« Nous invitons à collaborer avec Oasis », par le card. Scola

Présentation à l’UNESCO

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CITE DU VATICAN, Jeudi 24 mars 2005 (ZENIT.org) – « Nous invitons à collaborer avec Oasis quiconque le souhaite avec sincérité, certain de la nécessité de contribuer à accompagner, avec un authentique esprit critique, ce complexe mais irrépressible processus de métissage de civilisations. C’est seulement ainsi finalement que pourra se réaliser l’augure que contient aussi le mot « arabe » qui exprime le concept d’intégration: le devenir réciproquement accomplis, parfaits », écrit en conclusion de son intervention à l’UNESCO, le 15 mars, à Paris, le cardinal Angelo Scola, Patriarche de Venise, lors de la présentation de la revue « Oasis », pour le dialogue et la rencontre entre chrétiens et musulmans (cf. ZF050316, et le site http://www.edizionicantagalli.com/oasis/index.html).

Voici le texte intégral (revue et corrigé par l’auteur) de l’intervention du cardinal Scola.

« Et ainsi toujours j’admirerai toutes les nobles personnes, de toutes lignées et de toutes origines »

Une donnée importante

La situation géopolitique actuelle est délicate et cela n’échappe à personne, les doutes s’accumulent au sujet de la cohabitation pacifique des peuples, mais l’on connaît aussi les nouveaux horizons que les événements historiques actuels ouvrent aux individus, aux communautés et aux nations.
C’est précisément la considération attentive de cette réalité ambivalente qui a fait se réunir, il a près d’un an à Venise, diverses personnalités du monde chrétien (laïcs, prêtres et évêques) pour donner vie à un projet – d’une idée née des paroles prononcées par le Saint Père Jean-Paul II à la Mosquée Omeyyade de Damas – que nous avons choisi d’intituler de manière significative Oasis. Le «nous» indique avant tout les Archevêques de Budapest, Lyon, Wien, Zagreb, le Préfet de la Congrégation de l’Evangélisation des Peuples, l’Archevêque de Changanacherry, l’Archevêque de Tunis, l’Archevêque de Grenade, l’Evêque d’Islamabad, l’Evêque auxiliaire d’Arabie, qu’avec le patriarche de Venise constituent le Comité promoteur d’Oasis. D’une façon plus complète Oasis indique à la fois un réseau d’amis chrétiens duquel est né un Centre international d’études et de recherche et une Revue.
Le projet est né à l’intérieur du Studium Generale Marcianum, qui a vu la lumière à Venise comme une forme de renouvellement de l’action pastorale du Patriarcat. Si pour nous européens le nom «Oasis» sonne comme une transposition un peu exotique du locus amoenus de mémoire platonicienne, une sorte de jardin où il est agréable de s’entretenir et de converser, l’oasis est bien plus chère à l’homme du désert: et de fait il n’est pas étonnant qu’elle soit devenue, dans la Genèse comme dans le Coran, le paradigme même du Paradis.

