la vie chrétienne.

Saint Cyrille de Jérusalem exprimait la même conviction, de cette manière : « Ô bonté extraordinaire de Dieu envers les hommes ! Les justes de l’Ancien Testament plurent à Dieu dans les fatigues de longues années ; mais ce qu’ils réussirent à obtenir, à travers un long et héroïque service agréable à Dieu, Jésus te le donne dans le bref espace d’une heure. En effet, si tu crois que Jésus Christ est le Seigneur et que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé et tu seras introduit dans le paradis par celui-là même qui y introduisit le bon larron » (6).

4. Justification et confession

Je disais au début que la justification gratuite par la foi doit devenir une expérience vécue par le croyant. Nous, catholiques, avons dans ce domaine un avantage énorme : les sacrements et, en particulier, le sacrement de la réconciliation. Celui-ci nous offre un moyen excellent et infaillible pour faire chaque fois à nouveau l’expérience de la justification par la foi. Ce qui s’est produit dans le baptême à travers lequel – dit saint Paul – le chrétien a été « lavé, sanctifié et justifié » (cf. 1 Co 6, 11), se renouvelle.

Le « merveilleux échange », l’admirabile commercium se produit chaque fois dans la confession. Le Christ prend sur lui mes péchés et moi je prends sur moi sa justice ! A Rome, comme dans toutes les grandes villes, il existe malheureusement de nombreux clochards, de pauvres frères en haillons qui dorment dehors et traînent derrière eux le peu de choses qu’ils possèdent. Imaginons ce qui se produirait si un jour on lançait la rumeur que Via Condotti [rue située dans le centre historique de Rome, ndlr] se trouve un magazin de luxe où ils peuvent tous se rendre, déposer leurs haillons, prendre une bonne douche, choisir les vêtements qui leur plaisent le plus et les emporter, gratuitement, « sans argent et sans rien payer », car pour une raison inconnue le propriétaire est en veine de générosité.

C’est ce qui se produit dans toute confession bien faite. Jésus nous l’a enseigné avec la parabole du fils prodigue : « Vite, apportez la plus belle robe » (Lc 15, 22). En nous relevant, après chaque confession nous pouvons nous exclamez, avec les paroles d’Isaïe : « Il m’a revêtu de vêtements de salut, il m’a drapé dans un manteau de justice » (Is 61, 10). L’histoire du publicain se répète chaque fois : « Mon Dieu, ait pitié du pécheur que je suis ! ». « Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non » (Lc 18, 13 ss.).

5. « Afin que je puisse le connaître »

Où saint Paul a-t-il puisé le merveilleux message de la justification gratuite par la foi, tellement en harmonie, nous l’avons vu, avec celui de Jésus ? Il ne l’a pas puisé dans les livres des Evangiles qui n’avaient pas encore été écrits, mais plutôt dans les traditions orales sur la prédication de Jésus et surtout dans sa propre expérience personnelle, c’est-à-dire dans la manière dont Dieu a agi dans sa vie. Il l’affirme lui-même, disant que l’Evangile qu’il prêche (cet Evangile de la justification par la foi !) il na l’a pas appris des hommes, mais par la révélation de Jésus Christ, et il met en relation cette révélation avec l’avènement de sa propre conversion (cf. Ga 1, 11 ss).

A la lecture de la description que saint Paul fait de sa conversion, dans Philippiens 3, il me vient en mémoire
l’image d’un homme qui avance de nuit, à travers un bois, à la lumière d’une bougie. Il fait bien attention à ce que celle-ci ne s’éteigne pas, parce que c’est tout ce qu’il possède pour suivre sa route. Mais voilà que, poursuivant sa marche, l’aube se lève ; le soleil pointe à l’horizon, la faible lumière de sa bougie s’estompe rapidement, jusqu’à ce qu’il ne se rende même plus compte qu’il la tient dans la main, et il la jette.

