ROME, Mercredi 24 août 2005 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a adressé aux représentants de différentes confessions chrétiennes, le vendredi 19 août dans le cadre des Journées mondiales de la Jeunesse de Cologne, incluant ses improvisations.
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Chers frères et chères sœurs!
Après une journée chargée, permettez-moi de rester assis. Cela ne signifie que je désire parler «ex cathedra». Je m’excuse également de mon retard. Malheureusement les Vêpres ont pris plus de temps que prévu et la circulation a été plus lente que l’on ne pouvait imaginer. Je désire à présent exprimer ma joie de pouvoir, à l’occasion de ma visite en Allemagne, vous rencontrer et vous saluer très cordialement, vous les représentants des autres Eglises et Communautés ecclésiales.
Provenant moi-même de ce pays, je connais bien la situation pénible que la rupture de l’unité dans la profession de la foi a comportée pour tant de personnes et tant de familles. C’est aussi pour cette raison que, aussitôt après mon élection comme Evêque de Rome, qui est Successeur de l’Apôtre Pierre, j’ai manifesté ma ferme intention de prendre comme une priorité de mon Pontificat le retour à la pleine et visible unité des chrétiens. Ainsi j’ai consciemment voulu suivre les traces de deux de mes grands prédécesseurs: Paul VI qui, il y a désormais plus de quarante ans, a signé le Décret conciliaire sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio et Jean-Paul II, qui fit ensuite de ce document le critère inspirateur de son action. Dans le dialogue œcuménique, la place de l’Allemagne revêt sans aucun doute une importance particulière. Nous sommes le pays d’origine de la Réforme; mais l’Allemagne est aussi l’un des pays d’où est parti le mouvement œcuménique du vingtième siècle. A la suite des flux migratoires du siècle dernier, des chrétiens des Eglises orthodoxes et des anciennes Eglises d’Orient ont trouvé dans ce pays une nouvelle patrie. Cela a indubitablement favorisé la confrontation et l’échange, si bien qu’il existe à présent entre nous un dialogue à trois. Ensemble, nous nous réjouissons de constater que le dialogue, au fil du temps, a suscité une redécouverte de notre fraternité et a créé entre les chrétiens des diverses Eglises et Communautés ecclésiales un climat plus ouvert et plus confiant. Dans son encyclique Ut unum sint (1995), mon vénéré Prédécesseur a justement vu en cela un fruit particulièrement significatif du dialogue (cf. nn. 41s; 64).
Je pense, par ailleurs, qu’il n’est pas si évident que cela que nous nous considérions véritablement frères, que nous nous aimions, que nous nous sentions ensemble témoins de Jésus Christ. Cette fraternité est en soi, comme je le crois, un fruit très important du dialogue, dont nous devons nous réjouir et que nous devrions continuer à entretenir et à pratiquer.
La fraternité entre les chrétiens n’est pas simplement un vague sentiment et elle ne naît pas non plus d’une forme d’indifférence envers la vérité. Elle est fondée — ainsi que vous venez de le dire, cher Monseigneur — sur la réalité surnaturelle de l’unique Baptême, qui nous insère tous dans l’unique Corps du Christ (cf. 1 Co 12, 13; Ga 3, 28; Col 2, 12). Ensemble nous confessons Jésus Christ comme Dieu et Seigneur; ensemble nous le reconnaissons comme unique médiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1 Tm 2, 5), soulignant notre commune appartenance à lui (cf. Unitatis redintegratio, n. 22; Ut unum sint, n. 42). Sur ce fondement essentiel du Baptême, qui est une réalité qui vient de Lui, une réalité dans l’être et puis dans la profession de foi, dans la croyance et dans l’action, à partir de ce fondement décisif, le dialogue a porté ses fruits et continuera de le faire. Je voudrais mentionner le réexamen, souhaité par le Pape Jean-Paul II durant sa première visite en Allemagne des condamnations réciproques. Je pense avec un peu de nostalgie à cette première visite. J’ai pu être présent lorsque nous étions ensemble à Mayence dans un cercle relativement restreint et authentiquement fraternel. Des questions furent posées et le Pape élabora une grande vision théologique, dans laquelle la réciprocité trouvait sa place. De cet entretien naquit ensuite la commission au niveau épiscopal c’est-à-dire ecclésial, sous la responsabilité ecclésiale, qui avec l’aide des théologiens conduisit finalement au résultat important de la «Déclaration commune sur la doctrine de la justification» de 1999 et à un accord sur des questions fondamentales qui, depuis le seizième siècle, étaient objet de controverses. Il faut ensuite reconnaître avec gratitude les résultats constitués par les diverses prises de position communes sur d’importants sujets tels que les questions fondamentales sur la défense de la vie et sur la promotion de la justice et de la paix. Je suis bien conscient que beaucoup de chrétiens en Allemagne, et pas seulement ici, s’attendent à de nouveaux pas concrets de rapprochement, et je les attends moi aussi. En effet, c’est le commandement du Seigneur, mais aussi l’impératif du moment présent, de continuer le dialogue de manière convaincue, à tous les niveaux de la vie de l’Eglise. Cela doit évidemment se réaliser avec sincérité et réalisme, avec patience et persévérance, dans la pleine fidélité aux préceptes de la conscience, dans la conviction que c’est le Seigneur qui, ensuite, donne l’unité, que ce n’est pas nous qui la créons, que c’est à Lui de la donner, mais que nous devons aller à sa rencontre.