Métissage de civilisations

Pour illustrer ce projet au nom engageant, mais nous l’espérons aussi de bonne augure, nous partirons d’une considération générale.
En lien avec la soi-disant globalisation et avec la «civilisation des réseaux» nous assistons, ces dernières décennies, à un processus inédit de mélange des peuples, que j’ai voulu définir, avec une métaphore un peu hardie, par l’expression métissage de civilisations – dans laquelle il faut évidemment souligner fortement le génitif «de civilisations». Non que la rencontre des peuples soit une absolue nouveauté, au contraire l’histoire de l’humanité est parsemée de migrations et de mélanges. Pensons à ce qu’ont pu signifier les migrations des peuples germaniques à travers l’empire romain ou l’invasion mongole dans le califat abbasside. Le fait nouveau est qu’aujourd’hui le phénomène investit la planète entière. Le processus, souvent tumultueux et chargé de contradictions, est irrépressible et en tant que processus, s’engendre de fait et pousse les libertés en jeu à l’orienter.
Un aspect important de ce mélange de peuples réside dans sa nature «bidirectionnelle» inédite. En effet si de nombreux habitants des pays en voie de développement partent chercher fortune en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie, il est tout aussi vrai que chaque année des millions de personnes visitent, pour des raisons professionnelles ou pour tourisme, les régions les plus reculées du globe. Malgré ses limites évidentes, le tourisme a contribué à rompre les barrières de l’isolement.
C’est sur ce processus et sur ses implications culturelles que Oasis souhaite travailler. En témoigne entre autres la composition du Comité scientifique d’Oasis, qui réunit des personnalités aussi bien occidentales qu’orientales, pour un travail commun qu’il eût été difficile d’imaginer il y a encore quelques années. Le choix du multilinguisme (la revue est publiée en effet sous quatre versions bilingues) est dicté par le même désir: nous aurions pu publier une revue tout en français, ou en anglais, ou en arabe. Mais nous avons choisi de faire coexister les langues, les unes à côté des autres, même si la difficulté de l’impression ne nous permet pas pour le moment un rapport quantitativement égal entre les langues arabes et urdu, et les langues occidentales.
Evidemment, un phénomène aussi nouveau que le métissage de civilisations implique d’immenses problèmes et requiert une grande capacité créative pour trouver des solutions adéquates. Dans le monde occidental le débat tend à se focaliser sur des questions de nature principalement juridique, avec la conviction qu’il est urgent de fournir un cadre législatif solide dans lequel accueillir les individus qui viennent progressivement faire partie de notre société. Dans les faits, cette position met en lumière un aspect important du problème, mais peut aussi cacher la tentation stigmatisée par le poète Eliot d’imaginer «des systèmes tellement parfaits que plus personne n’aurait besoin d’être bon».
A notre avis, la voie possible est celle du témoignage – entendu dans un sens pratique et théorique – auquel nul homme ne peut se soustraire en vertu du risque immanent à la liberté. Il est vain de croire qu’à l’homme peut être épargnée l’aventure de la rencontre de l’autre, puisque chacun de nous naît et grandit grâce aux rapports avec autrui. C’est précisément à ce niveau que la revue Oasis entend apporter sa propre contribution: elle ne se situe donc pas dans un champ académique ou scientifique, mais bien plutôt culturel, au sens large et noble du terme. Pour les chrétiens il serait mieux de parler d’action pastorale.