Cette petite lumière était pour Paul sa justice, une misérable mèche fumante, même s’il possédait des titres de renom : circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, juif, pharisien, irréprochable quant à la justice que peut donner la loi… (cf. Ph 3, 5-6). Un beau jour, également à l’horizon de sa vie apparaît le soleil : le « soleil de justice », qu’il appelle, dans ce texte, avec une profonde dévotion, « le Christ Jésus, mon Seigneur », et alors sa justice lui apparaît comme une « perte », un « déchet », et il ne veut plus qu’on le connaisse avec sa justice, mais avec celle qui découle de la foi. Dieu lui fait d’abord expérimenter, de manière dramatique, ce qu’il l’appelait à révéler à l’Eglise.

Dans ce texte autobiographique il apparaît clairement que le noyau central de tout, n’est pas pour Paul une doctrine, quand bien même serait-ce celle de la justification par la foi, mais une personne, le Christ. Ce qu’il souhaite par-dessus tout c’est « être trouvé en lui », « le connaître », là où ce simple pronom personnel dit des choses infinies. Il montre que pour l’Apôtre, le Christ était une personne réelle, vivante, non pas une chose abstraite, un ensemble de titres et de doctrines.

L’Union mystique avec le Christ, à travers la participation à son Esprit (vivre « en Christ », ou « dans l’Esprit »), est pour lui le point d’arrivée de la vie chrétienne ; la justification par la foi est seulement le début et un moyen pour l’atteindre. Cela nous invite à dépasser les interprétations polémiques contingentes du message paulinien, centrées sur le thème foi-œuvre, pour retrouver sous celles-ci, la pensée authentique de l’Apôtre. Ce qu’il a avant tout à cœur, c’est d’affirmer que nous ne sommes pas justifiés par la foi, mais que nous sommes justifiés par la foi en Christ ; ce n’est pas tant que nous sommes justifiés par la grâce, mais plutôt que nous sommes justifiés par la grâce du Christ.

Le Christ est le cœur de notre message, bien avant la grâce et la foi. Après avoir, dans les deux précédents chapitres et demi de l’Epître aux Romains, présenté l’humanité tout entière dans son état universel de péché et de perdition (« tous ont péchés et sont privés de la gloire de Dieu), l’Apôtre a le courage incroyable de proclamer que cette situation est maintenant radicalement changée pour tous, juifs et grecs, « en vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus » « par l’obéissance d’un seul » (Rm 3, 24 ; 5, 19).

L’affirmation selon laquelle le salut se reçoit par la foi, et non par les œuvres, est présente dans le texte et était peut-être la chose la plus urgente à mettre en lumière au temps de Luther. Mais cela passe en second plan, et non en premier plan, notamment dans l’Epître aux Romains où la polémique contre les judaïsants est beaucoup moins présente que dans la Lettre aux Galates. On a commis l’erreur de réduire à un problème d’école, au sein du christianisme, ce qui était, pour l’Apôtre, une affirmation d’une portée bien plus grande et universelle.

Dans les descriptions des batailles médiévales il y a toujours un moment où, dépassant les archers, la cavalerie et tout le reste, la mêlée se concentre autour du roi. C’est là que se décidait l’issue finale de la bataille. Pour nous aussi aujourd’hui, la bataille se décide autour du roi. Comme au temps de Paul, la personne de Jésus Christ est l’enjeu véritable et non telle ou telle doctrine qui s’y rapporte, aussi importante soit elle. Le christianisme « est ou tombe » avec Jésus Christ et avec rien d’autre.

