« Parole de Dieu et unité de l'Église », par le cardinal Walter Kasper (3)

CITE DU VATICAN, Dimanche 23 janvier 2005 (ZENIT.org) – A l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, l’évêque de Nanterre, dans les Hauts de Seine, en région parisienne, Mgr Gérard Daucourt, a invité le cardinal Walter Kasper, président du conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens. Le cardinal Kasper a concélébré l’eucharistie, lundi dernier, 17 janvier, en la cathédrale de Paris, aux côtés du cardinal Jean-Marie Lustiger.

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Le cardinal Kasper a ensuite donné une conférence à l’Espace Saint-Pierre de Neuilly sur Seine, sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l’Église ». En effet, au moment où l’Eglise célèbre l’année de l’Eucharistie, Mgr Daucourt a aussi lancé dans le diocèse une « Année de la Parole de Dieu ». Le cardinal Kasper a insisté sur l’unité des deux « tables » de la Parole et de l’Eucharistie.

Le cardinal Kasper a structuré son exposé en six parties (ci-dessous), en remontant au concile Vatican II, et il a achevé sur une considération sur l’œcuménisme spirituel, à partir du renouveau de la tradition de la « Lectio divina ».

Nous publierons chaque jour une partie de cet exposé à l’occasion de la semaine de prière pour l’Unité : I et II le 20 janvier, III, le 21 janvier, IV, le 23 janvier, V, le 24 janvier, et VI le 25 janvier).

I. Un énoncé programmatique du Concile (20 janvier)
II. Lumières et ombres dans, situation post-conciliaire (20 janvier)
III. Parole de Dieu comme parole de salut (21 janvier)
IV. L’Église maison de la Parole de Dieu (23 janvier)
V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu (24 janvier)
VI. Renouvellement de la Lectio divina (25 janvier)

Parole de Dieu et unité de l’Église
Cardinal Walter Kasper

IV.-L’Église maison de la Parole de Dieu

Ce que nous avons dit sur la parole de Dieu comme dialogue entre Dieu et l’homme que atteint sa perfection en Jésus Christ montre que la Parole de Dieu est ordonnée à l’histoire du salut. La Parole de Dieu a été prononcée « de bien des manières » au cours de l’histoire (He 1,1). Lorsque nous suivons son parcours dans l’histoire du salut, la puissance créatrice de communion et d’unité de la Parole de Dieu apparaît clairement. Cela se révèle déjà dans la création. Dieu crée par la Parole (Gn 1). L’univers n’est donc pas issu du chaos et n’est pas non plus un produit du hasard ni une simple évolution aveugle ou même orientée. Tout ce qui, selon la perspective actuelle, a eu lieu comme évolution, selon la Bible est porté et maintenu uni par la Parole. Dieu « porte l’univers par la puissance de sa parole » (He 1,3).

La réalité est donc de la nature du logos et pleine de sens et comme telle une réalité ordonnée à l’être humain et à son entendre et sa intelligence.

L’homme, créé à l’image de Dieu (Gn 1, 27), est un être parlant ; son langage est la caractéristique qui le distingue des animaux muets (behemah) (Ps 49,13). Ainsi sa position dominante se manifeste en ce qu’il donne un nom, c’est-à-dire une signification et un sens aux autres créatures (Gn 2,20). Par le langage, l’être humain crée un rapport cohérent et intelligible dans la réalité, et à travers la communication linguistique il crée aussi u rapport entre les hommes et ainsi la communauté s’édifie entre les êtres humains. Par contre, lorsqu’ils ne se parlent plus et s’évitent, c’est l’inimitié, le crime et le meurtre qui surviennent. Ainsi, par l’orgueil de l’homme, comme le dit le récit sur la tour de Babylone, le langage humain s’est confondu ; les hommes ne pouvaient plus s’entendre et ils se dispersèrent (Gn 11).

