ROME, Lundi 28 Novembre 2005 (ZENIT.org) – Le Père Patrick Giros, prêtre du diocèse de Paris et fondateur de l’association « Aux Captifs, la Libération » (www.captifs.asso.fr) est décédé il y a trois ans, le 28 novembre 2002. Une occasion de lui rendre hommage et de mettre son œuvre en lumière.
« Aller dans la rue deux par deux à la rencontre des hommes et des femmes qui y vivent, réveiller leur désir de se mettre à nouveau en route, les accompagner dans un chemin de libération et d’insertion, telle est l’action de l’association « Aux Captifs, la Libération » », explique le site en ligne.
Une œuvre d’actualité en ces jours où le froid a recommencé à tuer dans les rues : une vingtaine d’associations au contact de la rue témoignent de nombreux décès chez les personnes en très grande errance et dénoncent les conditions de leur sépulture.
Le texte ci-dessous a été lu lors des obsèques du P. Giros célébrées par le cardinal Lustiger à l’église Saint-Leu Saint-Gilles à Paris. Il a été construit en recueillant, auprès de ses proches, de membres de l’association, et surtout d’amis de la rue, ce qui pouvait le mieux évoquer le P. Patrick.
« Je ne sais pas, Patrick, comment tu accueilles notre belle assemblée. Peut-être avec un peu d’agacement, toute cette foule et tous ces honneurs devant heurter ton humilité et ta pudeur; mais très sûrement aussi avec satisfaction, parce que cette célébration nous donne l’occasion de réaliser ce qui t’est si cher : faire communion, faire Eglise.
« Oui, voilà réunie autour de toi l’Eglise telle que, toute ta vie de prêtre, tu t’es efforcé de la construire : une Eglise constituée de chrétiens, de bonne ou moins bonne vertu (pour reprendre ton expression), de paroissiens, d’acteurs des pouvoirs publics, de personnes ouvertes aux pauvretés, et aussi et surtout d’amis de la rue.
« Cette rue où tu as commencé à rencontrer, il y a 30 ans, des loubards, et où progressivement tu découvres l’explosion et les ravages de la drogue, la prostitution, le travestisme, le transsexualisme, les errances du centre-ville, les galères urbaines de cette fin de siècle, les nouvelles misères de la ville, et plus récemment le phénomène des enfants des rues. Tu as voulu « Aux captifs la libération » avant tout chrétienne, pour donner cette dimension spirituelle à la rencontre ; tu l’as voulue aussi plantée dans les paroisses, pour donner visibilité d’Eglise.
« Tout au long de la croissance du mouvement, ton intuition initiale se creuse, et l’organisation se structure, s’affine pour s’adapter aux évolutions permanentes de la rue. Le projet des « morts de la rue » illustre peut-être plus que tous le caractère radical et ultime du respect que tu portes aux pauvres.
« Rappeler cela est important, mais l’essentiel est dans tout ce qui ne se dit pas, ou si maladroitement : dans tous ces visages que tu as regardés, ces joues que tu as embrassées, ces lèvres que tu as fait sourire, ces larmes que tu as taries, ces mains que tu as serrées, ces corps que tu as enterrés, ces âmes que tu as bénies ou baptisées.
« Et toujours, ton intelligence et ton cœur de prêtre se laissaient interrogés par la rencontre. Ainsi, avec ton regard de sociologue, tu interprétais nos erreurs, nos limites, et nos peurs, à l’aune de la misère des pauvres. Chercher ce que les personnes de la rue nous révèlent était pour toi une occasion de conversion, tant pour la société que pour l’Eglise elle-même. Ton cœur aussi ne restait pas indemne de la rencontre avec l’autre, et révélait ce que tu étais : homme de révolte et homme des Béatitudes.
« Homme de révolte, Patrick, quand tu rentrais dans tes colères ; mais ne nous y trompons pas, elles étaient bien souvent en lien avec ce que tu pensais être des résistances chez ton interlocuteur à entendre le cri des pauvres que tu portais. Elles exprimaient ton indignation devant l’injustice du monde et ses futilités, et devant nos difficultés à l’entendre et à les discerner. Une personne de la rue me disait : » il avait mal à son cœur de la dureté du cœur des autres « .
« Homme des Béatitudes (Mt 5, 1-12) surtout : Béatitude de pauvreté de cœur, de douceur, de soif de justice, de miséricorde, Béatitude de pureté de cœur, Béatitude de paix, mais aussi homme de la dernière Béatitude, celle des insultes et des calomnies, dont tu as été victime et qui t’ont tant meurtri.
« Je me ferai aussi l’écho, Patrick, de ces paroles que tu aimes tant, de ces paroles que certains de la rue veulent t’adresser, et qui diront autrement quel homme tu étais :
» L’amour du Christ avec Patrick, c’est pas les trompettes de Jéricho, mais c’est une brise légère »
» Patrick, il m’a donné des souvenirs »
» Tu m’as plus aimé que jamais je me suis aimé moi-même «
» Il a caressé mon âme et m’a donné la force de continuer »
» Il est délicat sur des choses invisibles aux yeux des autres »
» Pour moi, Patrick, c’est un père de famille nombreuse « .
« Et brusquement, dans la nuit, ce père est parti. Grâce à la compétence du personnel du service de réanimation pneumologique de l’hôpital de la Pitié-Salpétrière, trois semaines se sont écoulées avant le départ définitif. Trois semaines pendant lesquelles certains ont pu une dernière fois prier en ta présence, te parler tel qu’ils ne l’avaient peut-être jamais fait, te chérir, te dire au revoir …
« Toute ta vie de prêtre, tu auras cherché le Christ souffrant chez les plus pauvres, tu auras été pour eux l’icône du Christ aimant. Aujourd’hui, tu passes avec le Christ par la mort. Et je pense à ce passage de l’Evangile que tu évoquais si souvent, celui de la Samaritaine, à qui Jésus demande de l’eau … Désormais, c’est à la véritable source, à la source des sources que tu vas puiser, à » la source jaillissant en vie éternelle » (Jn 4, 14).
« Patrick, il me plaît d’imaginer qu’au moment d’entrer dans l’éternité, tu es accueilli sur le seuil par tous tes amis de la rue qui t’y ont précédé ; deux d’entre eux s’approchent de toi, et te prenant chacun par une main, ils t’introduisent, avec amour, dans la paix éternelle.
Jean-Guilhem Xerri
Vice-président de Aux Captifs, la Libération »