ROME, Mercredi 9 Novembre 2005 (ZENIT.org) – Dans le sillage de Vatican II et au cœur d’une « actualité préoccupante » : voici le texte intégral du discours de clôture de l’assemblée des évêques de France, prononcé ce mercredi à Lourdes par Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la conférence des évêques de France.
DISCOURS DE CLÔTURE
DE L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DES ÉVÊQUES DE FRANCE
Le 8 décembre prochain, nous fêterons le 40e anniversaire de la clôture du Concile Vatican II. A quarante ans de distance, nous pouvons rendre grâce à Dieu pour tout le dynamisme apostolique qu’il a suscité dans notre Eglise. Son enseignement reste une lumière sur notre route. La veille de la célébration finale, le 7 décembre, était promulguée la Constitution pastorale Gaudium et spes dont nous connaissons bien les premières lignes : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (n. 1). Cette conviction reste profondément la nôtre aujourd’hui. C’est parce que nous nous sentons pleinement solidaires des hommes de ce temps que nous avons voulu donner toute leur place dans la prière et la réflexion de notre Assemblée aux événements qui marquent dramatiquement, ces jours-ci, la vie sociale de notre pays.
Une actualité préoccupante
La déclaration que j’ai publiée samedi dernier au nom de notre Assemblée a exprimé la vive préoccupation qui est la nôtre devant la multiplication des actes de violence et de destruction que connaissent nombre de grandes agglomérations. Deux d’entre nous ont regagné dès lundi leur diocèse, manifestant ainsi le souci de l’ensemble des évêques devant cette situation.
Nous ne pouvons, une nouvelle fois, que condamner l’usage de la violence et marquer notre compassion auprès de ceux qui en sont les victimes, en particulier les plus modestes qui ont perdu leur outil de travail ou leur moyen de déplacement. Nous voulons aussi souligner la difficulté du travail des forces de l’ordre, des pompiers, des services publics et des élus locaux pour accomplir leur mission avec le sang froid nécessaire dans ces circonstances.
L’ordre doit être rétabli. Mais nous avons aussi rappelé que la seule répression et l’incitation à la peur collective n’étaient pas une « réponse à la hauteur de ces tensions dramatiques de notre société » et qu’il « était vital d’ouvrir à ces nouvelles générations, souvent en mal d’espoir, un avenir de liberté, de dignité et de respect de l’autre ». Si « beaucoup ne baissent pas les bras », nous avons un devoir impérieux de soutenir tous ceux – parents, éducateurs, enseignants, animateurs sociaux, associations, prêtres, religieux et religieuses – qui œuvrent, patiemment et souvent dans la discrétion, pour un vivre ensemble fraternel.
Il n’en demeure pas moins que les événements de ces jours-ci doivent tous nous interroger. Nos choix, individuels et collectifs, concernant l’organisation de la vie en société, peuvent nous conduire, de fait, à créer ou entériner des situations d’exclusion ou de ghetto. La responsabilité collective est du ressort des décideurs politiques et économiques. Mais elle interpelle aussi la conscience de chacun. L’égalité et la fraternité, conditions effectives de la liberté, sont dans les mains de tous.
La collaboration de tous : pour une laïcité de participation
C’est dans ce contexte que va être commémoré, le 9 décembre prochain, le centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Cent ans après, quel changement de situation ! Il y a un siècle, les politiques, fiers d’un idéal républicain, formaient le dessein de libérer le domaine public, et même la société, de ce qui leur apparaissait comme une mainmise de l’Eglise catholique. Aujourd’hui, c’est cette même société qui est fissurée et les valeurs républicaines fragilisées. Le vivre ensemble de populations diverses sur notre sol français n’est plus évident. On a besoin de la participation de tous et de toutes les composantes de notre pays pour renforcer ce vivre ensemble. Les Eglises et les religions, à partir des traditions qui leur sont propres, ont un rôle important à jouer pour rapprocher les cœurs et les esprits, pour inviter à la paix, au respect de la dignité de chacun, à la conversion des styles de vie.
