« Je pense que Fabianus Tibo, Marianus Riwu et Dominggus da Silva ne sont pas les meneurs des émeutes de Poso. Ils sont eux aussi victimes des émeutes. A mon sens, la peine de mort n’est pas la sentence adaptée à leur cas. » C’est en ces termes que, le 20 novembre dernier, Mgr Joseph Suwatan, évêque du diocèse catholique de Manado, à Célèbes, a fait connaître son opinion quant au sort de trois catholiques condamnés à mort en 2001 pour le meurtre de musulmans, commis en mai et juin 2000, et dont le recours en grâce a été rejeté, le 10 novembre dernier, par le président de la République, Susilo Bambang Yudhoyono. Ayant épuisé tous les recours possibles, les trois hommes devraient être fusillés prochainement, même si aucune date n’a été rendue publique quant à l’exécution de la sentence.

Pour l’évêque de Manado, dont le diocèse couvre la région de Poso, marquée par des heurts meurtriers de 1998 à 2001 entre les communautés musulmane et chrétienne, Fabianus Tibo et ses amis sont des paysans simples et peu éduqués, venus chercher meilleure fortune dans la région de Poso et qui sont victimes des émeutes auxquelles ils y ont participé. L’évêque a rappelé que Tibo, 60 ans, Riwu, 48 ans, et da Silva, 42 ans, étaient originaires de l’île très majoritairement catholique de Florès. Dans le cadre des programmes gouvernementaux de transmigration, destinés à fournir des terres aux Indonésiens des îles relativement surpeuplées, ils ont migré en 1973 dans la province de Célèbes-Centre, s’installant à Beteleme, communauté rurale située à une quarantaine de kilomètres de Poso et rattachée à la paroisse Ste Thérèse de Poso. « Ils appartiennent à une communauté catholique qui est minoritaire dans ce district », a souligné Mgr Joseph Suwatan.

Selon l’évêque, les catholiques n’ont pas pris part aux heurts qui ont ensanglanté la région de Poso, « mais ils ont été victimes des émeutes après la destruction totale, par incendie, de l’église paroissiale de Ste Thérèse, de son presbytère, du couvent de religieuses, des écoles catholiques et des salles qui y étaient rattachés ».

Le P. Johannes Lengkong, secrétaire de Mgr Suwatan, a ajouté que, pour l’évêque, seule la prière pouvait désormais sauver les trois hommes, leur seul espoir d’échapper à la mort étant de voir les sentences capitales commuées en peines de prison à vie. Il a précisé que, si le rejet de la grâce présidentielle était source de tristesse, le diocèse n’apportait pas son soutien au recours à la violence. « Cela ne signifie pas que le diocèse défende ou justifie leurs actions. Le diocèse veut uniquement que le plein et entier respect de la loi, qui garantit la justice, soit observé », a déclaré le prêtre.

A la paroisse Ste Thérèse, le curé, le P. Jimmy Tumbelaka, témoigne des visites qu’il a rendues en prison à Tibo et ses deux co-détenus. « En dépit du fait qu’il est illettré, Tibo est un homme sage, humble et spirituel. Par la prière, il guérit. Il a guéri de nombreux musulmans dans et hors de la prison, y compris des membres de l’administration pénitentiaire », remarque-t-il. Le P. Tumbelaka a par ailleurs rencontré Hasyim Muzadi, président de la Nahdlatul Ulama, la plus importante organisation musulmane de masse du pays, et celui-ci ne l’a pas découragé lorsqu’il lui a fait part de son désir d’alerter l’opinion internationale sur le sort des trois catholiques condamnés à mort.

Au Centre de crise du Synode des Eglises protestantes des Célèbes-Centre et -Nord, l’annonce du rejet de la grâce présidentielle a été accueillie avec tristesse. « Tibo et ses amis ont été condamnés pour l’exemple, a déclaré sa présidente, Mona Saroinsong. Les responsables de l’appareil de sécurité les ont arrêtés avec une idée en tête : paralyser les chrétiens. » Bien que des musulmans aient été impliqués dans les actes de violence pour lesquels les trois catholiques ont été condamnés, aucun musulman n’a été déféré devant la justice pour cela.

(1) A propos des violences intercommunautaires des années 1998-2001, de la résolution du conflit par les accords dits de « Malino I » et les violences sporadiques qui ont éclaté depuis à Poso, voir EDA 346, 347, 348, 349, 351, 358, 383, 393, 394,395, 420. Dans la même région de Poso, le 29 octobre 2005, trois lycéennes chrétiennes ont attaqué et décapité, provoquant la crainte – infondée à ce jour – d’une nouvelle flambée de violence (voir EDA 429).