« Le Dieu de l'Histoire » par le cardinal Georges-Marie Cottier, O.P.

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CITE DU VATICAN, Jeudi 23 décembre 2004 (ZENIT.org) – Le cardinal Georges-Marie Cottier, O.P., théologien de la Maison pontificale a donné cette conférence sur « Le Dieu de l’Histoire », lors d’une vidéoconférence sur ce thème organisée par la congrégation pour le Clergé, le 18 décembre dernier. La traduction est publiée par le site de la congrégation (www.clerus.org).

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LE DIEU DE L’HISTOIRE

Georges Card. Cottier, OP

Le christianisme présente, à titre essentiel, une dimension historique. Nous parlons d’histoire du salut. C’est une histoire marquée par les Alliances que Dieu a contractées avec son Peuple. Comme le dit la quatrième prière eucharistique : « Tu as multiplié les alliances avec eux [les hommes] ». À l’origine, donc, il y a l’Élection, expression de l’amour gratuit de Dieu pour nous. Il est appelé Dieu de l’Alliance, toujours fidèle. Mais malheureusement, à la fidélité de Dieu, répond souvent l’infidélité de l’homme pécheur. L’homme est fidèle en obéissant à la loi divine.

L’histoire révèle la pédagogie de la Providence d’un Dieu juste et miséricordieux qui désire la conversion du peuple pécheur, son retour à la fidélité première. Purifié de la tache du péché, il sera rétabli dans la prospérité et la paix, signe de son amitié avec Dieu. Tel est le message contenu dans les Livres historiques de l’Ancien Testament et dans ceux des Prophètes. Le mystérieux envoyé de Dieu, tel un nouveau David, le Messie, nous fera entrer dans l’ère de la paix.

En net contraste avec la conception païenne du temps, qui est un temps cyclique revenant périodiquement à son début, la Bible a du temps une conception historique, c’est-à-dire linéaire. Le cours du temps a un sens, une direction, qui nous conduit à un terme, ayant valeur de fin. Ce cours est guidé par la Providence de Dieu, laquelle interpelle la responsabilité de l’homme.

La conception biblique de l’histoire a laissé son empreinte profonde sur la culture d’inspiration chrétienne, à tel point que nous la retrouvons dans des philosophies et des idéologies qui s’éloignent de la foi chrétienne.

En effet, le sens biblico-chrétien de l’histoire rencontre aujourd’hui deux types de contestations.

La plus récente naît d’une conscience aiguë, et en un certain sens fascinée, de la force du mal : l’histoire est privée de sens, absurde, chaotique.

L’autre conception, qui revêt différentes formes, repose de manière exclusive sur les capacités et sur les forces de l’homme. L’histoire est progrès. Au cours de l’histoire, l’homme se fait lui-même, sans référence à Dieu. La fin de l’histoire, ère de liberté et de bonheur, sera le fruit de l’œuvre de l’homme. Elle se réalisera dans le temps. L’histoire est immanente à elle-même. Cette conception de l’histoire doit être considérée comme une forme radicale de sécularisation de la conception biblico-chrétienne.

Le Concile Vatican II nous permet de préciser quel est le contenu propre à la vision chrétienne, pour laquelle l’Ancien Testament représente une préparation, avec la promesse du Royaume de Dieu. Avec la venue du Christ, ce Royaume est présent parmi nous. Saint Marc résume ainsi la première prédication de Jésus : « Les temps sont accomplis ; le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1,15). Ce règne est semblable au grain qui germe jusqu’au moment de la moisson (cf. Mc 4,26-29).

Dans un texte synthétique, Lumen gentium (n. 5) écrit : « Dès lors, l’Église pourvue des dons de son Fondateur et attachée à ses préceptes de charité, d’humilité et d’abnégation, reçoit la mission d’annoncer et d’instaurer en toutes les nations le Royaume du Christ et de Dieu dont, sur terre, elle constitue le germe et le commencement [je souligne]. Dans l’intervalle, à mesure qu’elle grandit, elle aspire à l’accomplissement du Royaume, elle espère et souhaite de toutes ses forces être unie à son Roi dans la gloire ».

Dans ces quelques lignes, nous avons l’essentiel du sens chrétien de l’histoire, tel que seule la foi peut le percevoir. Centrale est la notion de Royaume du Christ et de Dieu. Le Christ est le centre de l’histoire, qui est l’histoire de l’humanité sauvée, rachetée et rendue participante de la vie divine. C’est pourquoi la fin de l’histoire n’est pas dans l’histoire, elle va au-delà du temps, son accomplissement est dans la participation à la gloire de Dieu. Nous attendons une terre nouvelle et des cieux nouveaux (cf. GS 39).

