Cher Monseigneur,
Monsieur le Président,
Chers Amis,
C’est pour moi un honneur et un privilège, et en même temps un devoir et une dette de reconnaissance de rendre ce soir à votre invitation conjointe un hommage mérité à notre regretté et vénéré maître et ami, Son Éminence le Cardinal Gabriel Marie Garrone, Cardinal Prêtre du titre de la Basilique romaine de Sainte Sabine, né Savoyard et Savoyard demeuré tout au long de sa longue et féconde existence, du 12 octobre 1901 à Aix-les-Bains au 15 juin 1994 à Rome, à l’âge de 92 ans et trois mois, prêtre pendant 68 ans, évêque pendant 46 ans, et cardinal pendant 26 ans. Ses études de philosophie et de théologie à l’université pontificale grégorienne font de lui un romain. Ce sont, d’octobre 1918, il n’a alors que 17 ans, au 11 avril 1925, date de son ordination sacerdotale à 23 ans et 5 mois, des années décisives au Séminaire français de Santa Chiara qui le marquent pour la vie, une vie toute donnée à Dieu et à l’Église, servie avec intelligence et amour, courage et fidélité, comme prêtre, puis évêque, archevêque et cardinal de la sainte Église romaine qu’il a tant aimée et à laquelle il a voué toute sa vie.
I. Mystères joyeux. Les années de formation en Savoie et à Rome – 1901-1925.
Son père était un modeste artisan d’origine transalpine. L’un de ses deux frères, Louis, sera plus tard directeur de l’Ecole des Roches. Toute sa vie, il demeura très attaché à sa famille, je puis en témoigner, l’ayant conduit moi-même en voiture chez quelques neveux et nièces, quand il m’invitait aussi volontiers à partager le déjeuner chez lui à Rome dans son appartement cardinalice bourré de livres et ouvert par sa terrasse sur la place Saint-Pierre.
La vocation.
Élève brillant et solide du Petit Séminaire de la Villette, c’est de là qu’il écrit le 17 décembre 1917 à ses parents une lettre d’une écriture limpide qui révèle une âme transparente et une volonté ferme – il n’a alors que 16 ans !
« Chers parents… Ma dernière année de collège est en cours ; sans qu’on s’en doutât, l’âge est venu me donner un peu de la réflexion qui me manquait, et m’obliger surtout à rechercher lequel devait être le mieux de tous les chemins qui allaient s’ouvrir. Et bien, cette voie, si longtemps cherchée, à l’abri des regards, dans le secret d’une âme bien tourmentée, je l’ai trouvée. Depuis tantôt un an que l’idée m’en est venue, j’ai pesé le pour et le contre, demandé souvent un conseil désintéressé ; j’ai peu à peu, avec l’aide du bon Dieu, qui m’avait éclairé et me guidait, éliminé toutes les possibilités d’erreur et tous les doutes… Ma décision est prise.
Qu’est-elle ? Je ne crois pas vous surprendre en vous la donnant. Ma façon d’agir, pendant les dernières vacances, ma façon de parler…, ma façon d’être pieux, doivent m’avoir trahi : je veux être prêtre. Où ai-je pris cette vocation ? Comment ce germe divin a-t-il pu être mis dans mon cœur et ainsi germer ? C’est à vous qu’il faut le demander, à l’éducation que j’ai reçue de vous d’abord, à celle ensuite que vous avez voulu me faire donner par d’autres, plus aptes à parfaire une œuvre commencée avec tous les soins de la meilleure affection. Je sais tout ce que je vous dois ; si je suis là, si je suis tel, c’est à vous, directement ou indirectement, uniquement à vous que je le dois ; à vos efforts, à vos peines, à votre amour jamais lassé…
En abandonnant l’espoir doux cependant d’une famille à fonder, en me donnant tout à Dieu, c’est à vous que je reste : ce sera sur vous seuls qu’ici-bas se concentreront l’affection et la gratitude émue dont mon cœur déborde… Je suis sûr que vous saurez le comprendre, et comprendre en même temps que Dieu ne vous prend votre fils que pour mieux le garder à vous-mêmes, et vous conserver l’intégralité de son amour. Gabriel. »
Je ne puis relire sans émotion cette lettre à peu près sans rature d’une écriture ferme et régulière à l’encre violette et en lignes bien droites, comme la pensée dont elle témoigne. Or à peine 15 jours plus tard, le 30 décembre 1917, cette autre lettre, à son supérieur de séminaire cette fois :
« Papa et maman n’ont pas été fâchés du tout, mais un peu émus tout d’abord, comme il est naturel. Ils en sont déjà maintenant presque heureux. Et, loin d’enlever à ces vacances de leur charme, mon aveu n’a fait que leur en donner plus… Cela est votre œuvre, Monsieur le Supérieur, je le sais, et mes prières n’en seront demain pour vous que plus ferventes ».
Si le style, c’est l’homme, nul doute que le jeune Gabriel Marie Garrone ne soit déjà, au moment où il va partir pour Rome, un homme de foi et un homme de cœur, dont l’écriture ferme et limpide révèle une âme droite et généreuse et des sentiments d’une exquise délicatesse, tant pour ses chers parents que pour ses éducateurs savoyards.
La Savoie salésienne.