Après les bouleversements dus à la confusion babylonienne des langues, Dieu a entrepris un nouveau début avec l’appel à Abraham. Lui a été élu comme une personne particulier , tout de même toutes les familles de la terre seraient bénies en Abraham (Gn 12,3 e.a.) ; sa élection particulière avait au même temps un but universel. En lui Dieu commença donc à rassembler à nouveau son peuple. Plus tard les prophètes parlaient sans cesse d’un rassemblement eschatologique du peuple et de tous les peuples (Es 2 ; Mi 4 ; Ez 34 ; 37, e.a.). Jésus a repris à son compte cet espoir d’un rassemblement eschatologique (Mt 12,30 ; Lc 11,23). Il a initié ce mouvement de rassemblement en allant, comme un pasteur, chercher et ramener les brebis égarées d’Israël (Mc 6,34 ; Mt 15,24 ; e.a.; Jn 10).

Ce mouvement a continué après la Pâque. C’est ce qui a induit Luc, le premier parmi les évangélistes à qui on attribue un concept global de l’histoire du salut, à ajouter à son premier récit ou livre (Ac 1,1), un deuxième livre dans lequel il relate la diffusion de la Parole de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8). Il y décrit comment la Parole de Dieu gagnait toute la contrée (13,49), comment elle croissait (6,7) et comment elle se multipliait (12,24). L’Église se forme partout où la Parole de Dieu est écoutée avec foi et accueillie du fond du coeur. C’est donc la Parole de Dieu qui rassemble et fonde l’Église. Ainsi « ekklesia » la traduction de l’hébreu qahal et signifie avant tout réunion ; elle est l’actualisation du rassemblement et de la réunion par la Parole de Dieu.

Les Pères de l’Église mettent sans cesse l’accent sur la signification originelle de la parole « ekklesia » la font dériver du verbe « kalein » qui veut dire ‘appeler’. Pour eux, l’Église est la communauté appelée et rassemblée par la Parole. Cyrille de Jérusalem écrivait déjà dans ses catéchèses : « Le nom Ekklesia s’explique de ce que par elle tous les hommes sont appelés et rassemblés ». Isidore de Séville a résumé cette définition de la Tradition : « Ecclesia vocatur proprie, propter quod omnes ad se vocet, et in unum congreget ». Cette interprétation trouve encore un écho au Concile Vatican I, lorsque celui-ci se réfère à Es 11,12 et l’Église est conçue comme le signe érigé parmi les nations, qui rassemble les exilés d’Israël et les dispersés de Juda des quatre coins de la terre (cf. DS 3014).

En conséquence, dans une des définitions les plus anciennes et les plus courantes, l’Église est indiquée comme congregatio fidelium, assemblée des fidèles. Cette définition a souvent été comprise à tort comme une conception purement réformée de l’Église ; on la trouve en effet en des points essentiels des symboles de foi réformés ; mais cela montre plutôt combien la Réforme reste attachée à l’interprétation traditionnelle et combien nous avons en commun dans la compréhension de l’Église, malgré toutes les différences qui existent. Car cette définition représente la tradition patristique la plus ancienne, que l’on retrouve encore chez Thomas d’Aquin et dans le catéchisme du Concile de Trente.

Ce serait évidemment mal interpréter la définition de congregatio fidelium que de concevoir l’Église comme une somme et comme une association de croyants particuliers. Cette conception individualiste, que l’on trouve de plus en plus dans le néo-protestantisme, est étrangère à l’Écriture ainsi qu’à la Tradition. L’Église est congregatio fidelium non pas parce qu’elle réunit des fidèles particuliers en une communauté de fidèles, mais parce que tous le fidèles participent ensemble à l’enseignement des apôtres, à la fraction du pain, aux prières et aux biens matériels (Ac 2,42.44). « Koinônia », au sens biblique et patristique, ne signifie pas essentiellement communauté de fidèles rassemblés et en rapport les uns avec les autres, mais participation (participatio) en commun aux biens du salut, c’est-à-dire également participation commune à l’Évangile (Ph 1,5) et à la foi (Phm 8). Ce n’est pas la communauté des fidèles qui crée la communauté de foi, c’est au contraire la communauté de foi qui crée la communauté des fidèles.