Témoignage, voie de la rencontre

Le terme de « témoignage » risque de soulever d’emblée un problème. Puisque, on le dit, le témoignage implique une identité et puisque l’affirmation de sa propre identité est généralement perçue comme opposition à la rencontre de l’autre, il faudrait donc conclure qu’une position exclut l’autre: ou bien l’on rencontre, ou bien l’on témoigne.
Dans notre cas spécifique, s’agissant d’une revue lancée par des chrétiens, l’on serait tenté de conclure que celle-ci s’adresserait seulement aux communautés chrétiennes qui vivent en Occident et dans les pays musulmans. Pour parler aussi avec les «autres», il faudrait un autre style, un autre point de départ, en somme, une autre revue.
Je crois qu’il s’agit d’une alternative culturelle insidieuse, sur laquelle il vaut la peine de s’arrêter brièvement.
S’ils considèrent attentivement l’histoire, les porte-drapeau de l’incorrigible opposition entre identité et rencontre trouveront de multiples démentis. Pensons par exemple à la transmission du savoir classique. Qui ne reconnaît pas l’importance capitale de la relecture des textes grecs pour le progrès de la civilisation abbasside? Et qui
n’admet pas le rôle important, dans une Europe qui avait déjà connu l’héritage classique grâce à l’œuvre patiente des moines, que joua l’adoption de la réflexion philosophique et scientifique arabe? Il me semble que le poète arabe al-Buhturi était aussi conscient de cette dialectique entre rencontre et identité lorsque, vers la moitié du IXème siècle, après avoir admiré les ruines du palais persan à Ctésifonte, sortit dans l’expression: «Et ainsi toujours j’admirerai toutes les nobles personnes, de toutes lignées et de toutes origines».
L’histoire mentionne aussi les oppositions féroces qui sont apparues quand l’identité s’est montrée exclusive, mais ceci, plutôt que de nous décourager doit nous mettre en garde au présent.
En réalité, la possibilité même de la rencontre réside dans l’inépuisable recherche de la vérité entendue dans un sens dynamique, vivant et personnel, de la part du cœur de l’homme, qui à toutes les latitudes palpite pour les mêmes désirs, vivant chaque jour d’affects et de travail. S’il n’en était ainsi, l’on ne saurait justifier le fait que les cultures humaines, même dans leur évidente diversité, se comprennent mutuellement: peut-être au terme d’un long chemin vers des langues et des catégories, d’abord très lointaines entre elles, mais pour finir mutuellement compréhensibles.
C’est mue par cette conviction qu’Oasis entend se proposer. Avec une identité dynamique et par-là même ouverte à l’autre. En reconnaissant l’œcuménisme et la théologie des religions comme une dimension essentielle de l’expérience chrétienne, Oasis interpelle tout homme de bonne volonté – qu’il soit chrétien, musulman, d’une autre religion, athée ou agnostique – et l’invite à s’exposer en première directement en s’engageant dans l’une œuvre commune sur le sens de la personne, de la communauté et de la famille des peuples. Et ceci sans craindre de proposer à la liberté de l’autre ce que pour lui est la vérité, sans omettre de demander qu’une libre confrontation de ce type soit possible partout dans le monde, comme génératrice de culture nouvelle.
En fait la liberté est pour la vérité. Depuis la philosophie grecque ceci représente un point d’appui indiscutable de la pensée européenne. Il a été plus difficile pour la pensée européenne de comprendre le principe pourtant ineffaçable de la vérité de la liberté.
L’athéisme pratique comme «destin de la modernité européenne» naît de la défense de la liberté de l’homme qui va jusqu’à postuler, au minimum, l’impossibilité de reconnaître la vérité. A partir de l’époque moderne la liberté finie – dans son désir constitutif, dans son indomptable effort technico-scientifique de «posséder» l’homme et le cosmos et dans sa tentative d’édifier des modes de vie civile, économique et politique appuyées par un bon gouvernement – a cru devoir exiger, pour le moins, le renoncement à la question de la vérité absolue: d’où la censure de la question de Dieu.
La révélation biblique contient en revanche un noyau théorique que l’homme post-moderne est en train de redécouvrir. La vérité est la rencontre qui advient entre le fondement absolu et transcendant et l’homme (mystère, Trinité). Le Fondement se révèle à l’homme dans tout acte de liberté, l’appelant à s’impliquer. Ceci se fonde sur un Dieu qui «se compromet» dans l’histoire pour venir à la rencontre de l’homme.
Dans la tradition chrétienne, la vérité, même si elle garde tout son caractère d’absolu, est vérité vivante et personnelle. Elle ne craint donc pas de se livrer à la liberté finie de l’homme. L’événement de Jésus Christ en lui-même en est une preuve décisive. Il n’y a pas liberté pour la vérité qui ne soit pas, en même temps, vérité de la liberté.
Selon ces présupposés, nous invitons à collaborer avec Oasis quiconque le souhaite avec sincérité, certain de la nécessité de contribuer à accompagner, avec un authentique esprit critique, ce complexe mais irrépressible processus de métissage de civilisations. C’est seulement ainsi finalement que pourra se réaliser l’augure que contient aussi le mot « arabe » qui exprime le concept d’intégration: le devenir réciproquement accomplis, parfaits.

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Dīwān al–Buhturī, ed. Hasan Kāmil as–Sayrafī, 4 tomi, al–Qāhira, Dār al–Ma‘ārif, 1963-1964, qasīda n. 470 ,tomo II, p. 1162, v. 56.

Studium Generale Marcianum, Venise 2004.

Le Larousse parle de «production culturelle résultant de l’influence mutuelle de civilisations en contact». Le terme a été employé dans un autre contexte par J. L. AMSELLE: Logiques métisses, Payot, Paris 1990; Collectif, La Pensée Métisse. Croyances africaines et nationalité occidentale en question, PUF, Paris-Cahiers de l’IUED, Genève 1990; M. SERRES, Le tiers-instruit, Bourin, Paris 1991; F. LAPLANTINE e A. NOUSS, Le Métissage, Flammarion, Paris 1997; S. GRUZINSKI, La Pensée métisse, Fayard, Paris 1999. Dans le monde anglo-saxon existent de nombreuses œuvres sur le thème proche de la hybridity: cfr. par exemple F. J. C. YOUNG, Colonial Destre. Hybridity in Theory, Culture and Race, Routledge, London-New York 1995.

T. S. ELIOT, Cori da « La Rocca » VI

Dīwān al–Buhturī, ed. Hasan Kāmil as–Sayrafī, 4 tomi, al–Qāhira, Dār al–Ma‘ārif, 1963-1964, qasīda n. 470 ,tomo II, p. 1162, v. 56.

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ZENIT Staff

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