Je n’entends pas développer ici un programme pour les thèmes immédiats du dialogue. Cela est la tâche des théologiens en collaboration avec les Evêques: les théologiens sur la base de leur connaissance du problème, les Evêques à partir de leur connaissance de la situation concrète des Eglises dans notre pays et dans le monde. Qu’il me soit permis seulement de faire une petite remarque: on dit qu’à présent, après l’éclaircissement relatif à la Doctrine de la justification, l’élaboration des questions ecclésiologiques et des questions relatives au ministère serait l’obstacle principal restant à surmonter. En définitive cela est vrai, mais je dois dire également que je n’aime pas cette terminologie ni, d’un certain point de vue, cette délimitation du problème, puisqu’il semble que nous devrions à présent débattre des institutions plutôt que de la Parole de Dieu, comme si nous devions mettre au centre nos institutions et mener une guerre à cause d’elles. Je pense que de cette manière le problème ecclésiologique tout comme celui du «ministerium» ne sont pas affrontés correctement. La question véritable est la présence de la Parole dans le monde. L’Eglise primitive au deuxième siècle a pris une triple décision: tout d’abord celle d’établir le canon, en soulignant de cette manière la souveraineté de la Parole et en expliquant que non seulement l’Ancien Testament est «hai graphai», mais que le Nouveau Testament constitue avec lui une unique Ecriture et, de cette manière, est pour nous le souverain véritable. Mais dans le même temps, l’Eglise a formulé la succession apostolique, le ministère épiscopal, dans la conscience que la Parole et le témoin vont de pair, c’est-à-dire que la Parole n’est vivante et présente que grâce au témoin et, pour ainsi dire, reçoit de lui son interprétation, et que réciproquement, le témoin n’est tel que s’il témoigne de la Parole. Et enfin, l’Eglise a ajouté comme troisième chose la «regula fidei» comme clé d’interprétation. Je crois que cette compénétration réciproque constitue un objet de dissension entre nous, même si nous sommes unis sur des choses fondamentales. Par conséquent lorsque nous parlons d’ecclésiologie et de ministère, nous devrions plutôt parler de cet entrelacs entre Parole, témoin et règle de foi et le considérer comme une question e
cclésiologique et donc ensemble comme une question de la Parole de Dieu, de sa souveraineté et de son humilité, puisque le Seigneur confie sa Parole aux témoins et concède l’interprétation qui doit toutefois être toujours mesurée à la «regula fidei» et au sérieux de la Parole. Excusez-moi si j’ai exprimé ici une opinion personnelle, mais il me semblait juste de le faire.
Une priorité urgente dans le dialogue œcuménique est ensuite constituée par les grandes questions éthiques posées par notre temps; dans ce domaine les hommes d’aujourd’hui en recherche s’attendent à juste titre à une réponse commune de la part des chrétiens, qui, grâce à Dieu, en de nombreux cas a été trouvée. Il existe un si grand nombre de déclarations communes de la Conférence épiscopale allemande et de l’Eglise évangélique en Allemagne, que nous ne pouvons qu’en être reconnaissants. Mais malheureusement cela n’arrive pas toujours. A cause de contradictions dans ce domaine le témoignage évangélique et l’orientation éthique que nous devons aux fidèles et à la société perdent de leur force, prenant souvent des caractéristiques vagues, et ainsi nous manquons à notre devoir de donner à notre temps le témoignage nécessaire. Nos divisions sont en contradiction avec la volonté de Jésus et font que nous ne sommes plus crédibles devant les hommes. Je pense que nous devrions nous engager avec une énergie et un dévouement renouvelés à rendre un témoignage commun dans le cadre de ces grands défis éthiques de notre temps.
