Dix jours après le tsunami qui a frappé les côtes des pays riverains de l’océan Indien (1), la vie reprend peu à peu au Tamil Nadu, l’un des Etats de l’Inde le plus touché par la vague meurtrière du 26 décembre 2004. Au sanctuaire marial de Vailankanni, situé dans le district de Nagapattinam, l’un des plus affectés par la catastrophe (2), les services religieux ont repris le 1er janvier et, en ce lundi 3 janvier, une trentaine de fidèles seulement assistent à la messe du soir.
Dans ce sanctuaire marial, surnommé « le Lourdes de l’Orient », où est vénérée Notre Dame de la Santé et qui est fréquenté par des millions de pèlerins chaque année, trente personnes à la messe, cela représente un chiffre très faible en comparaison des 2 000 à 3 000 pèlerins qui fréquentaient quotidiennement le sanctuaire avant le 26 décembre. Selon le recteur du sanctuaire, le P. Xavier, les gens ne sont pas revenus car ils sont toujours sous le choc. Il remarque toutefois que le sanctuaire demeure après la catastrophe le centre d’unité religieuse qu’il était avant ce 26 décembre. Sur les millions de pèlerins qui se rendaient à Vailankanni chaque année, l’Eglise estime que 60 % d’entre eux étaient des non-chrétiens, hindous en majorité mais aussi musulmans ou fidèles d’autres religions. A la messe du 3 janvier, le P. Xavier a noté la présence de trois religieux hindous, venus de Haridwar, dans le nord du pays, pour contribuer à la mise en place des secours.
Au-delà du fait que la basilique elle-même a été épargnée par les flots, le P. Xavier n’a pas beaucoup de motifs de se réjouir. Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, la vaste tente dressée près de la basilique pour les célébrations de Noël a servi à accueillir les corps des victimes ramassés sur la plage et autour du sanctuaire ; plus de 600 corps ont été ainsi déposés pour y être identifiés, facilitant ainsi la délivrance par l’administration des nécessaires certificats de décès. Ce 3 janvier, trois corps ont encore été retirés des décombres entourant les lieux et un quatrième a été rejeté par la mer. Pour toutes les personnes engagées dans les organisations de secours catholiques, ce qui frappe, c’est le vide créé autour de la basilique, là où avant le 26 décembre bruissaient les cris et l’agitation nés autour des multiples échoppes proposant aux pèlerins cierges, fleurs ou statues de la Vierge. « L’atmosphère est terrifiante », témoigne Sœur Josephine D’Souza.
Pour nombre de rescapés, quelle que soit leur appartenance religieuse, outre la survie au jour le jour, une interrogation lancinante qui se pose est le « pourquoi » de cette catastrophe et la raison de leur survie. Pour R. K Anthony Swamy, employé des chemins de fer interrogé par l’agence Ucanews, une mauvaise fièvre lui a valu de vivre car, cloué au lit, il avait annulé le pèlerinage à Vailankanni prévu pour Noël – une première en trente ans. « Sans doute, Dieu a voulu que je vive pour que je serve les autres avec plus de cœur », témoigne-t-il, tout en préparant des repas pour les rescapés.
Pour Joseph Raj, un catholique, résidant sur les lieux, le quotidien est désormais consacré à aider les survivants. Il se demande à haute voix pourquoi la Vierge Marie « a abandonné ses pèlerins ». Rappelant le récit qui est à l’origine du sanctuaire selon lequel des navigateurs portugais au XVIe siècle ont bâti une chapelle en l’honneur de la Vierge pour avoir été sauvés miraculeusement d’une mauvaise tempête, il s’interroge : « Peut-être a-t-elle (la Vierge) un message pour nous. »
Selon le P. Xavier, « le clergé fait désormais face à une grande difficulté : comment prévenir la nouvelle vague qui monte à l’assaut des croyants, une vague faite de cynisme » face à une vie dont on ne comprend pas pourquoi elle vous a été préservée et pourquoi elle a été enlevée à vos proches. Pour l’heure, face au désarroi des rescapés, sa réponse est la prière « sans laquelle la vie n’a pas de sens ». Il explique aussi, sans chercher à convaincre les plus éprouvés, que la Création ne se confond pas avec son Créateur.
Autour du sanctuaire, les responsables des autres religions cherchent eux aussi à faire face aux interrogations de leurs fidèles. Dans la mosquée d’un village proche de Vailankanni, le responsable de la prière invite les musulmans à « ne pas perdre la foi ». Non loin de la basilique, un petit sanctuaire où est adorée une divinité hindoue locale, Elliamman Koil, relativement épargné par les flots, une femme qui a perdu ses quatre enfants ainsi qu’une sœur et un frère, se lamente : « Tout le village priait quotidiennement. Chaque année, le village célébrait thiruvizha (une procession de la statue de la divinité, accompagnée de musique et de danses) et, pourtant, elle a tourné le dos à son peuple. »
Pour l’évêque des lieux, Mgr Devadass Ambrose Mariadoss, du diocèse de Thanjavur, qui campe sur les lieux du sanctuaire depuis le premier jour de la catastrophe, une des priorités pour marquer le fait que la vie continue est de remettre le sanctuaire en état pour le 14 janvier. A cette date, les Tamouls commenceront des festivités de trois jours pour « Pongal », la fête des moussons et fête d’action de grâce pour les récoltes. Quelques jours plus tard, le 3 février, le cardinal Telesphore Toppo, président de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde, est attendu à Vailankanni pour présider une rencontre interreligieuse de prière. « Nous espérons qu’à cette date, les choses seront redevenues normales », déclare Mgr Mariadoss.
(1) Voir EDA 410 à la rubrique ‘De divers horizons’
(2) Selon un décompte officiel des autorités de Nagapattinam, en date du 3 janvier 2005, 1 867 hommes, 2 388 femmes, 879 garçons et 866 filles ont péri dans le district.