La dernière rencontre interreligieuse organisée par la Communauté Sant’Egidio à Lyon, en septembre dernier, en a été une expression particulièrement significative. Ceux qui veulent écarter les religions de l’espace social et les enfermer dans le seul domaine des convictions privées se trompent de siècle. Sans remettre en question les grands équilibres trouvés au cours d’un siècle d’application de la loi de 1905, nous voulons, comme catholiques, apporter notre pierre à l’édification, sans cesse à reprendre, de notre unité nationale. Nous ne pouvons que rappeler les convictions que nous exprimions le 15 juin dernier : « [l’Eglise] ne souhaite pas s’enfermer dans la défense de ses intérêts communautaires mais contribuer à promouvoir la dignité intégrale de chaque personne humaine dans notre vie sociale, ainsi que la paix et la justice dans notre société. Elle apporte avec d’autres sa participation dans les domaines divers : la solidarité, la culture, le vivre ensemble dans les cités, la participation à de multiples associations, la présence dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la politique, le soutien aux familles, la consolidation des liens avec l’ensemble des Eglises chrétiennes et les autres religions… Mais elle offre surtout ce qu’elle a en propre et qui est sa raison d’être : faire connaître le Christ, source de renouvellement intérieur et de fraternité ouverte à tous » (Déclaration des Evêques de France : L’Eglise catholique et la loi du 9 décembre 1905, cent ans après, n° 16).
Notre Assemblée plénière avait inscrit trois grands dossiers à son programme de travail. Elle est arrivée sur chacun d’entre eux à des conclusions opérationnelles.
La catéchèse
Nous avons voté et adopté le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France qui précise les grandes convictions et les points d’attention qui doivent guider la proposition catéchétique aujourd’hui. Ce texte se veut une mise en application, dans la situation française actuelle, du Directoire général pour la catéchèse, publié à Rome en 1997. Il souligne la situation d’évangélisation, et souvent de première évangélisation, dans laquelle se fait aujourd’hui la catéchèse. Sans ignorer l’importance qu’a l’éducation permanente de la foi pour tous les baptisés, il promeut une pédagogie qui soit vraiment au service de l’initiation, c’est-à-dire de l’entrée dans l’expérience chrétienne. Il propose d’accompagner pas à pas ceux qui la découvrent et qui sont invités à intégrer dans leur propre démarche de foi ces éléments structurants de toute expérience chrétienne :
une connaissance du Christ, le Fils bien-aimé du Père, qui nous fait vivre de l’Esprit,
une entrée dans la prière, la célébration et la vie sacramentelle,
une découverte de l’Eglise et de la vie ecclésiale,
un apprentissage à une conversion de l’existence pour vivre en fidélité à l’Evangile.
Ce Texte national sera soumis, comme il se doit (cf. Directoire général n° 282), à l’approbation de la Congrégation du clergé avant d’être promulgué par la Conférence des évêques de France. Sa version officielle ne sera publiée qu’après sa promulgation. Mais les réflexions q
ui sont sous-jacentes à son élaboration peuvent nourrir dès maintenant notre propre réflexion comme évêques diocésains.
En effet, c’est dans les diocèses que doit se poursuivre dorénavant le travail. Le Directoire général demande à chaque évêque d’« établir dans le diocèse un projet global de catéchèse, articulé et cohérent, qui réponde aux vrais besoins des fidèles et soit convenablement situé dans les plans pastoraux diocésains » (n° 223). Si le travail n’a pas été fait, ou si ayant été fait il a besoin d’être actualisé, un chantier peut s’ouvrir au niveau de nos diocèses, celui de l’élaboration d’orientations diocésaines. Celles-ci gagneront à être travaillées avec l’équipe diocésaine de catéchèse, les curés, les prêtres, les catéchistes, les différents animateurs ou animatrices d’aumôneries scolaires. Il sera bon d’y associer aussi des conseils du diocèse et les communautés chrétiennes. Je pense tout particulièrement à celles qui se sont mobilisées dans la réflexion : « Aller au cœur de la foi ». La réalisation prendra des formes diverses. Certains diocèses, par exemple, préfèreront se mettre ensemble dans le cadre d’une province pour mener à bien une telle opération. Alors, bon travail à tous !
