CITE DU VATICAN, Jeudi 9 octobre 2003 (ZENIT.org) – Une célébration de la « purification de la mémoire » a eu lieu dimanche dernier, 5 octobre, sur l’île de Gorée, autrefois point de départ des esclaves vers l’Amérique, dans le cadre de la XIIIe Assemblée plénière du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM, Dakar, 1er-12 octobre). Célébration qui dénonçait en même temps les esclavages modernes.
A Gorée, le président du SCEAM, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya, a prononcé le discours suivant, au cours de la célébration de purification de la mémoire, au sein d’une eucharistie solennelle : à la fin du rite de purification le célébrant a donné lecture du texte de l’indulgence plénière accordée par le Pape Jean-Paul II.
Mgr Monsengwo a souligné la condamnation des esclavages actuels que représente cette purification du poids du passé en s’adressant aux dirigeants des pays d’Afrique : « Nous condamnons et vous invitons, surtout vous les dirigeants de nos pays, à condamner les nouvelles formes de traite et d’esclavage que sont la déportation de nos filles pour la prostitution, le tourisme dit sexuel, le commerce d’enfants, l’enrôlement de force de nos enfants et adolescents dans des guerres fratricides, néo-coloniales et de pillage des richesses des sous-sols africains. De même, nous condamnons et invitons à condamner toute forme d’exclusion ethniciste, tribaliste et régionaliste qui mine dangereusement nos sociétés ».
Pour sa part, Mgr Robert Sarah, archevêque émérite de Konakry et secrétaire de la congrégation romaine pour l’Evangélisation des Peuples a déclaré dans son discours devant l’assemblée du SCEAM: « Qu’à Gorée, symbole de l’Afrique humiliée, réduite à un esclavage inhumain et sans nom, nous puissions rappeler au monde la mémoire de ceux dont on a nié la dignité d’hommes et de femmes et qui ont été traités en marchandises » (cf. texte intégral ci-dessous).
A Gorée, le pape Jean-Paul II est venu lui-même demander pardon, le 22 février 1992, pour le crime contre l’humanité qu’a représenté le « commerce triangulaire » impliquant la traite des populations africaines vers l’Amérique, leur réduction en esclavage, et les nombreuses morts sur les navires. Le livre de Luigi Accattoli « Quand le pape demande pardon » analyse particulièrement cet événement.
Le pape venait de Dakar et il s’est rendu sur l’île, à la « Maison des esclaves », où il a déclaré entre autres : « Pendant toute une période de l’histoire du continent africain, des hommes, des femmes et des enfants noirs ont été amenés sur ce sol étroit, arrachés à leur terre, séparés de leurs proches, pour y être vendus comme des marchandises (…). On peut dire que cette île demeure dans le cœur et la mémoire de toute la diaspora noire. Ces hommes, ces femmes, et ces enfants ont été victimes d’un honteux commerce auquel ont pris part des personnes baptisées mais qui n’ont pas vécu leur foi. Comment oublier les énormes souffrances infligées, en dépit des droits humains les plus élémentaires, aux populations déportées du continent africain ? Comment oublier les vies humaines anéanties par l’esclavage ? Il convient que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu ».
Le texte des différentes interventions à l’assemblée du SCEAM ainsi que le déroulement de la célébration de dimanche dernier (http://www.sceam-dakar.sn/celebrationpurification.htm), sont disponibles sur le site du SCEAM (http://www.sceam-dakar.sn).
– Déclaration de Mgr Monsengwo Pasinya –
« A tous les fils et filles de l’Église, Famille de Dieu qui est en Afrique, à Madagascar et dans les Îles adjacentes et à tous les hommes et femmes de bonne volonté.
« Dans le cadre de la XIIIe Assemblée plénière du Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM), nous, représentants des Conférences Épiscopales régionales et nationales de cet ensemble territorial, sommes venus en pèlerinage ici, à la Maison des Esclaves de Gorée.
« L’émotion en ce “sanctuaire africain de la douleur noire” (Jean-Paul II) est forte et intense, et pour nous chrétiens, elle est expression d’une présence particulière de l’Esprit-Saint, premier protagoniste de l’histoire et artisan d’un monde nouveau. En nous adressant à vous, nous voulons vous faire partager ce que l’Esprit de Dieu nous fait vivre, en ce jour mémorable, comme grâce en faveur de l’homme noir qui a tant souffert des blessures de l’histoire et qui en est arrivé à un sentiment général d’impuissance.
« Dans l’histoire de l’évangélisation de cette pointe avancée du Continent, Gorée occupe une place importante. Elle a été comme une porte d’entrée du salut. Mais pour la mémoire collective de l’Afrique, Gorée représente hélas aussi une porte du voyage de non retour pour tant de fils et filles de ce continent, déportés comme esclaves vers les Amériques et l’Europe. Cet “holocauste méconnu” a été confessé par le Pape Jean-Paul II en ce lieu historique, le 22 février 1992 comme “péché de l’homme contre l’homme”, “de l’homme contre Dieu”. Sur ce “crime énorme”, “magnum scelus” (Pie II en 1462), il a imploré le pardon du Ciel, pour qu’à l’avenir les disciples du Christ ne soient plus jamais les oppresseurs de leurs frères.
« L’aveu est une grâce de départ nouveau, de conversion pour une nouvelle vie et de purification de la mémoire. C’est pourquoi, nous avons confessé ici, en votre nom à tous, le crime contre l’humanité et la blessure au cœur de Dieu notre Père qu’ont été l’esclavage et la traite négrière. Nous vous invitons à confesser personnellement la part de péché qui est la nôtre dans ce drame, à vous convertir et à vous engager pour une humanité nouvelle.
« Le péché contre l’homme noir n’est pas simplement dans le passé. Il est aussi actuel. Nous continuons de le perpétuer sous d’autres formes et dans plusieurs domaines : en vendant et en achetant nos frères et sœurs, en entretenant la haine et la volonté de revanche, en épousant la mentalité de défaite et d’impuissance, le complexe d’infériorité de l’homme noir.
« Nous condamnons et vous invitons, surtout vous les dirigeants de nos pays, à condamner les nouvelles formes de traite et d’esclavage que sont la déportation de nos filles pour la prostitution, le tourisme dit sexuel, le commerce d’enfants, l’enrôlement de force de nos enfants et adolescents dans des guerres fratricides, néo-coloniales et de pillage des richesses des sous-sols africains. De même, nous condamnons et invitons à condamner toute forme d’exclusion ethniciste, tribaliste et régionaliste qui mine dangereusement nos sociétés.
« Comme le Saint-Père nous y invitait, il y a déjà onze ans, nous demandons de façon particulière à nos Églises, à nos communautés chrétiennes à maintenir l’effort de la pleine fidélité au commandement de l’amour fraternel légué par le Christ et à dire Oui à la grâce qui nous sollicite pour un avenir nouveau.
« Au tournant historique de Gorée, nous avons la conviction que le Seigneur Ressuscité nous appelle à vivre en hommes et femmes nouveaux, à la gloire du Dieu créateur et rédempteur et au bénéfice de l’homme noir et de tout homme. C’est ainsi que nous apporterons la contribution irremplaçable de l’Église aux bâtisseurs d’un avenir meilleur pour l’Afrique et ses enfants, et pour l’avènement d’un
monde plus solidaire et plus juste.
« Puisse la Vierge Marie, Notre Dame du Rosaire et Mère des Victoires, nous assister dans cette mission ».
Donné à Gorée, le 5 octobre 2003, pour l’Assemblée du SCEAM,
le Président, Mgr Laurent MONSENGWO PASINYA