La Savoie lui a donné la vie, la vie du corps et la vie de l’âme, la vie de famille et la vie d’Église. Son regard clair et limpide reflétait l’azur du ciel qui se mire dans le lac du Bourget et s’élevait tout naturellement des cimes des Alpes enneigées à la voûte du ciel étoilé. Comme Jean-Paul II à qui le liera une amitié profonde. C’est un vrai montagnard qui tout jeune a escaladé les montagnes et respiré l’air frais des glaciers, un homme robuste, jeune étudiant grand et svelte, un homme bien enraciné dans sa terre. Les pieds sur terre, la tête au ciel, et le cœur limpide tout donné à tous. J’ai souvent pensé à lui en répétant l’adage latin : mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, un esprit droit et sans détour, une âme toute salésienne, comme celle de sa mère.
L’eucharistie.
Tout par amour et rien par force, aimait-elle répéter à ses garçons. Premiers bénéficiaires du décret de saint Pie X, ils firent tout jeunes leur première communion. Et, je tiens cette confidence, comme tant d’autres, de son inoubliable et incomparable secrétaire-gouvernante, Marie-Thérèse Buisson, de ce jour, la maman les accompagne tous les jours à la messe matinale, à jeun, avec en poche une petite collation, car ils n’avaient pas le temps de retourner à la maison avant l’école. Cette fréquentation quotidienne de l’eucharistie dès le plus jeune âge est un des ressorts les plus forts de la vie du cardinal, source chez lui d’une jeunesse du cœur inentamée par les épreuves qui ne lui ont pas manquées, le visage lisse, toujours souriant, laissant sourdre la joie comme un trop plein de cascade, selon le joli témoignage de Monseigneur Saint Blanquat, une sérénité souriante et accueillante dont témoigne Mercédes d’Adhémar : « Lorsqu’il vous recevait, on était tout de suite éclairé par son regard qui avait la clarté, la transparence d’un regard d’enfant accompagné de son sourire ».
Dans sa bibliographie innombrable, plus de 2000 articles et 50 ouvrages qui emplissent tout un rayon de ma bibliothèque, chacun d’eux dédicacé avec délicatesse et perspicacité, les œuvres les plus nombreuses et les plus personnelles aussi sont consacrées à L’eucharistie règle de foi, source de vie – avec cette sobre dédicace : À ma mère –, L’eucharistie au secours de la foi, Le fait du pain. Comment l’eucharistie façonne les âmes, Parole et Eucharistie, La communion fraternelle. La dernière volonté du Seigneur, Pain vivant. Je tiens à le souligner, en cette « Année de l’eucharistie » voulue par Jean-Paul II, et je forme le souhait que soient republiés pour la nourriture spirituelle de beaucoup de chrétiens des extraits des écrits du Cardinal sur l’Eucharistie. Monseigneur Jean-Baptiste Brunon, qui fut l’un de ses intimes, comme Supérieur d’abord de son Grand Sémin
aire de Toulouse, puis comme Évêque auxiliaire de l’Archevêque de Haute-Garonne, en témoigne : « Le Cardinal présentait toujours ce sacrement comme le cœur de tout, comme le sommet de tous les autres sacrements et comme la source principale et indispensable de la vie chrétienne. L’Église, disait-il, doit être avant tout eucharistie, sinon elle ne sera plus véritablement Église ». À six mois de sa mort, dans une note intime du 10 juin 1993 trouvée dans ses papiers par sa secrétaire, il écrit : « En ce jour presque anniversaire de mon ordination sacerdotale, Seigneur, à l’occasion de ce sacrifice d’aujourd’hui, en cette Fête, je vous remercie de ce que vous m’avez donné à travers ce Sacrifice que j’ai pleinement respecté, dont je n’ai pas cessé de vous remercier. Merci de m’avoir fait prêtre ! ».
Le prêtre.
Foi et ferveur eucharistique puisées au foyer savoyard, et enracinées au Séminaire français de Rome qui devient sa seconde patrie et où reposent dans la chapelle restaurée ses restes mortels selon sa ferme volonté. Il y noue deux amitiés décisives avec deux futurs évêques français, le grenoblois Monseigneur Émile Guerry qui sera l’actif secrétaire de l’ACA, l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques français pendant les années sombres et difficiles de la guerre et de l’occupation nazie, et le lyonnais Monseigneur Alfred Ancel, futur supérieur de la Société des prêtres du Prado et évêque-ouvrier. Le 6 novembre 1924, à cinq mois de son ordination sacerdotale, une lettre à son confident savoyard l’abbé Laurent Canet, témoigne de la profondeur de la formation reçue au Séminaire français de Santa Chiara : « Te dirai-je que, plus je réfléchis, moins j’arrive à concevoir une vie de prêtre qui n’est pas à peu près une vie religieuse, avec la pratique, sinon la forme des trois vœux. Pour moi, je ne vois guère dans mon cas d’autre manière de m’en tirer que de faire passer cela dans la vie séculière. Et, je te le répète, de vraie foi et de vraie charité, sans cela, au moins pour moi, je n’en vois pas ». Dans ses nombreux écrits sur le prêtre, il se réfère souvent à l’humble figure du saint curé d’Ars, Jean Marie Vianney, et plus tard, au Bienheureux Jean XXIII.