L’Assemblée plénière a également adopté un document de Propositions pour l’organisation catéchétique. Sans avoir le même statut que le Texte national, il devrait aider à la réflexion et contribuer à donner des idées pour une mise en œuvre catéchétique renouvelée. L’échelon diocésain pour ce travail est important mais il ne pourra pas tout réaliser par lui-même. C’est pourquoi des commandes ont été passées à la Commission épiscopale de la catéchèse et du catéchuménat pour élaborer d’autres documents au service des diocèses.
La catéchèse nécessite organisation, documents, acteurs, politique pastorale. Mais elle a surtout besoin d’être traversée par une passion, celle d’annoncer le Christ, de conduire à lui, de le faire découvrir afin que se forme en chacun cette profession de foi qui faisait dire à l’apôtre Pierre : « A qui irions-nous, Seigneur ? C’est toi qui as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68). Merci à tous ceux et celles qui œuvrent dans ce grand champ de la catéchèse et qui partagent avec nous cette passion du Christ et de son Evangile.
La réforme des structures de notre Conférence
La réforme des structures de notre Conférence a fait un pas de plus au cours de cette Assemblée. En effet, ces journées de travail ont permis aux évêques, membres des commissions épiscopales et des conseils, d’envisager leur nouvelle manière de travailler. En particulier, nous avons précisé le mode d’exercice de notre responsabilité auprès des services nationaux, des mouvements et associations de fidèles. La mise en œuvre de la réforme des structures peut ainsi trouver sa finalité : nous aider dans la tâche qui est la nôtre, comme évêques, celle de servir au mieux et collégialement la vie et la mission de l’Eglise en France. Nous sommes bien conscients que c’est de cela qu’il s’agit : favoriser l’exercice collégial de notre ministère et dynamiser l’évangélisation aujourd’hui dans notre pays.
En avril prochain, nous donnerons aux services nationaux leurs cahiers des charges, élaborés d’ici là dans la concertation et le respect des responsabilités de chacun. Nous avancerons également dans la mise en œuvre des décisions concernant les structures juridiques des services nationaux et, déjà, une proposition de réécriture des statuts de notre Conférence nous sera proposée.
Nous savons bien qu’aucune réforme des structures ne porte ses fruits de façon magique. C’est la volonté et le dynamisme des personnes qui seuls le permettent. Aussi faut-il rendre hommage à tous ceux et celles qui, sous des statuts divers, dans nos services, au sein de nos conseils et dans les mouvements de fidèles, accomplissent de belle manière leurs responsabilités et témoignent d’un réel sens ecclésial.
La préparation du travail futur de nos Assemblées
Le Comité Etudes et Projets nous avait proposé une liste de huit fiches de travail. Nous en avons choisi trois à approfondir en priorité.
Trois différences structurantes de la vie sociale :
homme/femme, père/mère, frère/sœur
Nous avons besoin aujourd’hui de points de repère. Les ressources combinées de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie, de la psychologie et de la théologie morale seront sollicitées pour comprendre et manifester le caractère structurant, aussi bien pour la construction de la personnalité individuelle que pour la vie sociale, des rapports homme/femme, père/mère, frère/sœur. Qui ne voit que ces questions sont au cœur de bien des débats dans notre société !
Il s’agira de conjuguer le respect de la dignité de chaque personne humaine, quelles que soient ses tendances et la conscience de son identité, avec l’affirmation selon laquelle la différence se trouve au cœur de toute vie familiale et sociale.