Écoutons Gaudium et spes (n. 45) : « […] Le Seigneur est le terme de l’histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l’histoire et de la civilisation […]. C’est Lui que le Père a ressuscité d’entre les morts, a exalté et fait siéger à sa droite, Le constituant juge des vivants et des morts. Vivifiés et rassemblés en son Esprit, nous marchons vers la consommation de l’histoire humaine qui correspond pleinement à son dessein d’amour » (cf. Eph 1,10). C’est dans le Christ, alfa et oméga, que l’histoire trouve son sens.

Cela ne signifie pas que l’histoire comme édification de la civilisation due à la science et au travail de l’homme est dépourvue de sens et de valeur. Au contraire, Dieu, dans la création, a confié à l’homme l’intendance du monde. Ainsi, l’œuvre culturelle de l’homme, bien qu’elle soit entravée par le péché, grandit, confortée par les énergies évangéliques. À la fin, tout ce que l’homme aura créé de bon et de beau sera récapitulé. Donc, nous ne devons pas opposer histoire profane et histoire sainte. Les biens et les valeurs de la civilisation ont leur autonomie propre et leur consistance distincte, mais ils sont destinés, à la consommation des temps, à être assumés dans la gloire du Royaume.

Les messianismes méconnaissent la transcendance du Règne et cherchent un Royaume plongé dans l’immanence du temps historique.

Le Royaume est présent dans le temps de l’histoire, mais il nous amène au-delà du temps. Nous devons toujours contempler ensemble la consistance propre aux réalités terrestres et la transcendance propre à notre vocation éternelle.

Il convient que nous nous arrêtions sur ce point. La considération de l’histoire, avec ses deux faces, nous invite à réfléchir sur la structure de l’action humaine. En effet, il y a une certaine urgence à cela, dans la mesure où nous assistons, ces derniers temps, à un réveil de l’idéologie du sécularisme ou du laïcisme. Cette idéologie, sous ses différentes formes, suppose une idée erronée de l’autonomie de l’activité humaine au sens absolu, c’est-à-dire en excluant toute référence à Dieu. Ainsi, l’activité sociale et politique serait en soi amorale ou fondée sur une éthique relative, création de l’homme, fruit de l’opinion majoritaire en vigueur dans la société à un moment donné.

Tout autre est la conception chrétienne de la responsabilité historique de l’homme. C’est la personne humaine elle-même qui est citoyenne de la cité des hommes et de l’Église comme germe du Royaume qui n’aura pas de fin. En tant que personne, l’homme est un sujet moral, autrement dit, il est capable de connaître la loi morale, empreinte de Dieu dans sa conscience, et de faire des choix libres en conformité avec ladite loi, en vertu de sa nature même. Donc toutes ses activités, y compris ses activités culturelles et politiques, sont guidées par la lumière de la loi de Dieu. Cela vaut pour tout homme, en tant qu’homme.

La loi évangélique, reçue du Christ, ne va pas à l’encontre des exigences de la loi naturelle. Au contraire, elle les assume, les perfectionne, et nous mène plus loin, en conduisant l’homme vers sa vocation éternelle, vécue déjà sur cette terre dans la rencontre avec le Christ, principalement dans la vie de foi, d’espérance et de charité.

Le chrétien n’est pas un être divisé. L’appartenance à la cité des hommes et la citoyenneté du Royaume forment une unité organique et articulée, la distinction demeurant claire. Gaudium et spes, à ce propos, est clair : « […] s’il faut soigneusement di
stinguer le progrès terrestre de la croissance du Règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine » (n. 39).

En effet, les énergies et les valeurs, proprement humaines, se trouvent soutenues, renforcées, promues par les énergies et les lumières du Royaume. Le Concile affirme encore : « […] le message chrétien ne détourne pas les hommes de la construction du monde et ne les incite pas à se désintéresser du sort de leurs semblables : il leur en fait au contraire un devoir plus pressant » (n. 34).

On comprend dès lors pourquoi la tâche première de l’Église est l’annonce de Jésus Christ notre Sauveur, qui nous ouvre les Portes du Royaume. Mais on comprend aussi pourquoi l’Église se préoccupe du sort temporel de l’humanité. Tel est le motif de la doctrine sociale de l’Église, de la défense de sa part des droits de l’homme, de la paix et de la justice, de l’amour préférentiel pour les pauvres et, en reprenant la belle formule de Populorum progressio, de tout homme et de tout l’homme.

C’est l’homme dans l’intégralité de son être que le Christ est venu sauver, en fondant en même temps l’humanisme authentique.

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ZENIT Staff

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