Interrogé au lendemain du Concile par la Revue Vocation, sur l’image du prêtre de demain, il répond avec sa clarté habituelle, en soulignant d’abord les erreurs de méthode : isoler le problème sacerdotal, abstraire de l’histoire, glisser du pastoral au doctrinal, assimiler aux laïcs, enfin s’en tenir à une problématique purement humaine. Il en vient ensuite aux présupposés. S’il y a un problème du prêtre, c’est qu’il y a un problème de l’Église, et s’il y a un problème de l’Église, c’est qu’il y a une certaine situation du monde qui le fait naître et qui fait de l’homme d’aujourd’hui un homme réactif, la tête pleine d’idées plus ou moins fausses, d’objections possibles. « Là est la source des difficultés sacerdotales. Dès qu’on l’a vu, on accepte le problème et on ne garde plus l’illusion vague que les choses reviendront. Les choses ne reviendront pas ; les choses marchent et il faut marcher avec elles. C’est ce que l’Église a compris quand elle a fait son Concile ». Et de conclure : quelle serait l’image du prêtre de demain ?
« Elle naîtra d’un long travail commun où la grâce lentement fera se dégager le profil du prêtre tel que le monde aujourd’hui le réclame…, se dessiner à point nommé dans une figure de saint… Nous avons nommé le pape Jean XXIII. Le pape, le prêtre a trouvé avec le monde le contact que nous cherchons. Il faut nous demander comment il y a réussi et pourquoi…, en retrouvant une nouvelle jeunesse, retrouver le contact perdu d’un monde neuf : parler une langue, montrer un visage qui permette à tous les hommes d’aujourd’hui de reconnaître leur Sauveur… Cet homme était simple, il était bon… Dieu a pu se servir de lui sans résistance…, toujours fidèle à la confession hebdomadaire, à la prière, au sacrifice… qu’est-ce que doit être le prêtre de demain ? On ne peut pas hésiter à répondre : il ressemblera à Jean XXIII ».
II. Mystères lumineux. Le « Père Garrone », professeur, étudiant, prêtre. Chambéry, 1925-1939.
Une vocation de savoyard, une formation de prêtre romain, le jeune abbé Gabriel Marie à peine ordonné retrouve son petit séminaire de la Villette, cette fois comme professeur, « jouissant de la volupté du grec », au témoignage d’un de ses anciens, et faisant le va et vient avec la Faculté des Lettres de l’université de Grenoble où il prépare la licence de lettres et un diplôme d’études supérieures de philosophie auprès de Jacques Chevalier qui le prend en amitié et devient son maître à penser : « C’est ce maître-là qui lui avait appris, disait-il, à contempler la vérité, à bien réfléchir et à aller à l’essentiel ». Que de fois, lors de mes visites hebdomadaires à Rome, il le prenait à témoin de ses pensées et ouvrait l’un des quatre volumes de son monumental ouvrage sur La pensée, toujours à portée de sa main, et toujours ouvert à la bonne page. À travers lui, le jeune étudiant philosophe découvrait Pascal, qu’il ne cessera de relire et de commenter. Avec Les Pensées, Les deux sources de la morale et de la religion du philosophe Henri Bergson à qui il fait rencontrer le vieux Lazariste aveugle, Monsieur Pouget, génial inspirateur de Jean Guitton, et Etienne Gilson, qui lui apporte cette exigence de profondeur de la pensée qu’il ne cessera d’honorer dans ses multiples écrits. Mais déjà le jeune Père Garrone, comme l’appellent ses étudiants est appelé dès octobre 1926 au Grand Séminaire de notre ville de Chambéry, pour y enseigner, d’abord la philosophie, puis la théologie, et assurer la formation humaine et spirituelle des futurs prêtres, de quoi bien remplir une vie de prêtre. Mais le jeune abbé, infatigable, répond aux appels diocésains qui se multiplient, prêche d’innombrables retraites et devient le soutien et le conseiller des Mouvements d’Action catholique. Quatorze lumineuses années savoyardes intenses dont il gardera le lancinant souvenir dans les longues années douloureuses qui l’attendent.
III. Mystères douloureux. La fécondité des années de captivité du « Capitaine Garrone » – 1940-1945.
Septembre 1939. C’est la guerre. Le Père Garrone devient le Capitaine Garrone rappelé sous les drapeaux pour commander la 2ème compagnie de 97ème régiment d’infanterie alpine, incorporé dans la XIème armée, bientôt anéantie par la foudroyante percée des blindés allemands. Le Capitaine Garrone est cité à l’ordre du jour de la 28ème division : « Officier ayant la plus haute idée du devoir et de l’honneur et se dépensant sans compter, le 5 et 6 juin 1940 a conservé durant trente-six heures des positions d’avant-poste soumises à de terribles bombardements et à de très violentes attaques. A été un magnifique exemple pour ses Alpins ».
