A propos d’Halloween: " Les pièges de l’ironie festive "

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Entretien avec Damien Le Guay, philosophe

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CITE DU VATICAN, Mercredi 29ctobre 2003 (ZENIT.org) – Les Associations Familiales Catholiques françaises (AFC) et l’hebdomadaire français « France Catholique » (cf. www.France-catholique.fr) ont commandé au philosophe Damien Le Guay, une brochure « Questions à se poser avant de fêter Halloween ». L’auteur explique à Timothée Seguiran pour l’hebdomadaire les raisons de son opposition à “Halloween”.

FC- Pourquoi revenir sur Halloween ? Que vous ont fait les citrouilles ?

DLG- Je n’ai rien contre les citrouilles ni contre les fêtes en général. Il ne s’agit pas de refuser mais de réfléchir. Quels sont les enjeux de cette fête ? Elle touche à l’imaginaire des enfants. Elle est (ce que reconnaît tout le monde) d’origine religieuse et véhicule un certain imaginaire de sorcellerie. (Nous retrouvons ici les traces de la fête de Samhain célébrée par les anciens Celtes). Son côté « bon enfant » est trompeur, comme est trompeuse cette domination de plus en plus grande du « second degré ». « Ce n’est rien, ce n’est que pour rire ». Mais de second degré en second degré, l’esprit de sérieux, le sens des responsabilités et la valeur des choses tendent à se perdre. Même pour rire, un squelette ou un crâne en plastique sont des représentations de la mort.

FC- On ne peut pas en sourire ?

DLG- Si, et c’est même ce que nous faisons grâce au dessinateur humoriste Chaunu dans la brochure “Questions à se poser avant de fêter Halloween”. Histoire de mettre les rieurs de notre côté. Mais il faut tout de même bien dire que notre époque est étrange : elle fait cohabiter une apparente légèreté festive de la dérision et la violence des messages véhiculés. Derrière le rire, le poison ; derrière la frivolité, la violence. D’où ce mélange constant du festif et du revendicatif – La Gay Pride, par exemple, est, à la fois, une fête, un groupe de pression pour le droit des homosexuels et une instance répressive contre l’indistincte « homophobie ». D’où, aussi, ce mélange de farce et de banalisation des messages autrefois bannis.

FC- Soit ! Mais les gentilles sorcières sont de toutes les époques !

DLG- Oui. Les contes de fées sont indispensables pour les enfants qui peuvent, par ce détour, apprivoiser leurs peurs. Mais il faut faire des distinguos ; distinguer les romans d’apprentissage et les initiations aux pratiques occultes ; distinguer un imaginaire du retour (l’enfant, comme Pinocchio, après avoir eu recours à la magie, revient dans le monde des hommes) et un imaginaire de la séparation (l’enfant, grâce aux pouvoirs de la magie, est en quelque sorte en rivalité pour ne pas dire en opposition avec le monde des adultes). Entre, “Ma sorcière bien aimée” (ce gentil feuilleton d’il y a trente ans) et “Buffy” il y a une différence non de degré mais de nature. Nous sommes passés de la magie blanche à la magie noire – et nous retrouvons ce passage entre le premier et le second tome d’Harry Potter.

FC- Et donc, selon vous, Halloween participe de cette banalisation ?

DLG- Pendant tout le mois d’octobre, “Disneyland” se transforme, à grand renfort de publicité, en « Halloweenland ». Les enfants, dans « une ambiance de fête macabre », se distraient en empruntant la « rue des frissons ». Ils pourront, avec des « danses infernales » s’amuser toute la nuit. Des recettes leur sont
proposées : « têtes de sorcières » (à base de pomme), « répugnantes mygales » (biscuit avec du beurre de cacahuète) et « fantômes de la crypte » (avec du riz soufflé).
L’enfer, les fantômes et la peur font rire. Telle est la nouvelle obligation. Et celui qui dira « mais l’enfer est sérieux », « le macabre est sérieux », sera « hors-jeu « . Or les arbitres qui mettent « hors-jeu » ont la double arrogance de ceux qui veulent fuir l’esprit de gravité et de ceux qui n’acceptent pas que l’univers religieux soit pris au sérieux.

FC- En quoi l’ironie est-elle à ce point nocive ?

DLG- L’ironie banalise. Mais elle banalise sans débat, sans examen, sans appréciation éducative. Pourquoi ne pourrions-nous pas juger des éléments intégrés dans l’imaginaire des enfants ? Je ne suis pas dans la posture du vieux moine meurtrier du Roman de la Rose qui fait tout pour lutter contre le rire – considérant que le rire s’opposerait à Dieu. Je ne reproche pas à cette fête d’être une fête, je mets en évidence la banalisation de l’univers actuel de la sorcellerie.