Dans la deuxième Épître aux Corinthiens de l’apôtre Paul, ce concept est ultérieurement approfondi. L’apôtre confronte la Parole de Dieu dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. La Parole de l’Ancien Testament est gravée sur des tables de pierre, celle du Nouveau Testament est écrite dans les cœurs par l’Esprit de Dieu (2 Co 3,3). Cela veut dire, que tous les fidèles dans la foi participent à
l’unique Esprit de Dieu. La réception de cette déclaration a une longue histoire ; on la trouve aussi bien chez Irénée de Lyon que chez Origène. Pour Thomas d’Aquin, la loi de l’Évangile n’est que secondairement une loi écrite ; en premier lieu c’est une loi inspirée, elle est « la grâce de l’Esprit-Saint, qui est accordée par la foi dans le Christ » (gratia Spiritus Sancti, quae datur per fidem Christi). Le Concile de Trente, par l’intermédiaire du délégué du Pape Cervini, a fait sienne cette conception (DS 1501), et le Concile Vatican II l’a reprise à son compte (DV 7).

Le grand théologien de Tübingen, Johann Adam Möhler, père du renouvellement ecclésiologique au XXe siècle, l’a amplement traitée et approfondie dans son ouvrage de jeunesse, « L’unité de l’Église ». Pour lui, l’Église est l’ensemble des croyants, maintenu uni par un principe de vie commun et sans cesse rénové et rajeuni ; pour cette raison, le christianisme n’est pas un simple concept, mais « une question de vie et de vie en commun ». De sorte que le Concile a pu dire: « L’Église, dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et transmet à toutes les générations tout ce qu’elle est elle-même et ce qu’elle croit » (DV 8).

Cette expression n’est pas sans poser des problèmes, car elle pourrait créer la fausse impression que l’Église n’est plus Église à l’écoute de la Parole de Dieu mais seulement en dialogue avec elle-même, parce qu’elle identifie sa parole et sa réalité avec la Parole de Dieu. E. Käsemann a parlé d’une divinisation de l’Église et a annoncé à ce sujet la protestation des réformés. Il aurait raison si cela avait réellement été l’intention du Concile et la doctrine de l’Église catholique. Qu’il n’en est rien, c’est ce qui ressort d’une autre déclaration du Concile : « C’est ainsi que Dieu, qui a parlé jadis, s’entretient sans arrêt avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et que l’Esprit-Saint, par qui la voix vivante de l’Évangile retentit dans l’Église et par l’Église dans le monde, introduit les croyants dans tout ce qui est vérité, et fait résider chez eux en abondance la parole du Christ » (DV 8). Le concept entretien e l’image du rapport entre époux et épouse indique qu’il ne s’agit pas d’une identification mais d’un vis-à vis entre la Parole de Dieu e l’Église.

Pour exprimer l’intimité de ce vis-à-vis nous trouvons dans la Bible encore un autre image, l’image de demeurer. Dans le livre de Jésus le Siracide on trouve une réflexion sur le chemin de la sagesse de Dieu dans l’histoire du salut. Elle cherche dans tous les peuples et dans toutes les nations un endroit où demeurer et ne le trouve nulle part, sauf en Sion, à Jérusalem, auprès du peuple qui appartient à Dieu (Sir 24). Le Nouveau Testament reprend cette image. Selon Jn 1,14, le Verbe éternel habite et a sa tente en Jésus Christ, et selon Col 3, 16 la Parole du Christ habite dans toute sa richesse dans la communauté. L’Église comme maison de Dieu est donc la maison et l’habitation de la Parole de Dieu ; comme maison de Dieu elle est la colonne et le soutien de la vérité (1 Tm 3,15).

Quelle image et quelle promesse ! L’Église comme maison et demeure de la Parole, colonne et soutien de la vérité. Finalement la Parole de Dieu, la parole à laquelle on peut se confier a trouvé une place, où l’on peut la trouver, où l’on peut demeurer et où l’on peut s’orienter. Peut-être aujourd’hui comprenons-nous graduellement et nouvellement mieux, dans notre Babylone postmoderne et sa confusion linguistique, ce que signifie, au milieu du désordre et du désarroi de notre temps, avoir un lieu où habite la vérité et d’où vient la Parole de vérité, un lieu où se reposer en toute sécurité et autour duquel se rassembler à nouveau !
(à suivre)

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ZENIT Staff

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