On le croit mort, il n’en est rien. Encerclé et capturé, il va connaître cinq années de captivité, pour d’autres d’ennui et de stagnation, mais pour lui de retraite et d’intense fécondité, d’abord au camp disciplinaire de Lubecq, puis à l’Oflag XVII A en Autriche, au milieu de cinq mille officiers français. « Cinq années de prison, cinq années de grâces », répétait-il volontiers, cinq années de désert, « âge d’or de ma vie ». Sa constitution savoyarde lui permet de survivre là où d’autres ont succombé, et sa solide formation romaine admirablement assimilée l’enhardit à créer des cours pour prêtres et séminaristes à l’intérieur du camp. L’un d’eux témoigne avec admiration : « Sans aucune documentation, sans autres éléments que sa culture personnelle et l’enthousiasme de sa foi, il nous aide à refaire toute notre théologie centrée sur l’eu
charistie. » Sa charité sacerdotale et son prestige intellectuel et moral en font l’âme rayonnante du camp. Il organise un cours de morale à la demande des instituteurs, et même des conférences où se pressent des incroyants qui deviennent ses amis. « Je me rappelle, écrit l’un d’eux, dans notre chambre de 20m2 de la baraque du camp, où nous étions 10, il se levait de bonne heure, demeurant assis sur son lit, la troisième couchette supérieure, pour faire sa longue méditation, pendant que ses compagnons dormaient encore. » Et sœur Marie-Thérèse Buisson me parlait de la sainte messe célébrée à la lueur de la chandelle.
Prière intense, apostolat intense. À partir de l’hébreu, du grec et du latin, il élabore une traduction des Psaumes en français, qu’il accompagne, avec une introduction générale, d’une introduction à chaque psaume, d’une conclusion sur les psaumes instruments de l’Esprit-Saint dans une âme de bonne volonté : Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, et de suggestions pour louer Dieu et lui rendre grâces, contempler le Christ, chanter l’Église, dire et demander à Dieu, crier à l’aide ou prendre en charge ceux qui crient à l’aide, mobiliser nos énergies, nous remettre en présence de Dieu, réaffirmer et renouveler notre confiance en Dieu dans l’épreuve et notre abandon paisible entre ses mains. À la dédicace aux séminaristes, à ceux en particulier qui lui aidèrent jadis à aimer les Psaumes en les leur faisant aimer, il a ajouté de sa belle et régulière écriture, à mon intention : « Au cher Monseigneur Poupard, in comunione laboris et caritatis », reprenant en avant-propos de la belle édition cartonnée sur papier bible que je garde toujours à portée de main ces mots de saint Bernard qui a tant aimé les Psaumes que sa langue même en est tissée : « Comme le palais, sa nourriture, le cœur goûte les Psaumes. Mais encore faut-il que l’âme prenne bien soin, si elle est fidèle et prudente, de broyer cet aliment avec les dents de l’intelligence ».
Personnalité rayonnante et intelligence exceptionnelle. L’un de ses compagnons dira de Capitaine Garrone des années douloureuses : « Le renouveau de la pensée et les principaux thèmes de la prédication sont partis de là, de ce lieu déshérité où la ferveur de la foi triomphait de la sous-alimentation, des puces et de la promiscuité. Simplement parce qu’un prêtre de valeur était là. » Il ne cessera de les rencontrer fidèlement, en France d’abord, puis à Rome, et l’un d’eux, octogénaire lui dira : « Cardinal, Éminence, ou plutôt, cher Camarade ».
À la libération de l’Oflag, il part chargé, comme une bourrique, de notes et de dossiers : « Tu ne pourras porter tout ça », lui dit-on. La réponse fuse, superbe et imparable : « Je le peux, puisque je le dois ». Et sur le chemin du retour, long et fatigant parcouru à pied par manque de moyens de transport, le bon samaritain Garrone trouve encore la force, avec la grâce de Dieu, de relever et de sauver un moribond, reconnu comme un espion tombé sur le chemin. Le rescapé – fait notable – a tenu lui-même à en témoigner en donnant son nom à la fidèle secrétaire du Cardinal.
IV. Mystères glorieux. Supérieur du séminaire de Chambéry. Coadjuteur du Cardinal Saliège, puis Archevêque de Toulouse. Rome. Le Concile. Les Séminaires et Universités. La Culture. 1945–1994.
À son retour de captivité le 10 mai 1945, le Capitaine Garrone devient le supérieur du Grand Séminaire de Chambéry et en même temps Directeur diocésain de l’enseignement libre, membre du Conseil épiscopal, et animateur infatigable, partout et par tous recherché pour des retraites, récollections, journées pédagogiques, conférences.
Toulouse.
Rien d’étonnant dès lors si notre Garrone, désormais chanoine, est appelé du sacerdoce à la plénitude du sacerdoce le 24 avril 1947, ordonné Évêque coadjuteur de l’archevêque de Toulouse, Narbonne, Saint-Bertrand de Comminges, Rieux, avant de succéder au Cardinal Saliège, le 5 novembre 1956. À cette époque lointaine, que j’ai vécu, il était impensable pour un évêque, et encore moins pour un cardinal de présenter au Pape sa démission pour raison d’âge. Ne faisons pas d’anachronisme. Le Concile n’était pas passé par là.
Aucun évêque, certes, n’est quelconque, mais le Cardinal Saliège était un évêque singulier, résistant courageux contre les nazis, protestant avec éclat contre la rafle ignominieuse des Juifs par des agents de l’État français, et impressionnant par son mutisme empreint de grandeur et de gravité les sbires venus l’arrêter et qui n’osèrent procéder. Quasi complètement paralysé, de la promotion des Cardinaux de la Résistance par Pie XII, comme on les a appelés, il avait quasi perdu l’usage de la parole, ce qui avait renforcé la rugosité et l’aspérité de son caractère. À quelqu’un qui le félicitait de comprendre et de pouvoir traduire tout ce que disait le Cardinal à la voix paralysée, Monseigneur Garrone répondait : « Je préférerais comprendre ce qu’il ne me dit pas. » Je ne trahirai pas le secret des confidences sur cette langue singulière que les deux familiers du Cardinal toulousain appelaient « le Saliège », les deux chanoines toulousains compères et amis, Marius Garail et Georges Aimé Martimort, à la table romaine du Cardinal Garrone. Alors que je riais aux éclats, le visage du Cardinal se rosissait quelque peu, son sourire s’élargissait et ses yeux brillaient d’un éclat plus vif, à vrai dire plus amusé que réprobateur.