Et à présent demandons-nous: que signifie rétablir l’unité de tous les chrétiens? Nous savons tous qu’il existe de nombreux modèles d’unité et vous savez aussi que l’Eglise catholique a en vue d’atteindre la pleine unité visible des disciples de Jésus Christ selon la définition qu’en a donnée le Concile œcuménique Vatican II dans divers de ses documents (cf. Lumen gentium, nn.8; 13; Unitatis redintegratio, nn. 2; 4 etc.). Cette unité, selon notre conviction, subsiste, oui, dans l’Eglise catholique sans possibilité d’être perdue (cf. Unitatis redintegratio, n. 4); l’Eglise en effet n’a pas totalement disparu du monde. D’autre part, cette unité ne signifie pas ce que l’on pourrait appeler un œcuménisme du retour: c’est-à-dire renier et refuser sa propre histoire de foi. Absolument pas! Cela ne signifie pas uniformité de toutes les expressions de la théologie et de la spiritualité, dans les formes liturgiques et dans la discipline. Unité dans la multiplicité et multiplicité dans l’unité: dans l’homélie pour la solennité des saints apôtres Pierre et Paul, le 29 juin dernier, j’ai souligné que pleine unité et vrai catholicité, au sens originel du mot, vont de pair. Une condition nécessaire pour que cette coexistence se réalise est que l’engagement pour l’unité se purifie et se renouvelle continuellement, croisse et mûrisse. Le dialogue peut apporter sa contribution à cet objectif. Il est plus qu’un échange de pensées, qu’une entreprise académique: il est un échange de dons (cf. Ut unum sint, n. 28), dans lequel les Eglises et les Communautés ecclésiales peuvent mettre leurs trésors à la disposition des uns et des autres (cf. Lumen gentium, nn. 8; 15; Unitatis redintegratio, nn. 3; 14s; Ut unum sint, nn. 10-14). C’est bien grâce à cet engagement que le chemin peut continuer pas à pas, jusqu’au moment où, finalement, comme le dit la Lettre aux Ephésiens, nous arriverons « tous ensemble à l’unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ » (Ep 4, 13). Il est évident qu’un tel dialogue ne peut en définitive se développer que dans un contexte de spiritualité sincère et cohérente. Nous ne pouvons pas «faire» l’unité par nos seules forces. Nous pouvons seulement l’obtenir comme un don de l’Esprit Saint. L’œcuménisme spirituel, c’est-à-dire la prière, la conversion et la sanctification de la vie, constituent donc le cœur de la rencontre et du mouvement œcuménique (cf. Unitatis redintegratio, n. 8; Ut unum sint, nn.15s; 21, etc.). On pourrait dire aussi: la meilleure forme d’œcuménisme consiste à vivre selon l’Evangile.
Je souhaite moi aussi dans ce contexte rappeler le grand pionnier de l’unité, le Frère Roger Schutz, qui a été arraché à la vie de manière si tragique. Je le connaissais personnellement depuis longtemps et j’avais avec lui une relation de cordiale amitié. Il m’a souvent rendu visite et, comme je l’ai déjà dit à Rome, le jour de sa mort j’ai reçu une lettre de lui qui m’est restée dans le cœur parce que dans celle-ci il soulignait son adhésion à mon cheminement et il m’annonçait vouloir venir me rendre visite. A présent il nous rend visite de là-haut et il nous parle. Je pense que nous devrions l’écouter, écouter de l’intérieur son œcuménisme vécu spirituellement et nous laisser conduire par son témoignage vers un œcuménisme intériorisé et spiritualisé.
Je vois un motif réconfortant d’optimisme dans le fait qu’aujourd’hui se développe une sorte de « réseau » de liens spirituels entre catholiques et chrétiens des diverses Eglises et Communautés ecclésiales: chacun s’engage dans la prière, dans la révision de sa vie, dans la purification de la mémoire, dans l’ouverture de la charité. Le père de l’œcuménisme spirituel, Paul Couturier, a parlé à ce sujet d’un «monastère invisible», qui rassemble entre ses murs les âmes passionnées du Christ et de son Eglise. Je suis convaincu que, si un nombre croissant de personnes s’unit intérieurement à la prière du Seigneur pour que « tous soient un » (Jn 17, 21), une telle prière au nom de Jésus ne tombera pas dans le vide (cf. Jn 14, 13; 15, 7.16 etc.). Avec l’aide qui vient d’En-Haut, nous trouverons, pour les diverses questions encore ouvertes, des solutions pratiques, et enfin le désir d’unité, quand et comme Il le voudra, se réalisera. A présent parcourons ensemble ce chemin dans la conscience qu’être en chemin ensemble est une forme d’unité. Rendons grâce à Dieu pour cela et prions-le afin qu’il continue de tous nous guider.