6. Oubliant le chemin parcouru

Dans la suite du texte autobiographique dans Philippiens 3, Paul nous propose un moyen pratique pour conclure notre réflexion : « Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait… je dis seulement ceci : oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le christ Jésus » (Ph 3, 12-14)

« Oubliant le chemin parcouru ». Quel « chemin parcouru » ? Celui du pharisien, dont il a parlé plus haut ? Non, le chemin parcouru en tant qu’apôtre, dans l’Eglise ! A présent le « gain » à considérer comme une « perte » est autre : c’est précisément d’avoir déjà une fois tout considéré comme une perte pour le Christ. Il était naturel de penser : « quel courage, ce Paul : abandonner une carrière de rabbin déjà si bien engagée pour une mystérieuse secte de Galiléens ! Et quelles lettres a-t-il écrit ! Combien de voyages a-t-il entrepris, combien d’églises a-t-il fondé ! »

L’Apôtre a senti de manière confuse le danger mortel de remettre entre le Christ et lui une « justice propre » dérivant des œuvres – cette fois les œuvres accomplies par le Christ – et il a réagi vigoureusement. « Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait, dit-il ». Saint François d’Assise dans une situation semblable, coupait court à toute tentation d’autosatisfaction, en disant : « Commençons, mes frères, à servir le Seigneur, car jusqu’à présent nous n’avons presque rien fait » (8).

Il s’agit là de la conversion la plus nécessaire à ceux qui ont déjà suivi le Christ et qui ont vécu à son service dans l’Eglise. Une conversion toute spéciale, qui ne consiste pas à abandonner le mal mais dans un certain sens, à abandonner le bien ! C’est-à-dire à se détacher de tout ce qui a été fait, en se répétant, selon la suggestion du Christ : « Nous sommes de simples serviteurs ; nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10). Et peut-être pas aussi bien que nous l’aurions dû !

Il existe un beau conte de Noël qui nous donne le désir d’arriver à Noël ainsi, avec le cœur pauvre et vide de tout. Parmi les bergers qui accoururent la nuit de Noël pour adorer l’Enfant, il y en avait un, tellement pauvre qu’il n’avait vraiment rien à offrir, et il en avait terriblement honte. Arrivés à la crèche, ils se pressaient tous pour offrir leurs cadeaux. Marie ne savait comment faire pour les prendre tous, étant donné qu’elle tenait l’Enfant dans ses bras. Voyant le berger les mains libres, elle lui confia Jésus. Sa chance a été d’être arrivé les mains vides. A un autre niveau, ce sera aussi la nôtre.

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(1) Il y a aujourd’hui qui voudrait voir dans l’expression « foi du Fils de Dieu », ou « foi du Christ », fréquente dans les écrits de Paul (Rm 3, 22.26 ; Ga 2, 16; 2,20; 3, 22; Ph 3, 9), un génitif subjectif, comme s’il s’agissait de la foi propre du Christ ou de la fidélité dont il fait preuve en se sacrifiant pour nous. Je préfère m’en tenir à l’interprétation traditionnelle, suivie également par des exégètes contemporains influents (Cf. Dunn, op. cit., pp. 380-386), qui voit dans le Christ l’objet et non le sujet de la foi ; non pas par conséquent la foi du Christ (en supposant que l’on puisse parler de foi en lui), mais la foi dans le Christ. C’est sur cette foi que l’Apôtre fonde sa vie et qu’il nous invite à fonder la nôtre.

(2) S. Agostino, Lo Spirito e la lettera, 32, 56 (PL 44, 237).

(3) S. Cirillo Al., Commento al vangelo di Luca, 22,26 (PG 72905).

(4) S. Tommaso, d’Aquino,
S.Th, I-IIae, q.113, a. 4.

(5) Bernardo di Chiaravalle, Sermoni sul Cantico, 61, 4-5 (PL 183, 1072).

(6) Cyrille de Jérusalem, Catechesi V, 10 ( PG 33, 517).

(7) Cf. J. D.G. Dunn, La teologia dell’apostolo Paolo, Brescia, Paideia, 1999, p.421.

(8) Celano, Vita prima, 103 (Fonti Francescane, n. 500).

[Texte original : italien – Traduction réalisée par Zenit]

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ZENIT Staff

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