Un petit souvenir seulement. Le Cardinal aimait jouer à la charade et un soir, après dîner, nos deux avisés et rusés compères réussirent à lui tendre un piège bien savonné : Le plus bel ornement de Toulouse ? Et le vieux Cardinal ragaillardi d’éructer : La Garonne ! Mais s’avisant du sourire quelque peu narquois de son coadjuteur qui assistait médusé à la scène, Saliège se met à trépigner de toutes ses forces et à taper du poing sur la table : Garrone ? Non, non, non ! Pauvre coadjuteur ! De suroccupé comme prêtre qu’il était à Chambéry, il est pendant ces longues années totalement inutilisé par son archevêque, jusqu’en 1955. Après ces huit années éprouvantes vécues avec une profonde humilité et une parfaite dignité, il décida enfin, je le tiens de Mgr Martimort, de déclarer avec franchise à son Cardinal l’impossible continuation de sa situation de coadjuteur. Le vieux lutteur n’avait d’estime que pour ceux qui lui tenaient tête : il lui donna aussitôt le plein gouvernement du diocèse et ne parut même plus au Conseil épiscopal. Mgr Garrone le pleura comme un père et avec une vraie piété filiale demanda à Jean Guitton d’en écrire la vie, et il publia lui-même ses Écrits spirituels. Tout en créant de nouvelles paroisses et en construisant de nouvelles églises, l’archevêque ne cessait de manifester à ses prêtres et à ses religieuses l’affection exigeante qu’il leur vouait dans leur service humble et désintéressé du peuple de Dieu. En même temps, il participait aux travaux du Centre de pastorale liturgique et ses interventions, toujours recherchées, furent particulièrement remarquées aux Congrès de Liturgie d’Assise et de Strasbourg.
Ses publications se multipliaient sur la foi, le Credo, la prière, l’Église, les Écritures, l’eucharistie, la morale, et bien sûr une nouvelle édition de sa traduction des Psaumes qu’il présenta lui-même dans son Remerciement à l’Académie des jeux floraux où il fut reçu le 27 avril 1958. Mgr Martimort tient ce discours pour un chef d’œuvre par la grandeur de sa pensée et la beauté de son expression. Je le cite brièvement : « Dieu parle en poète. Celui qui veut écouter Dieu doit donc vouloir consentir à la poésie… parce que Dieu veut dire quelque chose que la poésie seule est capable de dire : son amour… si la prière peut se passer de la poésie et la poésie de la
prière…, notre tout dernier mot doit être pour évoquer cette heure suprême où prière et poésie, ayant retrouvé leur source commune, expirent ensemble : les mots le cèdent au silence et toute demande, étant comblée, s’éteint. Dieu qui a fait la prière et qui a fait la poésie peut aider l’homme à le chercher, Dieu est là. »
Le Concile.
Mais une autre étape importante s’ouvre, qui sera décisive pour l’Église, comme aussi pour les dernières années si fécondes de notre Cardinal. Annoncé par Jean XXIII à la surprise générale le 25 janvier 1959, le Concile inattendu se prépare par les réponses de tous les évêques et des facultés de théologie du monde entier, et les commissions préparatoires. Le temps passe et je ne puis abuser de votre patience. Je me permets donc de vous renvoyer à mon récent livre de souvenirs : Au cœur du Vatican. De Jean XXIII à Jean-Paul II (Perrin Mame) où je brosse un portrait du Cardinal tel que je l’ai connu et aimé au long de longues années de collaboration confiante où il mit tout son soin à éviter pour moi sa dure expérience de coadjuteur. Car l’histoire – qui bégaie parfois – s’est répétée quand le Pape Paul VI en février 1966, au lendemain du Concile, l’appela à Rome comme Préfet-adjoint de la Congrégation des Séminaires et Universités des études, où le vieux Cardinal Pizzardo, à l’âge de 89 ans, ne voulait à aucun prix céder sa place et le reçut devant tout le personnel de la Congrégation, à commencer par le secrétaire, Monseigneur Staffa, auprès de qui il était notoirement persona non grata, par ces mots que lui-même m’a immédiatement rapporté avec un petit sourire très triste : « Nous devons remercier le Saint-Père qui nous donne un nouveau collaborateur, mais à vrai dire, nous n’en avions absolument aucun besoin. » Je garde un vif souvenir de ce déjeuner morose, alors que Mgr Garrone m’accueillait toujours avec enjouement. Et entre la poire et le fromage, il me confia, fort pensif : « Cher Monseigneur, les voies de Dieu sont vraiment mystérieuses, et je me demande ce que j’ai bien pu faire au bon Dieu pour qu’Il m’inflige cette nouvelle épreuve, aujourd’hui romaine, aussi cruelle que la précédente toulousaine. Mais nous devons lui faire confiance. Merci de votre aide. » La distance n’est pas longue à franchir entre l’appartement du Largo del Colonnato et la Secrétairerie d’État, et je ne puis mieux faire que de référer aux Supérieurs, selon le langage convenu. Cette fois, l’épreuve fut de courte durée, le Cardinal fut créé Cardinal le 29 juin 1967 et put enfin se choisir un collaborateur de confiance avec lequel il avait étroitement collaboré pendant le Concile, le cher Mgr Schröfer, évêque allemand de Eischtätt.