FC- Mais que reprochez-vous donc à cet univers-là ?

DLG- Avant tout d’être un univers de la fatalité – une fatalité qui réduit à néant tous les efforts humains. Dans cet univers, des forces occultes existent, contre lesquelles nous ne pouvons rien. Seuls des magiciens peuvent agir – et encore à quel prix ! Seuls des astrologues peuvent « consulter » les astres qui « déterminent » votre vie. S’établit donc une hiérarchie entre une caste d’intermédiaires qui savent, qui peuvent faire « passer des messages » et, en bas, tout en bas, dominés, incapables, les hommes devenus des pantins.

FC- Serions-nous aux mains des sorciers ?

DLG- Non. Bien entendu. Mais comprenez bien mes inquiétudes ! Certains éléments sont là dans une sorte de juxtaposition voire de confusion souple. Chaque année deux millions de Français consultent une voyante. On dénombre 50 000 voyants en France – alors qu’il y a moins de trente mille prêtres catholiques. 70 % des Français consultent régulièrement leur horoscope. Sommes-nous dans le « second degré » ou est-il question de croyances ?
Halloween met en scène cet univers de l’horreur divertissante et des « peurs bleues » loufoques. Sommes-nous dans l’amusement ou dans un système de croyances ? En quittant le monde stable des croyances religieuses établies, l’époque est entrée dans celui instable de la crédulité. « Ne plus croire en Dieu, disait Chesterton, ce n’est pas croire en rien c’est croire en tout ».

FC- Quels sont les risques de cette montée en puissance du monde de la fatalité ?

DLG – Le premier risque est pour la liberté humaine, incapable de se mettre en œuvre, d’être reconnue à sa juste valeur en raison du diktat de la fatalité. « C’est ainsi ». Or le christianisme, comme l’humanisme, exaltent la liberté humaine, mettent en valeur la conscience, le pouvoir de l’homme et sa capacité à agir sur le monde. Si nous sommes soumis à des forces obscures qui se jouent des hommes, mieux vaut en rire qu’en pleurer. Le rire devient alors un rire d’impuissance, la dérision une résignation. Quand nous perdons « le goût de l’avenir » (Jean-Claude Guillebaud), après avoir perdu le sens des filiations enracinées, la fatalité revient en force – et avec elle la magie, les pouvoirs occultes, les Supermen.
Second risque (affectant les représentations religieuses) celui d’un changement de paradigme religieux : le passage du monde de l’au-delà à un monde de l’au-dessus.
Le monde des chrétiens fait de Dieu l’interlocuteur intime qui au-delà de tout attend, espère et attire à Lui. Il est dans le prolongement, dans l’au-delà de nos vies. Un dialogue s’instaure. Dieu parle, par la Bible ; les hommes peuvent s’adresser à lui, par la prière. L’homme est créé à l’image de Dieu et appelé à lui ressembler. Inversement, le monde religieux de l’au-dessus, celui du paganisme, place l’homme en situation de soumission. Le ciel est alors muet – sauf pour cette caste bien particulière des devins. On pense à la crainte des Gaulois d’Astérix « que le ciel ne nous tombe sur la tête ». Deux modèles s’opposent terme à terme.

FC- Ce monde de l’au-dessus n’est-il pas bien éloigné de cette fête commerciale
d’Halloween ?

DLG- Malgré les apparences et “l’innocence commercial
e” de ceux qui l’ont importée, nous n’en sommes pas si éloignés. La dérision dissimule. Sans se laisser impressionner par ce que Philippe Muray nomme « la dictature hyper-festive », il nous faut, froidement, presque dégrisé, regarder les choses en face avec un sens aigu de la responsabilité à l’égard des enfants. Un monde se transmet ; un monde se reçoit. Une éducation se fait. Que voulons-nous transmettre ?
© France Catholique

Damien Le Guay, “La face cachée d’Halloween”, éd. du Cerf, 162 pages, 13 euros – “Qu’avons-nous perdu en perdant la mort ?”, éd. du Cerf, 176 pages, 14 euros – “Les questions à se poser avant de fêter Halloween”, 50 pages, 2 euros, éd. Image In France (63, rue des Rosiers – 14000 Caen (France). Tél.: ++ 33 (0)2 31 23 19 19)
Associations familiales catholiques, 28, place Saint-Georges – 75009 Paris (France). Tél.: ++ 33 (0)1 48 78 81 61)
“France Catholique”, 60, rue de Fontenay – 92350 Le Plessis-Robinson (France). Tél.: ++ 33 (0)1 46 30 37 38.

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ZENIT Staff

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