Ministère des prêtres et vie des communautés chrétiennes
Cette question n’est pas nouvelle. Elle se repose régulièrement à chaque changement d’époque et de mutation dans la société. Mais elle a aujourd’hui une acuité particulière. A cause de leur baisse numérique et des transformations qui marquent leur environnement culturel et social, les prêtres ressentent fortement ces évolutions. Le champ de leur ministère s’agrandit. La responsabilité pastorale devient plus lourde. Cela a des répercussions sur leur équilibre de vie et sur l’équilibre de leur ministère apostolique. Tous les diocèses sont concernés.
Mais cette question du ministère des prêtres ne peut se réfléchir sans relation aux communautés chrétiennes et au peuple auquel ces prêtres sont envoyés. Il sera ainsi utile de s’interroger sur ce qu’est une communauté chrétienne, ses caractéristiques, sa mission propre, en sorte qu’elle porte un authentique témoignage apostolique.
Dans ce contexte, le ministère des prêtres a besoin d’être précisé et soutenu. Pasteurs et apôtres, les prêtres sont invités, pour le service des hommes, à trouver de nouvelles manières d’exercer leur ministère. Ce travail devrait offrir des points de clarification et des pistes de réflexion.
La mission de l’enseignement catholique dans l’Eglise et dans la société
Soutenir et orienter la mission de l’enseignement catholique dans l’Eglise et dans la société fait partie de notre responsabilité de pasteurs. Aujourd’hui comme hier, nous mesurons le rôle considérable joué par cette institution, notamment dans le domaine de l’éducation et de la construction du lien social.
Ouvert à tous, respectueux de la conscience de chacun, l’enseignement catholique ne doit pas perdre son âme. Il doit faire entendre aussi sa
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différence – ce qu’on appelle le « caractère propre » –, à savoir un projet éducatif inspiré de l’Evangile et une proposition explicite de la foi chrétienne.
Ce travail sur l’enseignement catholique en France nous permettra de réaffirmer, et même de préciser, sa mission spécifique. Nous relèverons les points sensibles de l’application du statut de l’enseignement catholique de 1992, en proposant, si cela s’avère nécessaire, qu’il soit corrigé ou complété. Il est évident que cette réflexion sera faite en associant le secrétariat général de l’enseignement catholique à cette évaluation et à cette révision. Notre travail doit être prospectif, ouvert sur l’avenir. Nous aurons à envisager comment soutenir le développement de l’enseignement catholique dans notre pays, sans oublier l’enseignement supérieur.
Je remercie Mgr Jean-Louis Bruguès, Mgr Albe
rt Rouet et Mgr Eric Aumonier d’avoir accepté d’être les responsables de chacun de ces groupes de travail.
L’ouverture sur l’universel
Nous avons invité cette année deux évêques africains à participer à notre Assemblée : Mgr Nicolas Djomo Lola, évêque de Tshumbe, président de l’Association des Conférences épiscopales de l’Afrique centrale, et Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kisangani et président de la Conférence épiscopale de la République démocratique du Congo. Leur présence, leur prise de parole, la conférence faite par Mgr Monsengwo Pasinya ont renforcé nos liens avec l’Eglise d’Afrique et tout particulièrement avec celle qui vit dans cette région de l’Afrique des Grands Lacs. Ils nous ont donné de pouvoir respirer à pleins poumons un souffle puissant de catholicité. Qu’ils en soient vivement remerciés !
Ils nous ont ainsi préparés à vivre la fête de la proche béatification, à Rome, dimanche prochain, du Père Charles de Foucauld. Que l’ermite de Tamanrasset nous aide à vivre à notre tour cette passion du Christ, de l’eucharistie et de l’accueil du frère qui a brûlé si intensément son cœur. Oui, que ce « frère universel » aide chacun dans notre Eglise à devenir toujours davantage le frère de tous !
† Jean-Pierre Ricard
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence
des évêques de France