Événement majeur de ce siècle écoulé pour l’Église, présenté par son instigateur Jean XXIII comme la fleur d’un printemps inespéré, mais suivi plutôt par des bourrasques d’automne comme autant de crises douloureuses, le Concile, où le Cardinal Garrone avait activement collaboré avec le même enthousiasme que le jeune archevêque de Cracovie Karol Woytyla, permit aux deux hommes de se connaître, plus, de se découvrir et de s’apprécier dans une réciproque amitié réciproquement empreinte de délicatesse dont je fus le témoin édifié. J’évoque d’un mot seulement l’intervention décisive de Mgr Garrone suggérant avec audace et intrépidité au Cardinal Liénart, membre du Conseil de présidence, de demander d’intervenir dès l’ouverture de la première session où les Pères du Concile devaient voter immédiatement pour constituer les Commissions, dont le travail serait décisif. Fort hésitant, le prudent Cardinal lillois finit par assumer le texte griffonné à la hâte sur un coin du meuble de sacristie du séminaire français après la messe, ce qui devait changer le cours des choses. Puis ce fut la grande aventure du schéma XIII, la terre promise du Concile pour les uns, la bête noire pour les autres, où Monseigneur Garrone bénéficia du concours généreux et rigoureux entre autres de Mgr Woytyla et de mon prédécesseur comme Recteur de l’Institut Catholique de Paris, Mgr Pierre Hautmann, qui à sa demande établit la rédaction finale. Je me souviens de nos déjeuners conciliaires passionnés, des écueils inattendus, de sa sérénité inentamée et de sa joie enfin lorsque fut publié la Constitution Conciliaire sur L’Église dans le monde de ce temps. Lorsque le Pape Jean-Paul II me demanda de succéder au Cardinal Franz König, archevêque de Vienne, comme Président du Secrétariat pour les Non-croyants, il me dit avec une sincérité profonde : « Ce texte a été rédigé pour qu’aucun non-croyant ne se sente agressé par les convictions de l’Église présentées en toute clarté et respect. »
V. En conclusion. Portrait et hommage au Cardinal. Un homme de foi et de culture, éducateur-né.
À la messe de suffrage à son intention à Saint-Louis-des-Français le 18 février 1994, j’évoquais ainsi sa mémoire :
Des montagnes de sa Savoie natale, il avait le calme et la fermeté, la solide tranquillité des rocs dans la bourrasque, la limpide transparence des lacs des sommets enneigés sous le ciel bleu.
Au Séminaire Français, il trouva sa véritable patrie spirituelle et lui resta affectueusement fidèle jusqu’au bout. Il y avait vécu le drame de l’Action Française, éprouvé une profonde répulsion pour le « Politique d’abord » de Charles Maurras et une grande admiration pour la sagacité politique et le courage apostolique de Pie XI. Plus tard, les tristes avatars de son ancien compagnon de Santa Chiara devaient l’affliger sans l’ébranler. Car, si le cœur était miséricordieux, la pensée était ferme.
En captivité, le capitaine Garrone traduisait les Psaumes, méditait l’Évangile, et réfléchissait sur la présence de l’Église dans le monde de ce temps, avec ses compagnons d’infortune de l’Oflag 17. Plusieurs, devenus illustres, dans l’Église comme dans la Cité, me l’ont confié, non sans quelque nostalgie. Il y gagna lui-même une intériorité plus profonde, un jugement plus réaliste sur les hommes, une liberté plus sereine devant la conjoncture politique, une certaine angoisse aussi devant le poids croissant de la modernité envahissante.
Éducateur‑né, homme de foi robuste, il ne masquait pas pour autant son désarroi devant les turpitudes de la culture et les compromissions d’aucuns, qu’il jugeait sereinement, mais sévèrement, dans l’Église comme dans la Cité.
Coadjuteur du cardinal Saliège à Toulouse, il y fit la découverte généreuse et l’expérience austère du partage des responsabilités, qui se renouvellera pour lui à Rome à la Congrégation pour l’Éducation Catholique avec le Cardinal Pizzardo. « Je croyais pourtant avoir déjà fait mon noviciat », me confiait-il avec un bon sourire et ses yeux malicieux.
« En fait de Concile, disait Jean XXIII, nous sommes tous novices. » Monseigneur Garrone y fit vite ses classes et se révéla parmi les premiers. Ce fut un grand moment, le grand moment de sa vie d’évêque. Il y revenait souvent, poussé comme par une nécessité intérieure, dans nos conversations confiantes du dimanche après-midi au Largo del Colonnato, puis chez les Petites Sœurs des Pauvres qui l’ont si maternellement entouré de leur affection respectueuse et de leurs soins merveilleux, inlassables, si délicats.
De ce Concile, plus loué ou décrié que vécu et appliqué, il témoignait avec un enthousiasme juvénile, à la demande de Jean-Paul II, vingt ans après, au Synode extraordinaire des Évêques de l’automne 1985, nous invitant « à retrouver l’élan, l’orientation et finalement la grâce, en vue de l’action à entreprendre dans un monde profondément neuf et par surcroît instable, avec une parfaite honnêteté et une courageuse franchise ».
« Ce que fut le Concile Vatican II ? D’abord et avant tout une merveilleu
se expérience avec pour note dominante la joie, qui n’avait rien d’un optimisme facile, mais procédait de l’objet même du travail. Grâce à la présence quasi sensible du Christ, dans la communion fraternelle soutenue par l’Esprit de Vérité et de Charité, la foi devenait dans les âmes un foyer de lumière d’où ne cessaient de parvenir des éclairs portant avec eux la chaleur de la charité. »
Pour Monseigneur Garrone, nul doute, le Concile n’a pas à en rajouter, plus ou moins, en matière de doctrine. Son but exclusif est de la traduire, je le cite, « en termes opératoires, de telle sorte qu’entre le monde et les croyants puissent s’établir un contact et un échange dans la vérité et le progrès. Entrer en contact avec le monde était l’objectif unique et fondamental : rien de nouveau, toutes choses nouvelles ». Et de conclure : « Face à un monde dont les transformations déconcertent notre réflexion, j’estime qu’il faudra accepter de chercher l’orientation de notre action, selon la loi du Concile, avant tout dans « notre foi opérant dans la charité » » (Gal 5,5).
Tel fut le dernier message public de ce Père du Concile laborieux et engagé, que fut Monseigneur Garrone.
Il écrivait davantage encore, et la grande épreuve fut pour lui de ne plus pouvoir tenir une plume dans la main. « Je ne sais plus penser », me disait-il. Et son désarroi était grand, et sa peine partagée.
Que de notes et notules dont j’ai bénéficié pour ma part depuis quelque trente ans sur la foi, l’Église, « la situation présente de la foi qui se dégrade dans l’Église sous le déferlement d’une littérature incontrôlable, le chrétien d’aujourd’hui qui ressemble à quelqu’un qui s’est risqué en pleine mer et qui a perdu le contact de tous les rivages, ou encore à quelqu’un qui, en cours d’ascension, ne voit plus de prises possibles et sent le vertige, la chute, la mort… ».
Éducateur et pédagogue, formé aux disciplines classiques des humanités, il ne cessait de réfléchir et d’écrire sur les logiques apparemment antagonistes et fondamentalement complémentaires de la foi et de la culture. Il vivait jusqu’à l’angoisse, et je le cite encore, « le déclin de l’enseignement des Lettres dans les programmes officiels, évidence aujourd’hui brutale et reconnue de tous. En France, le développement rapide des sciences ne cesse de réduire de la façon la plus inquiétante le secteur des Lettres et des Humanités. C’est l’homme qui est en cause, cela suffit pour comprendre que l’Église ne puisse pas rester en cette matière indifférente. La foi est vraiment engagée dans cette aventure ».
Cette préoccupation, forte jusqu’à l’angoisse, n’enlevait rien à l’exquise humanité du Cardinal pour ses amis, traduite avec pudeur et délicatesse en empruntant à autrui ce qu’il jugeait nécessaire mais difficile de dire lui-même.
J’ai précieusement conservé ces Notes extraites à mon usage des Lettres de saint Vincent de Paul à un lazariste en mission à Rome et recopiées par lui à mon intention :
« Vous êtes en un lieu où il faut une merveilleuse retenue et circonspection… Les Italiens sont gens du monde les plus considérants et qui se défient le plus des personnes qui vont vite. La retenue, la patience, et la douceur viennent à bout de tout parmi eux et avec le temps ; et pour ce qu’ils savent que nous autres Français allons trop vite, ils nous laissent longtemps sur le pavé, sans lier avec nous.
Vous voilà arrivé à Rome, où est le Chef de l’Église militante, où est le corps de saint Pierre et de saint Paul et de tant d’autres martyrs et saints personnages, qui ont d’autres fois donné leur sang et employé toute leur vie pour Jésus-Christ. Ô homme, que vous êtes heureux de marcher par-dessus la terre où ont marché tant de grands et saints personnages. Cette considération m’émeut tellement quand je pense à Rome que je ne laisse point de m’attendrir même jusqu’aux larmes. »
Telle était la manière du Cardinal Garrone, dans le sillage lumineux et savoureux des saints bien français de notre terroir, saint Vincent de Paul et saint François de Sales dont il partageait le solide bon sens humain et chrétien, la culture humaniste et le zèle apostolique. Homme de foi et de culture, le Cardinal Garrone nous laisse le généreux exemple d’un homme d’Église enraciné dans la Foi.
L’hommage de Jean-Paul II.
Mais je laisse le dernier mot au Saint-Père le Pape Jean-Paul II, visiblement ému, il m’en souvient, à la messe de sépulture, le 18 juin 1994, dans la Basilique Saint-Pierre :
L’existence du vénéré et inoubliable Cardinal Garrone, auquel je me sentais lié par une amitié véritable et profonde, une amitié née durant le Concile Vatican II et que je considère comme un don de Dieu, fut intense et dynamique.
Après avoir plus particulièrement mis ses capacités au service de la pastorale des jeunes à Chambéry, il fut, de 1947 à 1966, Coadjuteur, puis Archevêque de Toulouse. Il participa tout d’abord activement à la préparation du Concile Vatican II puis, ensuite, il devint membre de la Commission pour l’Apostolat des Laïcs et de la Commission théologique, collaborant de façon particulière à la rédaction de la Constitution Gaudium et spes. Au cours de ces années, il manifesta à mon égard de nombreux signes appréciés, de bienveillance, m’aidant à m’insérer dans le milieu conciliaire. Doté d’une intelligence extraordinaire et d’une sensibilité évangélique à l’égard des multiples problèmes du monde contemporain, il a offert une contribution importante au renouveau conciliaire de l’Église.
En raison de sa préparation culturelle et de sa vaste et longue expérience pastorale, Paul VI, en voulant réaliser l’internationalisation annoncée de la Curie romaine, le plaça à la tête de la Congrégation pour l’Éducation catholique et pour les Séminaires, le créant Cardinal lors du consistoire du 26 juin 1967, avec le titre de Sainte-Sabine.
Le Saint-Père souhaitait sa collaboration directe dans un secteur délicat et important comme celui de l’éducation catholique, où il est nécessaire d’appliquer de façon exacte et constructive les mises à jour souhaitées durant l’historique Réunion conciliaire.
Le Cardinal Garrone, personnalité intelligente et sensible aux instances des temps nouveaux, s’est inspiré dans son engagement quotidien de l’affirmation de saint Paul : « Et l’espérance ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous fut donné » (Rm 5, 5).
Avec un dévouement inlassable, il a contribué à renouveler la formation des futurs prêtres, en œuvrant pour qu’ils puissent accomplir leur service pastoral en étant attentifs et sensibles aux inquiétudes et aux angoisses de l’humanité, menacée à notre époque par des idéologies adverses et travaillée par de nouvelles questions sociales et civiles.
Parmi les fruits de son engagement, il faut rappeler la Constitution apostolique Sapientia christiana qui, prenant la place de celle de Pie XI Deus scientiarum Dominus avec la réglementation successive, dans les faits la complétait et l’enrichissait.
Ce fut la préoccupation du Cardinal Garrone jusqu’en janvier 1980 lorsque, quittant la charge de Préfet de la Congrégation pour l’Éducation catholique, il reçut celle du secteur des relations entre le Saint-Siège et la culture.
Parvenu à l’âge de 80 ans, et déjà atteint par les misères de l’âge, lui, homme de courage apostolique et d’indomptable espérance, ne cessa d’œuvrer pour le Royaume de Dieu. Il fît avancer la cause de béatification de la servante de Dieu sœur Jeanne Jugan, fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres ; il s’occupa de la publication et de la réimpression de certains de ses livres intéressants et utiles : il participa à l’automne 1985 et avec un enthousiasme juvénile, au Synod
e extraordinaire des Évêques, à l’occasion du vingtième anniversaire de la clôture de Vatican II. Il voulut surtout se retirer en prière et en méditation, dans l’attente de la rencontre avec le Seigneur. Dieu lui a donné une longue vie, mais qui ne fut pas exempte de souffrances de différents types. Dans ma mémoire demeurera pour toujours la sérénité d’esprit qu’il réussissait à faire rayonner autour de lui, grâce à une constante et profonde communion avec Dieu.
Au moment où nous prenons congé de lui, comment ne pas manifester notre gratitude au Seigneur pour avoir donné ce fidèle serviteur à l’Église universelle ? Et, en outre, comment ne pas rendre mérite à la France catholique qui a enrichi l’histoire du catholicisme d’un vaste héritage philosophique, artistique et littéraire, dont le regretté Cardinal a lui aussi été un artisan significatif ?
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Pour la documentation, cf. :
Le Cardinal Gabriel-Marie Garrone 1901–1994 au service du diocèse de Toulouse, coadjuteur de Cardinal Saliège (1947–1956, archevêque (1956–1966). Supplément de Mai 1994 à « Foi et vie de l’Église au diocèse de Toulouse, en particulier le témoignage de Mgr Martimort, p. 3-12, l’homélie de Jean-Paul II p. 17-19, et la bibliographie p. 79-81.
Ernestina Marchisa, In memoriam patris, il Cardinal Gabriel-Marie Garrone, Las, Roma, 1995.
Philippe Levillain, Philippe Boutry et Yves-Marie Fradet, 150 ans au cœur de Rome. Le séminaire français 1853-2003.
Cardinal Paul Poupard, Archives personnelles,
Rome. Quatre dossiers de correspondance et de documents dont un témoignage inédit du 14 février 2005 du Père Joseph Vandrisse, correspondant de presse à Rome de 1974 à 2002 et qui a fréquenté de plus en plus étroitement le Cardinal Garrone de 1974 à sa mort vingt ans plus tard en 1994, et une lettre détaillée de deux pages du Cardinal, écrite le 13 juin 1986, sur la situation tragique des Officiers – « en très grandes proportions, prêtres et officiers israélites » – détenus au « camp disciplinaire » de Lubecq, entre 1940 et 1941.
Paris. Institut catholique. Fonds Paul Poupard. Carton R. Po 32. Correspondance du Recteur avec le Cardinal Préfet de la Congrégation pour l’éducation catholique.
Angers. Évêché. Fonds Cardinal Poupard. Correspondance.
Vocation, Paris, n° 244, octobre 1968, p. 484-500, passim).
Tardy, Bourges, 1963, 414 p.